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jeudi 9 septembre 2010

"Tout le reste de la journée nous étions au bord de la mer" (anonyme, 1851)

« Un jour de l'automne dernier, Evélina était à son piano, étudiant sa leçon, quand la porte du salon s'ouvrit devant deux de ses amies qu'elle n'avait pas vues depuis plus d'un mois.

Evélina poussa un cri de joie, les autres en firent autant, et, selon l'habitude, les petites filles se mirent à s'embrasser en parlant toutes les trois à la fois. Questions et réponses partaient, se croisaient, comme les fusées d'un feu d'artifice.

Quelques minutes suffirent pour laisser passer ce flot de paroles, et alors ces demoiselles, un peu calmées parce qu'elles avaient déchargé leur cœur, commencèrent à causer raisonnablement. Ecoutons-les.

Marie : Nous savons en gros que vous êtes tous allés aux bains de mer, que vous vous êtes beaucoup amusés. Mais cela ne nous suffît pas ; il faut, ma petite Evélina, que tu nous racontes cela de fil en aiguille. […]

Berthe : […] D'abord où êtes-vous allés ?

Évélina : A Sainte-Marie ; c'est un hameau tout près de Pornic. Pornic est un petit port de mer situé sur la côte de Bretagne, à douze kilomètres au sud de l'embouchure de la Loire.

Berthe : Au sud ! Est-ce que tu vas nous parler comme un capitaine de vaisseau ? Le sud, est-ce à droite ou à gauche ? parle-nous comme tout le monde.

Marie : […] Vous avez donc passé un grand mois à Sainte-Marie, dans un tout petit village ?

Évelina : Dans un tout petit village. Figurez-vous une pauvre église de campagne, une espèce de grange surmontée d'un clocher; autour de l'église une trentaine de maisons jetées sans ordre, et au lieu de rues des chemins où en hiver il doit y avoir un pied de boue.

Berthe : Et vous ne vous êtes pas ennuyée à mourir dans un pareil endroit !

Évelina : Non ; et cela par une raison bien simple, c'est que si la maison que nous avions louée était à Sainte-Marie, nous n'y rentrions que pour manger et dormir : tout le reste de la journée nous étions au bord de la mer, tantôt d'un côté, tantôt de l'autre.

Berthe : Et que pouviez-vous y faire ?

Évélina : D'abord, prendre tous les jours notre bain ; ensuite, nous promener, chercher des coquillages, ramasser des moules, attraper des crabes, pêcher dans les flaques des petits poissons ; fureter dans les trous, sous les pierres, pour y trouver une foule d'animaux plus drôles, plus curieux les uns que les autres. Que sais-je encore ? Ce qu'il y a de certain, c'est que quand l'heure du déjeuner, du dîner ou du coucher arrivait, nous étions si affairés que nous demandions toujours des minutes de grâce pour achever quelque chose de commencé.

Marie : Et comment prend-on les bains de mer ?

Évélina : Voici la manière dont nous nous baignions. Il se peut qu'on se baigne avec plus de cérémonie ailleurs; j'ai entendu parler d'espèces de petites voitures qu'on roulait dans la mer; mais je n'ai rien vu de semblable, et je ne puis vous parler que de la méthode généralement suivie à Pornic et dans les environs.

Nous avions adopté, pour prendre nos bains, une petite anse située à dix minutes de Sainte-Marie, et presque au pied du phare de Pornic. Cette anse, creusée par la mer dans la ceinture de rochers qui borde la côte depuis Pornic jusqu'à l'embouchure de la Loire, semble avoir été faite exprès pour l'agrément des baigneurs. Ils y trouvent une plage du plus beau sable, unie et moelleuse comme un tapis, et si légèrement inclinée qu'en s'avançant dans l'eau on ne peut craindre d'être brusquement surpris par sa profondeur, puisqu'à chaque pas en avant cette profondeur augmente à peine d'un travers de main.

Au fond de cette anse le gardien du phare place tous les ans une rangée de cabanes qui ressemblent tout à fait aux guérites des soldats, à la seule différence qu'elles sont munies d'une porte pour s'enfermer et d'un carreau de vitre pour les éclairer. Le mobilier de chacune d'elles se compose d'un banc pour s'asseoir, d'un portemanteau et de chevilles pour suspendre ses habits, d'un petit miroir, et enfin d'une boîte pour placer sa bourse et sa montre quand on en a. C'est dans ces cabanes que nous nous déshabillions, et que nous mettions notre costume de bain... un joli costume, allez ! dans lequel on est fagotée à faire peur : il consiste en un large pantalon de grosse laine roussâtre, en une blouse fermée de même étoffe ; et il est complété par un serre-tête de toile cirée, qui empêche les cheveux d'être mouillés. Quand chacun avait fait cette superbe toilette et que nous étions toutes prêtes, nous prenions la corde...
Berthe : Quelle corde?

Évélina : Tiens, c'est vrai ; j'ai oublié de vous parler de la corde. C'est une corde solidement fixée à la tète de pieux qui s'avancent en ligne droite dans la mer. En allant d'un pieu à l'autre cette corde forme donc une espèce de rampe à laquelle on se tient à deux mains ; sans ce point d'appui des fillettes comme nous seraient renversées par les moindres vagues.

C'est donc en suivant la corde que l'on entre dans l'eau, et l'on va jusqu'à ce que l'on en ait presque au menton. Alors on danse, on saute, on s'en donne à cœur joie. Chaque fois qu'on voit arriver une lame plus haute que les autres, on crie : A la lame ! pour que tout le monde se mette sur ses gardes, c'est-à-dire serre la corde, et ferme la bouche ; et la vague vous soulève, et passe majestueusement au-dessus de vos têtes.

Marie : Alors vous vous trouviez tout à fait sous l'eau ? Et vous n'aviez pas peur ?

Évélina : Pas le moins du monde. Cela nous amusait, au contraire, beaucoup. On ne reste sous l'eau qu'un instant, pendant que la lame passe pour aller se fondre en écume sur le rivage. Quelquefois cependant nous étions bien attrapées ; c'est quand nous étions surprises par une lame pendant que, nous soulevant de terre, nous nous laissions flotter sur l'eau suspendues à la corde : c'était là notre manière de l'aire la planche. Mais pendant qu'on se balançait ainsi en babillant, arrivait sournoisement une lame qui vous coupait la parole et vous salait la bouche... et, pour vous consoler, on se moquait de vous.

Berthe : Mais si malheureusement, dans ces moments-là, vous aviez lâché la corde ?

Évelina : Vous ne sauriez vous imaginer combien on s'y cramponne, sans avoir besoin d'y penser, et par un mouvement naturel. Puis je suppose que cela me fût arrivé : la vague m'eût emportée vers le rivage, et laissée presque à sec sur le sable. De plus il y avait toujours là le maître nageur, prêt à nous repêcher, comme il disait. Enfin nous allions toujours nous baigner à marée montante, quand le courant et les lames portent à terre.

[…] Ce n'est que vers la fin de notre séjour à Sainte-Marie que nous n'avons plus pris nos bains avec le même plaisir, à cause de l'apparition d'une énorme quantité de méduses. Ce sont bien les plus dégoûtantes bêtes qu'on puisse imaginer. […] Eh bien, pendant les huit derniers jours que nous sommes restés à Sainte-Marie, non seulement on ne pouvait faire un pas sur la plage sans rencontrer des cadavres de méduses ; mais quand nous nous baignions, celles qui flottaient encore venaient à chaque instant nous passer sous le nez, et nous avons fini par ne plus entrer dans l'eau qu'une baguette à la main, pour les écarter de nous. »

C. G., Les enfants au bord de mer, Tours, Ad. Mame & Cie, 1851.

vendredi 27 août 2010

"Le peuple est sage... et beaucoup plus heureux aussi qu’avant la révolution" (P.-L. Courrier, 1822)

« PETITION POUR DES VILLAGEOIS QUE L'ON EMPÊCHE DE DANSER.

Véretz [Indre-et-Loire], 15 juillet 1822.

Messieurs, […]

Je demande qu’il soit permis, comme par le passé, aux habitants d’Azai de danser le dimanche sur la place de leur commune, et que toutes défenses faites à cet égard par le Préfet, soient annulées. […]

Le peuple est sage, quoiqu’en disent les notes secrètes. Nous travaillons trop pour avoir temps de penser à mal, et s’il est vrai ce mot ancien, que tout vice naît d’oisiveté, nous devons être exempts de vice, occupés comme nous le sommes six jours de la semaine sans relâche et bonne part du septième, chose que blâment quelques-uns. […]

Les fêtes d’Azai étaient célèbres, entre toutes celles de nos villages […]. En effet, depuis que les garçons dans ce pays font danser les filles, c’est-à-dire depuis le temps que nous commençâmes d’être à nous, paysans des rives du Cher, la place d’Azai fut toujours notre rendez-vous de préférence pour la danse et pour les affaires. Nous y dansions comme avaient fait nos pères et nos mères, sans que jamais aucun scandale, aucune plainte en fût avenue de mémoire d’homme, et nous ne pensions guère, sages comme nous sommes, ne causant aucun trouble, devoir être troublés dans l’exercice de ce droit antique, légitime, acquis et consacré par un si long usage, fondé sur les premières lois de la raison et du bon sens ; car apparemment c’est chez soi qu’on a le droit de danser, et où le public sera-t-il chez lui, sinon sur la place publique ? On nous en chasse néanmoins ; un firman du préfet qu’il appelle arrêté, naguère publié, proclamé au son du tambour, considérant, etc. défend de danser à l’avenir, ni jouer à la boule ou aux quilles, sur ladite place, et ce, sous peine de punition. Où dansera-t-on ? Nulle part ; il ne faut point danser du tout ; cela n’est pas dit clairement dans l’arrêté de M. le préfet ; mais c’est un article secret entre lui et d’autres puissances, comme il a bien paru depuis. On nous signifia cette défense quelques jours avant notre fête, notre assemblée de la Saint-Jean. […]

Le curé d’Azai […] est un jeune homme bouillant de zèle, à peine sorti du séminaire, conscrit de l’église militante, impatient de se distinguer. Dès son installation, il attaqua la danse, et semble avoir promis à Dieu de l’abolir dans sa paroisse, usant pour cela de plusieurs moyens, dont le principal et le seul efficace, jusqu’à présent, est l’autorité du Préfet. Par le préfet, il réussit à nous empêcher de danser, et bientôt nous fera défendre de chanter et de rire. Bientôt ! que dis-je ? Il y a déjà de nos jeunes gens mandés, menacés, réprimandés pour des chansons, pour avoir ri. […]

Le peuple est sage, comme j’ai déjà dit, plus sage et beaucoup plus heureux aussi qu’avant la révolution ; mais il faut aussi l’avouer, il est bien mois dévôt. Nous allons à la messe le dimanche à la paroisse, pour nos affaires, pour y voir nos amis ou nos débiteurs ; nous y allons ; combien reviennent (j’ai grand honte à le dire) sans l’avoir entendue, partent, leurs affaires faites, sans être entrés dans l’église. Le curé d’Azai, à Pâques dernières, voulant quatre hommes pour porter le dais, qui eussent communié, ne les put trouver dans le village ; il en fallut prendre de dehors, tant est rare chez nous et petite la dévotion. En voici la cause, je crois. Le peuple est d’hier propriétaire, ivre encore, épris, possédé de sa propriété ; il ne voit que cela, ne rêve d’autre chose, et nouvel affranchi de même, quant à l’industrie, se donne tout au travail, oublie le reste et la religion. Esclave auparavant, il prenait du loisir, pouvait écouter, méditer la parole de Dieu et penser au ciel où était son espoir, sa consolation. Maintenant, il pense à la terre qui est à lui et le fait vivre. Dans le présent ni dans l’avenir, le paysan n’envisage plus qu’un champ, une maison qu’il a ou veut avoir, pour laquelle il travaille, amasse sans prendre repos ni repas. Il n’a d’idée que celle-là, et vouloir l’en distraire, lui parler d’autre chose, c’est perdre temps. Voilà d’où vient l’indifférence qu’à bon droit nous reproche l’abbé de La Mennais, en matière de religion. Il dit bien vrai ; nous ne sommes pas de ces tièdes que Dieu vomit, suivant l’expression de Saint-Paul, nous sommes froids, et c’est le pis. C’est proprement le mal du siècle. [...]

Paul-Louis Courrier, vigneron.»

vendredi 13 août 2010

"Il paraît que, quand on déjeune sur l'herbe, les femmes déjeunent sans chemise" (M. Roux, 1869)

Edouard Manet, Le déjeuner sur l'herbe (1863). Paris, Musée d'Orsay.

« On était arrivé à Asnières. Évariste entra seul dans une hôtellerie et en sortit avec un panier couvert, empli de provisions.
— As-tu soigné le menu? dit Raoul.
— Allons !... ça pèse !... ajouta Pont-Louis-Philippe en tâtant le panier.
— Voyons... quoi qu'il y a de bon... là-dedans ?... s'écrièrent en chœur les trois femmes.
— Laissez-moi vous faire une surprise, répondit Évariste. On n'ouvrira le panier qu'au moment du festin.

On descendit au bord de l'eau où étaient amarrés des canots. On en choisit un et le batelier fouetta l'eau de ses rames en s'arc-boutant d'un pied contre une traverse de bois. La barque gagna le milieu de la rivière et remonta le courant.
— Vous nous assurez, disait Raoul au batelier, que l'île où vous nous menez est riante et bien ombragée ?
— C'est ce qu'il y a de mieux par ici. Du reste, il ne vient pas un amateur qui ne s'y arrête et ne s'en retourne satisfait.
— Très-bien... et vogue la galère !..,
— J'aime assez le doux balancement de la barque, faisait Gabrielle. — Cela a quelque cbose de voluptueux,., n'est-ce pas, mon chat?
— Ne t'abandonne pas trop à cette volupté... ma minette... moi, je commence à avoir le mal de mer.
— C'est égal... ajoutait Pont-Louis-Philippe, le paysage est bête par ici... Cela ne vaut pas les bords du Rhin.
— Oh !... le Rhin !... s'écria Louise en mêlant à son exclamation des mots allemands.
Jeanne ruminait un air de son répertoire. Elle finit par trouver que le canot marchait sur une mesure à six-huit, et elle chanta une barcarole qui fit les délices de tous. Chacun allait de bon cœur au refrain. […]
— Nous voici, s'écria [Raoul], dans l'oasis rêvée par l'ami Évariste... Chapeau bas, messieurs ! et vous, mesdames, recueillez-vous...
— Plus tard, fit Pont-Louis-Philippe... Ouvrons le panier.
— Pas ici sur le sable, répondit Évariste. Pénétrons dans le bois, cherchons un bouquet d'arbres touffus, une nappe de gazon largement développée. Et Raoul :
"Le déjeuner sur l'herbe!... " où ai-je vu cela ?... Ah !... j'y suis... à l'Exposition de M. Manet...Tiens, c'est "très-chic !" Il paraît que, quand on déjeune sur l'herbe, les femmes déjeunent sans chemise... Mesdames... tâchez d'y mettre de la décence.

On était entré dans l'île. A peine Évariste et ses amis eurent-ils fait quelques pas qu'ils se trouvèrent en face d'une famille de marchands du Marais qui, elle aussi, se payait un déjeuner sur l'herbe. Ils passèrent, se disant avec un certain dépit que ce voisinage serait incommode si l'île n'était pas grande. Un peu plus loin, ils virent encore de nouveaux groupes et, encore une fois, ils passèrent en maugréant et en poussant en avant. Ils arrivèrent ainsi jusqu'au milieu de l'île.
Oh ! malechance ! là, une compagnie d'ouvriers, remuant de grosses pierres, battant du mortier, faisant bouillir du bitume, était en train de bâtir des maisons neuves, plantées sur une route tracée selon les lois de l'alignement et aboutissant à deux ponts à moitié construits qui la reliaient à la terre ferme.
— Allons, bon !... s'écria Raoul, voilà notre oasis qui "s'haussmannise !" Passons encore... peut-être que plus loin...
Ils apprirent que plus loin l'île était tout à fait pleine. De ce côté se trouvaient les cabanes et les guinguettes des ouvriers : tout cela était, pour le moment, transformé en établissements, bals, cafés, boutiques de foire, pour recevoir la foule qui, durant quelques jours encore, viendrait à Asnières et à Saint-Ouen célébrer la Pentecôte.
Évariste crut à une mystification et voulut voir la chose de ses propres yeux. Il confia aux ouvriers le panier qui lui pesait au bras et alla en reconnaissance, suivi de sa petite troupe.
On ne l'avait pas trompé ; l'île était envahie de ce côté. Il y avait foule partout : les cafés en plein vent n'avaient ni assez de tables ni assez de chaises ; on se faisait livrer à grand-peine des verres et des bouteilles pour aller boire aux alentours, sur l'herbe, par terre ; les salles de bal, salles dessinées par des clôtures à hauteur d'appui et des mâts aux flammes de couleur, étaient trop étroites et des quadrilles s'organisaient tout autour. Il y avait un peu de tout dans ce tas de monde : le bourgeois et l'artiste, la mercière et la cocotte se coudoyaient sans y prendre garde. Des petits chanteurs napolitains étaient venus échouer là, armés de harpes deux fois grosses comme eux, pour apprendre aux échos de la Seine à faire rimer Garibaldi avec macaroni et liberta avec la poulenta !
Il fut décidé qu'on irait déjeuner de l'autre côté.
— A la guerre comme à la guerre... disait Évariste ; c'est une partie manquée. Une autre fois...
Et Raoul en l'interrompant :
— Une autre fois, avant de nous mettre en route, nous irons demander à M. Manet où gît cette île enchantée, dans laquelle on peut déjeuner sur l'herbe sans... se gêner. »

Marius Roux, Évariste Plauchu : mœurs vraies du Quartier-Latin, Paris, E. Dentu, 1869.