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dimanche 17 octobre 2010

"Si je crois à la Liberté, c'est parce que je crois à l'Égalité" (P. Leroux, 1848)

Jules Ziegler (1804-1856), La République (1848), Musée des Beaux-Arts, Lille.


« … si vous me demandez pourquoi je veux être libre, je vous réponds : parce que j'en ai le droit ; et j'en ai le droit, parce que l'homme est égal à l'homme. Et de même, si je reconnais que la charité et la fraternité sont un devoir de l'homme en société, mon esprit n'en demeure d'accord qu'en vertu de l'égalité de notre nature.

Vainement vous m'objectez le fait actuel de l'inégalité qui règne partout sur la terre. Il est bien vrai, l'inégalité règne partout sur la terre ; nous la trouvons à quelque époque des temps historiques que nous remontions, et le jour où elle disparaîtra est peut-être encore bien loin. N'importe ; l'esprit humain s'est élancé au-dessus de cette fange de misères et de crimes que l'inégalité entraîne, et il a rêvé une société fondée sur l'Égalité. Puis, rapportant son idéal à Dieu, comme à la source éternelle du beau et du vrai, l'homme a dit : puisque, malgré ma faiblesse, je conçois un monde où règne l'Égalité, ce monde a dû être le monde voulu de Dieu ; il a donc été préconçu en Dieu, et, à l'origine, il est sorti de ses mains. Et, soit qu'en effet nous venions d'un Eden, d'un Paradis, d'un monde meilleur, soit que ce monde n'ait jamais été réalisé que spirituellement au sein de Dieu et dans notre âme, et que le seul monde organisé où l'Égalité ait régné jusqu'ici soit le monde embryonnaire de la nature, l'état de sauvagerie primitive où le genre humain touchait encore à l'animalité, toujours est-il que nous sommes fondés à dire que l'Égalité est en germe dans la nature des choses, qu'elle a précédé l'inégalité, et qu'elle la détrônera et la remplacera. C'est ainsi que, de cette double contemplation de l'origine et de la fin de la société, l'esprit humain domine la société actuelle, et lui impose pour règle et pour idéal l'Égalité.

Si donc, encore une fois, je crois à la Liberté, c'est parce que je crois à l'Égalité ; si je conçois une société politique où les hommes seraient libres et vivraient entre eux fraternellement, c'est parce que je conçois une société où régnerait le dogme de l'Égalité humaine. En effet, si les hommes ne sont pas égaux, comment voulez-vous les proclamer tous libres ; et, s'ils ne sont ni égaux ni libres, comment voulez-vous qu'ils s'aiment d'un fraternel amour ?

Ainsi, ce troisième terme égalité représente la science dans la formule. C'est une doctrine tout entière, je le répète, que ce mot ; doctrine prophétique, si vous voulez, en ce sens qu'elle regarde plutôt l'avenir que le présent; doctrine encore à l'état d'ébauche, et qui s'offre à beaucoup d'esprits comme vague, incertaine, ou même fausse, mais qui n'en est pas moins la doctrine déjà régnante à notre époque. […]

Il est bien vrai que ces trois mots, liberté, égalité, fraternité, s'impliquent au fond, et qu'on peut logiquement déduire d'un seul les deux autres. Mais il n'en est pas moins certain qu'ils sont d'ordres divers, en ce sens qu'ils correspondent aux trois facultés ou faces différentes de notre nature. En effet, vous aurez beau répéter aux hommes qu'ils sont libres et tous libres, ce mot de liberté n'équivaudra pour eux qu'à un droit égoïste d'agir. Ils en concluront leur propre virtualité, leur propre activité ; mais nul sentiment fraternel pour les autres hommes n'en résultera directement. C'est au nom de la Liberté qu'en tout temps et en tout pays les esclaves ont brisé leurs chaînes et terrassé leurs tyrans ; mais ce mot, bon pour la guerre, n'a jamais engendré ni clémence ni paix. Nulle morale ne peut résulter d'un mot qui exprime le droit d'être, de se manifester, d'agir, mais qui n'exprime et ne rappelle pas le sentiment et la connaissance, ces deux autres faces de la vie. Et de même, prêchez aux hommes la Fraternité ; vous les touchez sentimentalement, mais vous ne les éclairez pas. Les Chrétiens se sont faits moines, et ont admis tous les despotismes. Enfin l'homme qui aurait le plus réfléchi sur l'origine et le but de la société, et qui aurait de l'Égalité l'idée la plus sublime, aurait encore besoin d'exprimer la dignité de sa propre nature par le mot Liberté, et le lien qui l'unit aux autres hommes par celui de Fraternité.

Isolés, donc, ces trois mots n'expriment chacun qu'une face de la vie ; et, bien que les deux autres faces se retrouvent dans celle-là, à cause du mystère de l'unité qui constitue notre être, bien, par conséquent, que chacun de ces mots implique, comme nous venons de le voir, les deux autres, néanmoins chacun, par sa signification même , n'est qu'un lambeau de la vérité. Mais, unis, ils forment une admirable expression de la vérité et de la vie.

Sainte devise de nos pères, tu n'es donc pas un de ces vains assemblages de lettres que l'on trace sur le sable et que le vent disperse ; tu es fondée sur la notion la plus profonde de l'être. Triangle mystérieux qui présidas à notre émancipation, qui servis à sceller nos lois, et qui reluisais au soleil des combats sur le drapeau aux trois couleurs, tu fus inspiré par la vérité même, comme le mystérieux triangle qui exprime le nom de Jéhovah, et dont tu es un reflet.

Qui l'a trouvée cette formule sublime ? qui l'a proférée le premier ? On l'ignore : personne ne l'a faite, et c'est tout le monde pour ainsi dire qui l'a faite. Elle n'était pourtant littéralement dans aucun philosophe quand le peuple français la prit pour bannière. Celui qui le premier a réuni ces trois mots, et y a vu l'évangile de la politique, a eu une sorte d'illumination que le peuple entier a partagée après lui : l'enthousiasme, dans les révolutions, met à nu et révèle les profondeurs de la vie, comme les grandes tempêtes mettent quelquefois à nu le fond des mers. »

Pierre Leroux, De l’égalité, Boussac, imprimerie de Pierre Leroux, 1848.

samedi 17 juillet 2010

"Le génie civilisateur... désignait... le pape Pie IX... comme un nouveau Moïse" (C. Drigon de Magny, 1848)



« Un travail, dont la conception date de l'époque même de la découverte du Nouveau Monde, et regardé dès lors comme le plus immense bienfait dont l'humanité pût être dotée ; un travail jugé impraticable tant que la science ne s'était pas élevée à la hauteur de sa difficulté gigantesque, mais universellement reconnu de nos jours, après les études faites par les ingénieurs, comme possible et sur-le-champ réalisable ; un travail dont l'exécution mettrait ses auteurs au rang des hommes qui auraient le mieux mérité de la civilisation : le percement de l'isthme qui sépare l'océan Atlantique du grand océan Pacifique, complété par la canalisation de l'isthme de Suez, ne pourrait franchir l'intervalle qui sépare toute conception théorique de sa réalisation pratique, s'il n'était remis entre les mains d'une compagnie digne, par son organisation, d'en tirer parti, au profit de la religion, de la civilisation générale et de la paix du monde. […]

Le génie civilisateur, qui d'un seul coup a rendu à l'Eglise l'influence morale qui lui appartient, et qu'elle est accoutumée à exercer, à toutes les grandes époques, sur les événements et sur les hommes, désignait tout naturellement le pape Pie IX, à l'un de ses plus humbles mais aussi de ses plus fervents admirateurs, comme un nouveau Moïse, prédestiné à ouvrir à l'humanité les voies encore inconnues qui le conduisent vers l'avenir. [...]

Les découvertes ou les œuvres dues au génie de l'homme, parvenu au plus haut degré de puissance intellectuelle, ont des droits d'autant plus assurés à l'admiration, qu'elles sont conçues dans une plus haute pensée d'utilité générale et d'intérêt universel.

Tels seraient les travaux, qui, par le percement de deux isthmes devenus, depuis dix ans surtout, l'objet des préoccupations des principaux gouvernements des deux mondes, auraient pour résultat de doubler la rapidité avec laquelle communiquent aujourd'hui les diverses nations disséminées sur la surface du globe, et de multiplier d'une manière inespérée les richesses matérielles du monde. […]

La politique des gouvernements les plus généreux, quelque noble et désintéressée qu'elle fût, pourrait-elle faire entière abstraction des intérêts privés, et céder aux légitimes exigences du patriotisme et de l'attachement au pavillon national, aux considérations plus larges, fondées sur les besoins généraux de l'humanité ? Sur ce point, comme sur tant d'autres, deux ou trois grandes puissances, profitant des immenses avantages produits par les travaux exécutés sous leur patronage, ne consacreraient-elles pas ainsi indéfiniment leur supériorité relative ?

Il n'est qu'une autorité qui puisse, en présidant à l'exécution de travaux destinés à modifier d'une manière si heureuse les relations existantes aujourd'hui entre les peuples des deux hémisphères, détruire tous les obstacles suscités par les rivalités des peuples, et faire disparaître le discrédit qui frapperait une entreprise réduite aux proportions d'une simple spéculation industrielle.

Il n'est qu'une seule influence qui puisse donner à une société, fondée dans le but marqué plus haut, ce caractère auguste qui la recommande aussitôt au respect des peuples, l'investir d'une force morale suffisante, et lui communiquer cet esprit vivifiant qui assure aux grandes entreprises la réussite et la durée.

Il n'est qu'une seule puissance au monde, dont l'auguste patronage, réunissant sous un même drapeau des hommes choisis parmi les peuples de toutes les nations, puisse composer, avec les éléments empruntés à toutes les sociétés, une société unique, dépositaire des intérêts de toutes les autres, agissant comme un seul homme au profit de tous les hommes ; se développant cl grandissant sans donner d'ombrage et sans exciter la défiance ; impartiale et neutre entre toutes les puissances, même dans le cas où les maux d'une guerre générale viendraient encore peser sur la terre; remplissant une mission spéciale par le percement des deux voies de communication qu'elle se chargerait de garder après les avoir construites, et travaillant, par surcroît, à une autre mission plus haute et plus sainte dont elle serait le bras, tandis que la tête serait ailleurs.

Cette autorité, cette influence, cette puissance, existe, c'est celle du chef de l'Eglise ; consacrée par une durée de dix-huit siècles, toujours accoutumée à marcher à la tête des peuples, à les contenir par la permanence de ses doctrines dans les temps d'effervescence et de désordres ; à les réveiller par les élans d'un saint enthousiasme dans les temps de tiédeur et d'indifférence ; à régler leurs mouvements et à diriger leurs efforts dans ces époques marquées par la Providence pour le renouvellement des idées, le développement des institutions et les grandes révolutions sociales.

Et comme cette puissance vénérable a toujours eu, à toutes les époques, des représentants marqués par le doigt de Dieu d'un signe spécial qui devait les rendre propres aux diverses missions qu'elle a eu à remplir, comment nous étonner qu'elle ail aujourd'hui un chef sur lequel rayonnent d'une manière si éclatante tous les signes qui attirent sur lui l'attention du monde, comme sur le symbole de l'esprit qui anime le dix-neuvième siècle, et qui doit présider à ses destinées futures ?

Persuadés de la nécessité de ne confier l'exécution de l'œuvre la plus délicate et la plus importante qu'il soit donné à notre siècle d'accomplir, qu'à une compagnie, qui en puisse universaliser les précieux résultats et en tirer le plus grand parti possible au profit de l'humanité tout entière, nous nous adressons avec confiance au représentant vénéré de celte puissance, qui seule a jusqu'ici marqué du cachet de la durée les institutions humaines.

Nous avons voulu invoquer le patronage de l'auguste possesseur des clefs mystérieuses de Saint Pierre, de ce signe manifeste de la mission réservée à l'autorité tutélaire, qui, sur la terre comme au sein de la patrie céleste, n'ouvre et ne ferme la voie que selon les décrets et les volontés du Très-Haut. […]

Toutes nos craintes se sont dissipées, tout notre enthousiasme s'est illuminé d'une clarté soudaine, quand nous avons vu surgir à l'horizon celte lumière qui, partie de la chaire de Saint Pierre, n'a pas tardé à se répandre sur toute l'étendue du monde chrétien. Telle est l'influence d'un grand homme ! À son apparition, les idées naissent ou se développent ; les vagues lueurs de l'imagination prennent un corps, les conceptions obscures de l'esprit, les pressentiments du cœur, revêtent les proportions du possible, et les forces morales ou physiques de l'humanité, impuissantes lorsqu'elles étaient isolées, deviennent tout à coup invincibles dès qu'elles viennent se concentrer à sa personne.

C'est ainsi que nous avons été conduit à supplier humblement le successeur des saints apôtres, à qui notre divin maître a légué le soin d'accomplir dans la suite des siècles son œuvre d'émancipation, de moralisation et de progrès continu, de sanctifier par son suffrage, une société, une compagnie, nous oserons dire un Ordre nouveau, qui, héritier des traditions de dévouement et de charité transmises par les institutions religieuses et militaires du moyen âge, vivifiera et sanctifiera par la foi dont celles-ci furent animées, ces œuvres d'art et de science, dont les temps modernes célèbrent les merveilles, mais dont ils commencent à s'effrayer, parce qu'ils n'ont pas encore découvert le moyen de les faire servir au bonheur des nations.

C'est en vain, en effet, que les économistes, les hommes d'Etat, les philosophes, cherchent des remèdes contre ce résultat terrible des progrès incessants de la civilisation, qui, multipliant depuis deux siècles les forces productives, semble avoir multiplié les sources de l'immoralité et de la misère. Le génie prodigue les inventions utiles, rapproche par des voies de communication, rapides comme la pensée, les points les plus distants, élève des monuments solides et commodes, crée enfin partout de nouvelles conditions de bien-être, — et puis il s'arrête, désespéré, lorsqu'il s'est aperçu que ce qu'il imaginait pour le bonheur de tous n'a servi qu'à accroître le bien-être de quelques-uns seulement !

Le christianisme seul peut donner à cet effrayant problème une solution satisfaisante : ce que des compagnies purement industrielles n'auraient pu faire, ou n'auraient exécuté que d'une manière incomplète, ne peut être accompli que par une société formée sous les auspices de cette autorité dont l'esprit veille à la fois sur la ville des Césars et sur le monde : Urbi et Orbi. […]

Missionnaires de la civilisation européenne, les membres de la compagnie de Saint-Pie deviennent, à divers titres, les bienfaiteurs du genre humain : avec eux et par eux se réalise tout ce qu'offrent d'utile et de praticable les projets d'amélioration les plus désirables pour nos sociétés affaissées sous le poids même de leur civilisation.»

Claude Drigon, marquis de Magny (1797-1879), Canalisation des isthmes de Suez et de Panama par les frères de la Compagnie maritime de Saint-Pie, Ordre religieux, militaire et industriel, Paris, Schneider, 1848.