samedi 3 avril 2010

La peur du choléra, pis que le choléra lui-même ? (Mme Vion-Pigalle, 1865)


« Au moment où j'écris ces lignes, le choléra semble être en voie de décroissance à Paris. Plaise au Ciel que ce ne soit pas une amélioration temporaire, et qu'après un temps d'arrêt, l'épidémie ne reprenne pas une nouvelle vigueur, sous l'influence de changements barométriques!

Dût-il en être autrement, et le choléra reprît-il de nouveau une marche croissante, devons-nous nous laisser aller à cette panique dont tant de personnes ont été saisies ? De ce qu'une maladie épidémique vient s'abattre sur une ville, faut-il en inférer qu'elle va frapper tout le monde ? […]

Il existe en ce moment, dans toutes les classes de la société, une panique tellement grande, que l'on pourrait dire, jusqu'à un certain point, que la peur est bien souvent plus grande que le mal.

Je vois journellement, dans ma clientèle, des personnes prises de coliques et de frissons, rien que parce qu'elles sont effrayées. Il est donc urgent de remonter le moral de la population, tout en donnant des conseils hygiéniques et préservatifs. […]

Chacun connaît la pernicieuse influence produite par l'imagination : chez beaucoup de personnes, les émotions morales vives retentissent particulièrement sur les intestins. Qu'on me permette de rappeler ici une expression vulgaire, mais qui dépeint l'effet de certaines émotions : "J'ai eu la colique de peur," disent certaines personnes. Or, les douleurs d'entrailles sont passagères, dans ce cas, comme la peur qui en est la cause. On peut juger, d'après cela, des effets produits sur les intestins par une peur incessante, et telle que l'éprouvent ceux qui sont poursuivis par le fantôme du choléra.

Le mari d'une dame à laquelle j'ai donné des soins, il y a quelques mois, pour une déviation de l'utérus, a été tourmenté, depuis qu'il est question du choléra, de cauchemars qui le troublent toutes les nuits au milieu de son sommeil. Il se lève, sonne ses domestiques, met toute la maison sur pied, se fait préparer des infusions de tout genre, et veut qu'on brûle sans cesse des essences de toutes sortes dans l'appartement.

Mme la baronne de L***, qui habite les environs d'Alençon, et qui est venue à Paris se confier à mes soins, me disait que son mari avait maigri de trente-cinq livres pendant le choléra de 1849, rien que par l'effet de la peur de l'épidémie. […]

Combien ai-je déjà vu de personnes affectées de maux de tête, de vertiges, de frissons, d'inappétence, et se croire au début d'une attaque de choléra, alors qu'elles n'avaient qu'une simple indisposition, un commencement de rhume, de grippe, une simple migraine !

Mme X appartenant à l'une des grandes familles de la finance, mariée depuis trois mois seulement, et déjà dans une situation intéressante, me fait chercher dans la nuit du 16 octobre dernier. Je suppose qu'elle est menacée d'une fausse couche, et je me hâte d'arriver chez elle. Je la trouve pâle, défaite, dans un état d'agitation et d'anxiété impossible à dépeindre. Dès qu'elle m'aperçoit, elle me prend les mains et me supplie de ne pas l'abandonner, certaine qu'elle est d'avoir le choléra. Elle ne présentait cependant aucun des symptômes de cette affection ; il me fallut néanmoins passer plusieurs heures auprès d'elle pour la désabuser, pour lui faire comprendre qu'elle n'avait du choléra que la peur. Cette crise s'est terminée par deux garde-robes, et le lendemain, Mme X reprenait sa vie habituelle. »

 
Mme Vion-Pigalle (maîtresse sage-femme de la Faculté de médecine de Paris), De la peur du choléra et de l'influence pernicieuse que ce sentiment exerce sur la santé, Paris, chez l'auteur, 1865.

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