samedi 3 avril 2010

Le travail des enfants dans les mines de charbon : l'exemple du Royaume-Uni au début des années 1840 (2e partie)

« 6. Nature des travaux. — La tâche des plus jeunes enfants consiste généralement à ouvrir et à fermer les trappes ou portes d'aérage dans les galeries (trapping), et nécessite leur présence dans les fosses dès le commencement des travaux jusqu'à l'heure où ils finissent. Cet emploi mérite à peine le nom de travail ; cependant les enfants qui en sont chargés sont le plus souvent forcés de rester dans l'obscurité, et dans un isolement qui équivaudrait au confinement solitaire le plus rigoureux, n'était le passage des wagons destinés au transport du charbon.

Dans les districts où les couches de houille sont assez épaisses pour permettre aux chevaux de se rendre directement aux travaux, ou dans ceux où les galeries latérales qui conduisent des tailles aux voies de niveau ne sont pas assez longues pour exclure la lumière, la situation des jeunes ouvriers est comparativement moins pénible, moins ennuyeuse, moins abrutissante; mais dans quelques districts ces petits malheureux restent dans l'obscurité et la solitude pendant tout le temps qu'ils demeurent dans les fosses, et d'après leur propre témoignage, il se passe souvent plusieurs semaines, pendant la saison d'hiver, sans qu'ils aperçoivent la lumière du jour, excepté le dimanche, ou lorsque les travaux sont accidentellement suspendus.

Les couches de houille exploitées varient en épaisseur, de 10 pouces anglais à 10 yards. Or, la grandeur et l'élévation des galeries dépendent de cette épaisseur. Beaucoup de ces galeries n'ont que 24 à 50 pouces de haut; d'autres n'en ont que 18. On peut se figurer la position déplorable où se trouvent les enfants que leur petite stature fait spécialement réserver pour des travaux qui s'opèrent dans un espace aussi resserré. — Qu'on nous permette de citer ici quelques passages de l'enquête pour faire mieux apprécier la gêne, les souffrances, les tortures que doit nécessairement entraîner un mode d'occupation que l'on ne saurait qualifier trop sévèrement.

"Dans le district d'Halifax, les couches de charbon, dans plusieurs mines, n'ont guère que 14 et dépassent rarement 30 pouces d'épaisseur; il s'ensuit que les ouvriers adultes manquent de l'espace nécessaire pour travailler même dans une position courbée ; pour tailler, il sont obligés de se coucher tout du long sur le sol raboteux, la tète appuyée sur une petite planche ou une sorte de courte béquille. Lorsqu'ils ont un peu plus d'espace, ils travaillent assis sur un genou, l'autre étendu, de manière à pouvoir balancer le corps. Pendant tout le temps qu'ils passent dans ces conduits étroits, obscurs, privés d'air, accablés par la chaleur, ils sont dans un état de complète nudité. Il se trouve proportionnellement un assez grand nombre d'enfants occupés dans ces houillères. Heureusement que le service des trappes ou portes d'aérage n'en réclame qu'un petit nombre; mais ceux qui sont chargés de ce travail monotone demeurent, comme ailleurs, plongés dans une complète obscurité."

"Je n'oublierai jamais, dit l'un des sous-commissaires, l'impression que j'éprouvai à la vue de la première créature infortunée que je rencontrai employée de celle manière; c'était un petit garçon âgé de 8 ans environ, qui me regarda, à mon passage, avec une expression d'hébétement et d'idiotisme qui me glaça le cœur. — C'était une sorte de spectre rampant qui ne pouvait se trouver que dans ce lieu désolé. Lorsque j'approchai pour lui adresser la parole, il se blottit dans un coin, tremblant de tous ses membres, craignant sans doute que je ne le maltraitasse, et ni promesses ni menaces ne purent l'engager à quitter la retraite où il se croyait sans doute en sûreté."

"Dans le même district, les petits wagons, qui servent au transport du charbon dans l'intérieur des fosses, reçoivent une charge qui varie de 2 à 5 quintaux. Ils sont portés sur 4 roues en fer fondu, de 5 pouces de diamètre, et roulent sur un sol mal aplani toutes les fois que des rails ne conduisent pas des travaux de taille aux puits d'extraction. Ce sont des enfants qui traînent ces wagons en passant par des galeries qui, quelquefois, n'ont que 16 à 20 pouces d'élévation. Il s'ensuit que, pour accomplir ce travail fatigant, ces petits malheureux sont obligés de ramper sur les pieds et sur les mains; pour l'alléger, ils mettent autour de leur corps nu une large ceinture de cuir à laquelle pend une chaîne de 4 pieds de longueur environ, qui s'attache au wagon à l'aide d'un fort crochet. Dans les passages un peu plus élevés ils traînent leur fardeau avec la ceinture et la chaîne en marchant le corps courbé et à reculons. Lorsqu'ils ont enfin atteint les grandes galeries de communication, ils détachent la chaîne et, changeant de position, ils poussent le wagon qu'ils traînaient auparavant, avec célérité, jusqu'au cuffal, en s'aidant à cet effet de la tête et des mains. II est vraiment extraordinaire de voir avec quelle adresse ces enfants dirigent les waggons au milieu des courbes et des angles formés par les passagesqui s'enlre-croisent, toujours courant sur un sol inégal, au milieu des eaux, des pierres et de la boue. Les plus jeunes enfants sont réunis deux à deux pour pousser les waggons."

"Les filles âgées de 5 à 18 ans sont occupées de la même manière que les garçons. Il n'est fait aucune distinction entre eux pour l'entrée et la sortie des mines, — dans le mode de traîner ou de pousser les waggons, — dans la charge de ceux-ci ou des paniers et les distances à parcourir, — dans l'habillement et le taux des salaires. Il n'est guère possible d'ailleurs de distinguer, soit dans l'obscurité des galeries et des conduits où ils sont enfouis pendant le travail, soit à la clarté du grand jour dans leurs demeures, la moindre différence entre les enfanls des deux sexes."

Le sous-commissaire chargé de l'inspection des houillères du Lancashire et du Cheshire joint à la description qu'il donne de l'occupation des trappiers (trappers) dans ce district un dessin représentant un de ces petits malheureux au moment où il ouvre une des portes d'aérage pour donner passage à un waggon. L'enfant qui remplit ces fonctions est représenté assis sur les talons, position habituelle aux bouilleurs, jeunes et vieux, dans ce district.

"Cette occupation est l'une des plus pénibles, par suite de son extrême monotonie. Elle n'exige d'autre mouvement et d'autre travail que ce qu'il en faut pour ouvrir et fermer une porte. Comme les enfants qui en sont chargés sont toujours choisis parmi les plus jeunes, je les ai toujours trouvés très timides, répondant à peine aux questions qu'on leur adressait. Ils passent leur temps assis dans l'obscurité, souvent pendant douze heures de suite, ouvrant et fermant une porte pour donner passage aux wagons. Ils subissent ainsi une sorte de confinement solitaire qui finit par les rendre presque idiots. » (J. L. KENNEDY, Report, § 122.)

Mais le plus grand nombre d'enfants employés dans les houillères sont occupés à charger et à traîner les wagons ; pour faire mouvoir ces derniers, ils les poussent en avant avec toute la vélocité que comportent l'inclinaison de la galerie, l'état de la roule et la force musculaire du manœuvre. Dans la plupart des mines du district du Lancastre et du Cheshire, les galeries sont munies de rails, et les wagons ont des roues dont le diamètre est de 4 à 6 pouces. On y trouve cependant encore des fosses où l'on a conservé l'ancienne coutume de charrier le charbon à l'aide de paniers ou de traîneaux en bois. Le traîneur est muni d'une ceinture de cuir à laquelle est suspendue une chaîne qui est attachée au traîneau au moyen d'un crochet. Harnaché de la sorte, il rampe sur les pieds et sur les mains, traînant après lui son fardeau. S'il n'est pas assez fort, on lui adjoint un autre enfant un peu plus jeune qui pousse le traîneau par derrière. Le poids des wagons ou des traîneaux chargés varie, dans les différentes mines de ce district, depuis 2 1/2 jusqu'à 9 quintaux; mais dans les fosses où l'on se sert de traîneaux sans roues, il n'excède pas 5 1/2 à 4 quintaux.

Le sous-commissaire a joint à son rapport des dessins qui indiquent la manière dont s'opère le transport du charbon dans les galeries de diverses élévations. L'un de ces dessins représente trois jeunes enfants occupés à traîner et à pousser un wagon chargé. L'enfant qui est en tète est enchaîné au wagon qu'il traîne de toutes ses forces; il est secondé par les deux autres enfants qui poussent par derrière. Leur tête est de niveau avec le wagon, et leur corps est dans une position à peu près horizontale. On a voulu empêcher ainsi que la tête n'aille heurter contre le plafond de la galerie, en même temps qu'on augmentait la force de traction. L'enfant qui traîne se sert, à cet effet, des mains comme des pieds; de celte manière, tout le poids de son corps est supporté par la chaîne qui part de sa ceinture pour se rattacher au wagon, tandis qu'il perdrait beaucoup de sa force s'il rampait sur les genoux. On a remarqué que les enfants chargés de pousser usaient tellement leurs cheveux en appuyant la tête sur le derrière des wagons, qu'ils en devenaient presque chauves (First report, p. 77-82.) [...]

Le sous-commissaire, M. R. H. Franks, représente ce travail comme un cruel esclavage qui offense l'humanité ; il a vu un enfant, une charmante petite fille, âgée seulement de 6 ans, portant sur le dos un demi-quintal de charbon, et faisant régulièrement, avec ce lourd fardeau, quatorze longs et pénibles voyages par jour. — "Pour apprécier, dit-il, ce genre de travail, il suffira de décrire les localités où il s'exerce. La pauvre petite fille dont je viens de parler (et des centaines d'enfants sont dans le même cas) doit d'abord descendre dans la bure, au moyen d'échelles, jusqu'à l'endroit où se trouve le puits par où l'on remonte à la surface du sol la houille déposée par les porteurs dans les paniers ou les cuffafs; là elle prend un panier dans lequel s'emboîte le dos et qui s'aplatit en s'élargissant vers le cou, et munie de cet appareil, elle poursuit son chemin jusqu'aux travaux de taille. On y remplit son panier, qu'un homme a souvent de la peine à soulever, pour le recharger sur ses petites épaules. On passe sur le devant de la tête de l'enfant une bande de cuir qui est destinée à retenir le fardeau ; on ajoute quelques morceaux de grosse houille sur le cou, et la pauvre petite créature commence son pénible voyage; le corps courbé et presque affaissé sous celte charge énorme, après avoir attaché sa lampe au bandeau qui recouvre son front.

De la taille à la première échelle il y a une distance de plus de 80 pieds ; cette échelle a 18 pieds de haut; après l'avoir gravie, l'enfant fait de nouveau quelques pas et trouve une seconde échelle, puis une troisième, une quatrième, etc., qu'elle gravit successivement jusqu'à ce qu'elle atteigne le fond de la bure où elle jette dans le cuffat son fardeau. Ce trajet est ce qu'on appelle un voyage ; il dépasse la hauteur de la cathédrale de Saint-Paul, à Londres (110 mètres), si l'on ajoute à la montée des échelles l'intervalle qui les sépare les unes des autres. Il arrive parfois que la bande de cuir qui retient le panier se brise pendant l'ascension, et que le fardeau dans sa chute écrase ou blesse grièvement les enfants qui se suivent à la file. Quelque incroyable que soit la chose, j'ai interrogé des pères qui m'ont avoué avoir eu des hernies en s'efforçant de charger du charbon sur le dos de leurs enfants.

"Lorsque, — dit en terminant M. Franks, — on considère la nature de cet horrible travail, son extrême sévérité, sa durée excessive, qui est de 12 à 14 heures par jour, et qui même, une fois au moins par semaine, se prolonge pendant toute la nuit ; l'atmosphère humide, chaude et malsaine dans laquelle travaillent les bouilleurs; le jeune âge et le sexe d'un grand nombre de ces derniers; lorsqu'on considère que ce travail, bien loin d'être une exception, n'est au contraire que le lot habituel et la condition de l'existence journalière de plusieurs centaines de créatures formées comme nous à l'image de Dieu, l'esprit recule épouvanté. Cette oppression cruelle et cet esclavage systématique ne pourraient être même soupçonnés par ceux qui n'ont pas été en position d'en constater par eux-mêmes la désolante réalité." »

à suivre...

Edouard DUCPETIAUX, De la condition physique et morale des jeunes ouvriers et des moyens de l'améliorer, Bruxelles, Méline, 1843, Vol. 2.

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