jeudi 15 avril 2010

Projet de vélocipède aérien (Hanry, 1869)


« La question de la navigation aérienne semble abandonnée ; mais en réalité elle n'est qu'ajournée. D'ailleurs, elle n'est pas résolue. Il ne s'agit pas de s'élever dans les airs pour y voyager au gré des vents. Le but à atteindre est d'arriver à mettre la découverte des frères Montgolfier au service de l'humanité, ou du moins de l'utiliser dans la solution de la question, que je vais présenter à un point de vue nouveau.

Si, jusque-là, plusieurs tentatives pour résoudre le problème ont échoué, est-ce une raison pour qu'il soit insoluble, ainsi que le prétendent beaucoup de personnes ? Je ne le pense pas ; je déclare hautement, au contraire, que j'ai foi dans l'avenir de la locomotion aérienne.

C'est d'ailleurs un édifice dont les fondements sont établis; il reste à en achever la construction. Or, je viens humblement apporter ma pierre. Le sort des grandes découvertes est toujours de n'arriver à produire des effets utiles qu'après bien des temps et à travers une foule d'obstacles. A combien de conceptions excentriques n'a pas donné lieu la question de la navigation aérienne, par exemple, conceptions résolvant le problème d'une manière plus ou moins bizarre ! L'un a proposé des excursions dans la lune au moyen d'un boulet de canon auquel s'attacherait le voyageur, et qui, lancé avec une puissance de projection suffisante, irait pénétrer dans la sphère d'attraction du satellite de la terre, sur lequel alors l'équipage tomberait à la façon des aérolithes sur notre globe. Un autre amateur a imaginé le moyen de faire le tour de la terre en vingt-quatre heures. Il s'élève à une certaine hauteur dans l'atmosphère, applique à son système une force égale et opposée à celle qui produit le mouvement diurne, de manière à obtenir l'état de repos absolu ; et la surface de la terre se déroule à ses pieds — dans le temps, ni plus ni moins, qu'il faut à notre globe pour accomplir sa rotation sur lui-même, c'est-à-dire vingt-quatre heures, — passe-temps que seuls les habitants du soleil peuvent se procurer, si toutefois, dans ce monde éloigné, l'industrie est parvenue à créer des instruments d'optique d'une puissance suffisante. Etc., etc.

Mais laissons pour ce qu'elles valent ces idées fantaisistes, n'ayant d'autre effet que d'anticiper sur le progrès, ni d'autre but que de tendre à nous démontrer l'impossibilité des moyens à employer pour l'accomplir, en ridiculisant ces mêmes moyens. Quant à nous, qui accueillons toujours les idées nouvelles, dans l'espoir d'y rencontrer le germe du bonheur absolu de l'humanité, proclamons ces paroles d'un auteur connu :

"Que tous ceux dont le cœur palpite aux grandes questions du progrès, que tous ceux dont l'esprit s'exalte pour la grande cause universelle, travaillent, chacun selon son impulsion intime."

[…]

Locomotion aérienne par la puissance élastique de l'air

[…] Le vent, qui tend à élever un parapluie et par suite l'homme qui le tient ; le vent, qui enlève la toiture d'un hangar, fait naître l'idée qu'on peut parvenir à élever un corps par des courants d'air d'une puissance suffisante, produits au moyen de ventilateurs ou machines soufflantes mues par une force proportionnée. Partant de ce principe, je suppose un ballon d'une forme quelconque, conique par exemple, large à sa base, de manière à pouvoir, en dehors de sa force d'ascension, jouer le rôle de parachute que joue la queue de l'oiseau.

Au-dessous du ballon et s'y rattachant est une boîte qui renferme un ventilateur, mû par une force quelconque... un homme, une machine à vapeur. Ce ventilateur vient dégager son courant d'air sous la base du ballon, ainsi que la fig. 5 peut en donner l'idée. La puissance d'élévation du ballon est telle, qu'elle ne suffit pas pour entraîner l'appareil : elle n'a pour effet que de le faire sautiller, à l'instar de l'oiseau sur le point de s'envoler.

Si, dans cet état, l'appareil était muni d'ailes fonctionnant en tous points comme celles de l'oiseau, il est évident qu'il s'élèverait. Mais, je le répète, l'art mécanique ne pouvant guère donner le moyen de construire des ailes susceptibles d'agir avec la régularité, la force nerveuse élastique et souple se manifestant dans le jeu des ailes de l'oiseau, je produis le même effet par le courant d'air cité plus haut, qui, venant agir sous le ballon, rompt l'équilibre et enlève le système par l'addition de son effort à celui du ballon.

La question se réduit donc à celle de chercher un mécanisme capable de produire un courant d'air suffisant. S'il est impossible d'arriver à construire un tel engin, il est du moins juste de reconnaître la vérité du principe posé, basé sur l'équilibre de densité des corps et sur la puissance des courants d'air employés comme moteurs. Pour se faire, d'ailleurs, de ce principe une juste idée, qu'on suppose un homme tenant, à la façon d'un parapluie, un ballon parachute conditionné de manière à renfermer dans sa double enveloppe une quantité de gaz presque suffisante pour enlever l'homme; qu'on suppose, en outre, cet homme doué de poumons d'une vigueur extraordinaire, lui permettant de produire par son souffle, sous le parachute, un puissant courant d'air dont l'effort s'ajouterait à celui même du parachute : il est évident que si ce courant est d'une force suffisante, il déterminera l'ascension de l'homme.

Translation ou direction en ligne droite

Mais la question principale est d'arriver à diriger la machine dans tous les sens. Or, un corps plus lourd que l'air, une fois élevé, sera plus facile à diriger qu'un ballon, attendu que l'inertie de ce corps offrira de la résistance aux courants qui s'opposeraient à son déplacement et qu'il emmagasinera, par suite de l'impulsion reçue, une certaine quantité de travail destiné à se restituer en temps opportun. La direction d'un engin plus lourd que l'air élevé par le moyen qui vient d'être décrit peut et doit être obtenue par le même moteur. Qu'il me soit permis de citer à l'appui de cette assertion le passage suivant, extrait d'un auteur dont je partage tout à fait l'opinion sur ce point :

« En résumé, il est positif que vous avez le moyen de vous transporter, par le seul fait que vous avez possession du moyen de vous élever. La seule hauteur vous donne la direction. Dès que vous avez obtenu l'élévation, vous avez employé et placé là un capital de force que vous n'avez plus qu'à dépenser comme « vous l'entendrez."

Donc, si le courant d'air que j'ai cité peut élever le ballon, il doit pouvoir le diriger, et voici comment : j'adapte à l'appareil une voile d'une forme conique, disposition qui permet de vaincre plus facilement la résistance de l'air; dans cette voile, je dirige un courant obtenu par le ventilateur; or, si ce nouveau courant est assez puissant, il déterminera, dans le sens de sa direction la locomotion du système.

Changement de Direction

Quant aux changements de direction, ils doivent être l'objet d'un mécanisme à part. On pourrait les obtenir au moyen d'un gouvernail placé, comme dans le bateau, à l'arrière de l'appareil et je ne doute pas que ce gouvernail, manœuvré avec adresse, ne détermine toutes les variations voulues de direction. Un autre moyen également simple consisterait à faire en sorte que la voile conique fût mobile et qu'on put la tourner, ainsi que le tuyau de prise d'air, dans la direction à prendre; alors le courant d'air déterminerait Je mouvement de translation de l'appareil dans cette direction.

Conclusion : possibilité du Vélocipède aérien.

En présence de l'échec éprouvé par tous ceux qui jusqu'à ce jour ont tenté de résoudre le problème de la navigation aérienne, il est sans doute téméraire de traiter un sujet si ardu. Aussi m'empressé-je, en terminant ce modeste travail, de réclamer toute l'indulgence de mes lecteurs, les priant de ne voir dans cette publication qu'un seul et unique mobile : le but de proposer un système de nature à laisser du moins entrevoir la solution théorique, s'il n'est pas susceptible par lui-même de résoudre complètement le problème au point de vue pratique.

Il a été dit que le mécanisme de l'engin pourrait être mu par un homme ou une machine à vapeur. Soit donc par un homme. Celui-ci, commodément installé, pourra agir avec ses pieds sur des manivelles adaptées à l'axe du ventilateur, et par là produire la rotation de ce dernier. En même temps, il dirigera les courants d'air ainsi obtenus sous le ballon et dans la voile, tout en manoeuvrant le gouvernail pour les changements de direction ou s'il emploie une voile mobile, il la déplacera au moyen d'une longue ficelle qu'il tiendra constamment à sa portée : double et même triple opération, qui nécessitera un continuel mouvement de tout le corps de l'aéronaute et constitue un vélocipède aérien dans toute l'acception du mot. (Fig. 7.) »


HANRY, Navigation aerienne par le plus lourd que l'air fondée sur le vol de l'oiseau envisagé au point de vue mécanique: Possibilité du vélocipède aérien, Paris, Imp. Dubuisson et cie, 1869.

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