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vendredi 3 décembre 2010

"A l'Élysée, Louis Bonaparte tremblait de crainte de voir échouer son coup..." (Dolgoroukov, 1864)

Ernest Louis Pichio (1840-1898), "Alphonse Baudin sur la barricade du faubourg Saint-Antoine, le 3 décembre 1851" (1869). Paris, Musée Carnavalet.

« Dans ce moment solennel de décembre 1851, où les libertés, la dignité et l'honneur de la France formaient l'enjeu de la lutte, c'est exclusivement aux républicains qu'appartient toute la gloire d'avoir engagé cette lutte avec courage, et de l'avoir soutenue avec énergie, tant que possibilité matérielle il y eut.

Réunis au café des Peuples, salle Roysin, les républicains décidèrent d'élever des barricades, et la première fut érigée au coin des rues Cotte et Sainte-Marguerite. Les troupes, vendues à Bonaparte, sillonnaient déjà tout Paris. La brigade Marulaz, avec des canons, occupait la place de la Bastille, et la brigade Courtigis, accourue de Versailles, se trouvait à la barrière du Trône. Un détachement du 19ème régiment d'infanterie légère vint attaquer la barricade ; il était conduit par le chef de bataillon Pujol et le capitaine Petit. La barricade fut attaquée et prise ; l'un des membres les plus distingués de l'assemblée, Baudin, se tenait sur la barricade, rappelant aux soldats leurs devoirs envers les lois de leur pays ; il tomba frappé de trois balles. II y avait dans la foule des agents de police déguisés ; l'un d'eux, au moment où la barricade venait à être élevée, cherchait à calmer le peuple en disant : il ne faut pas aller se faire tuer pour les vingt-cinq francs ; infâme allusion aux vingt-cinq francs de traitement quotidien, accordé par la loi aux représentants de la nation. Le noble Baudin, ayant entendu cet indigne propos, s'écria : TOUS allez voir comment on meurt pour vingt-cinq francs, et après ce mot sublime, il s'élança sur la barricade et il y fut tué.

La France possède aujourd'hui un gouvernement bonapartiste ; elle a un Corps Législatif rempli, en très-grande majorité, de valets payés à raison de plus de quatre-vingt francs par jour, pendant toute la durée des sessions, pour voter servilement et platement tout ce que le gouvernement leur commande d'accepter; elle possède aussi un sénat rempli, à très-peu d'exceptions près, de valets idiots payés à raison de plus de quatre-vingt francs par jour durant l'année entière, et dont les fonctions consistent à trouver beaucoup trop libéral l'un des gouvernements les plus obscurantistes de notre siècle. La France peut se convaincre aujourd'hui, qu'il valait mille fois mieux pour elle payer vingt-cinq francs par jour aux élus de la nation et jouir d'un gouvernement libre, contrôlé par une assemblée composée, sauf quelques exceptions bonapartistes, d'hommes honnêtes !

Le comité de résistance dont nous avons parlé, et qui, dans ces jours néfastes, honora le nom français, prenait toutes les mesures possibles pour accroître la résistance du peuple contre l'usurpateur. Les membres du comité circulaient, à tour de rôle, dans Paris, les premiers devant le danger, donnant l'exemple de l'énergie. Dans la journée du 3, le comité fit afficher un décret proclamant Louis Bonaparte déchu, pour crime de haute trahison, de ses fonctions de président de la république et ordonnant à tous les citoyens ainsi qu'à tous les fonctionnaires de lui refuser obéissance, sous peine de complicité. Le lendemain, le comité fit afficher trois autres décrets : le premier déclarait toutes les condamnations politiques levées; toutes les poursuites pour causes politiques annulées, et enjoignait à tous les directeurs des maisons d'arrêt ou de détention de mettre immédiatement en liberté tous les détenus pour cause politique; le second décret levait l'état de siège, et faisait défense à tout chef militaire, sous peine de forfaiture, de faire usage de ses pouvoirs extraordinaires ; le troisième convoquait le peuple au 21 décembre pour élire, par la voie du suffrage universel, une assemblée souveraine. […]

Nous croyons devoir citer ici les noms des citoyens, qui se signalèrent surtout par une participation courageuse à la lutte de la loi et du patriotisme contre l'usurpation et le despotisme. C'étaient d'abord les membres du comité de résistance : MM. Victor Hugo, Carnot, de Flotte, Jules Favre, Madier de Montjau, Michel de Bourges et Schoelcher. Ce furent aussi Baudin et Dussoubs, tous les deux tués dans cette noble lutte; MM. Artaud, Aubry, Bruckner, Chaix, Charamaule, Cournet, Delbetz, Deluc, Duputz, Xavier Durrieu, Duval, Esquiros, Kessler , Lebloy , Le Jeune, Amable Lemaître, Longepied, J. Luneati, Maigne, Maillard, Malardier, Ruin, Sartin, Watripon.

Pendant ce temps, à l'Élysée, Louis Bonaparte tremblait de crainte de voir échouer son coup. Les nouvelles de l'agitation dans les faubourgs arrivaient sans cesse: Magnan et plusieurs généraux commençaient à hésiter; à la préfecture de police, Maupas était saisi d'une telle frayeur, que l'ex-préfet Carlier disait : ce petit jeune homme a la colique. Maupas télégraphia au ministre de l'intérieur, Morny, qu'il était malade, et reçut cette réponse : couchez-vous, j......- f ..... ! A l'Elysée, l'on faisait emballer, à tout événement, papiers et effets ; trois voitures de voyage se tenaient dans la cour, attelées chacune de quatre chevaux. […]

Saint-Arnaud n'avait point hésité, dès le 3, à faire placarder dans les rues une proclamation infâme, annonçant que tout individu pris construisant ou défendant une barricade, on les armes à la main, sera fusillé !!! Mais la résistance croissait, et Saint-Arnaud vint déclarer à Louis Bonaparte qu'il serait nécessaire d'avoir recours aux moyens les plus extrêmes, peut-être même de détruire le faubourg Saint-Antoine tout entier et passer la population an fil de l'épée. Faites tout ce qui sera nécessaire, répondit le prince. […]

… le 4 décembre, les nouvelles arrivaient sans cesse ; toujours de plus en plus mauvaises pour les bonapartistes. Le prince Louis, la figure toute verte, comme il lui arrive dans les moments où il est pris de terreur, était assis, le regard fixe, devant la cheminée d'un salon du rez-de-chaussée à l'Elysée. Le général Roguet entra pour lui annoncer que les barricades se multipliaient, que sur les boulevards l'on criait : à bas le dictateur, à bas Soulouque ! que devant la galerie Jouffroy un adjudant-major avait été poursuivi par la foule, et au coin du café Cardinal un capitaine d'état-major avait été précipité de son cheval. Louis Bonaparte se souleva à demi de son fauteuil, et dit à Roguet : eh ! bien ! qu'on dise à Saint-Arnaud d'exécuter mes ordres. Et la boucherie commença ....

[…] La victoire de la violence, de la perfidie et de la fourberie sur le patriotisme et sur l'amour de la liberté était gagnée ; la France cessa, pour une série d'années qui se prolonge encore, d'être un pays libre et de se voir régie par un gouvernement honnête. […] Rarement a-t-il été donné de contempler, dans les fastes de l'histoire, une bande de plus ignobles misérables, après avoir remporté une victoire par des moyens plus vils et plus cruels, en abuser d'une façon aussi odieuse. »

Pierre Dolgoroukow (*), La France sous le régime bonapartiste, Vol. 2, Londres, Stanislas Tchorzewski libraire, 1864.

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(*) Piotr Vladimirovitch Dolgoroukov (Moscou 1807 - Berne 1868). Historien et journaliste russe, issu d'une illustre famille princière. Banni pour la publication de son livre La Vérité sur la Russie, il trouve refuge à Paris en 1859, puis doit passer finlement en Suisse, où il décède en 1868. 

jeudi 9 septembre 2010

"Tout le reste de la journée nous étions au bord de la mer" (anonyme, 1851)

« Un jour de l'automne dernier, Evélina était à son piano, étudiant sa leçon, quand la porte du salon s'ouvrit devant deux de ses amies qu'elle n'avait pas vues depuis plus d'un mois.

Evélina poussa un cri de joie, les autres en firent autant, et, selon l'habitude, les petites filles se mirent à s'embrasser en parlant toutes les trois à la fois. Questions et réponses partaient, se croisaient, comme les fusées d'un feu d'artifice.

Quelques minutes suffirent pour laisser passer ce flot de paroles, et alors ces demoiselles, un peu calmées parce qu'elles avaient déchargé leur cœur, commencèrent à causer raisonnablement. Ecoutons-les.

Marie : Nous savons en gros que vous êtes tous allés aux bains de mer, que vous vous êtes beaucoup amusés. Mais cela ne nous suffît pas ; il faut, ma petite Evélina, que tu nous racontes cela de fil en aiguille. […]

Berthe : […] D'abord où êtes-vous allés ?

Évélina : A Sainte-Marie ; c'est un hameau tout près de Pornic. Pornic est un petit port de mer situé sur la côte de Bretagne, à douze kilomètres au sud de l'embouchure de la Loire.

Berthe : Au sud ! Est-ce que tu vas nous parler comme un capitaine de vaisseau ? Le sud, est-ce à droite ou à gauche ? parle-nous comme tout le monde.

Marie : […] Vous avez donc passé un grand mois à Sainte-Marie, dans un tout petit village ?

Évelina : Dans un tout petit village. Figurez-vous une pauvre église de campagne, une espèce de grange surmontée d'un clocher; autour de l'église une trentaine de maisons jetées sans ordre, et au lieu de rues des chemins où en hiver il doit y avoir un pied de boue.

Berthe : Et vous ne vous êtes pas ennuyée à mourir dans un pareil endroit !

Évelina : Non ; et cela par une raison bien simple, c'est que si la maison que nous avions louée était à Sainte-Marie, nous n'y rentrions que pour manger et dormir : tout le reste de la journée nous étions au bord de la mer, tantôt d'un côté, tantôt de l'autre.

Berthe : Et que pouviez-vous y faire ?

Évélina : D'abord, prendre tous les jours notre bain ; ensuite, nous promener, chercher des coquillages, ramasser des moules, attraper des crabes, pêcher dans les flaques des petits poissons ; fureter dans les trous, sous les pierres, pour y trouver une foule d'animaux plus drôles, plus curieux les uns que les autres. Que sais-je encore ? Ce qu'il y a de certain, c'est que quand l'heure du déjeuner, du dîner ou du coucher arrivait, nous étions si affairés que nous demandions toujours des minutes de grâce pour achever quelque chose de commencé.

Marie : Et comment prend-on les bains de mer ?

Évélina : Voici la manière dont nous nous baignions. Il se peut qu'on se baigne avec plus de cérémonie ailleurs; j'ai entendu parler d'espèces de petites voitures qu'on roulait dans la mer; mais je n'ai rien vu de semblable, et je ne puis vous parler que de la méthode généralement suivie à Pornic et dans les environs.

Nous avions adopté, pour prendre nos bains, une petite anse située à dix minutes de Sainte-Marie, et presque au pied du phare de Pornic. Cette anse, creusée par la mer dans la ceinture de rochers qui borde la côte depuis Pornic jusqu'à l'embouchure de la Loire, semble avoir été faite exprès pour l'agrément des baigneurs. Ils y trouvent une plage du plus beau sable, unie et moelleuse comme un tapis, et si légèrement inclinée qu'en s'avançant dans l'eau on ne peut craindre d'être brusquement surpris par sa profondeur, puisqu'à chaque pas en avant cette profondeur augmente à peine d'un travers de main.

Au fond de cette anse le gardien du phare place tous les ans une rangée de cabanes qui ressemblent tout à fait aux guérites des soldats, à la seule différence qu'elles sont munies d'une porte pour s'enfermer et d'un carreau de vitre pour les éclairer. Le mobilier de chacune d'elles se compose d'un banc pour s'asseoir, d'un portemanteau et de chevilles pour suspendre ses habits, d'un petit miroir, et enfin d'une boîte pour placer sa bourse et sa montre quand on en a. C'est dans ces cabanes que nous nous déshabillions, et que nous mettions notre costume de bain... un joli costume, allez ! dans lequel on est fagotée à faire peur : il consiste en un large pantalon de grosse laine roussâtre, en une blouse fermée de même étoffe ; et il est complété par un serre-tête de toile cirée, qui empêche les cheveux d'être mouillés. Quand chacun avait fait cette superbe toilette et que nous étions toutes prêtes, nous prenions la corde...
Berthe : Quelle corde?

Évélina : Tiens, c'est vrai ; j'ai oublié de vous parler de la corde. C'est une corde solidement fixée à la tète de pieux qui s'avancent en ligne droite dans la mer. En allant d'un pieu à l'autre cette corde forme donc une espèce de rampe à laquelle on se tient à deux mains ; sans ce point d'appui des fillettes comme nous seraient renversées par les moindres vagues.

C'est donc en suivant la corde que l'on entre dans l'eau, et l'on va jusqu'à ce que l'on en ait presque au menton. Alors on danse, on saute, on s'en donne à cœur joie. Chaque fois qu'on voit arriver une lame plus haute que les autres, on crie : A la lame ! pour que tout le monde se mette sur ses gardes, c'est-à-dire serre la corde, et ferme la bouche ; et la vague vous soulève, et passe majestueusement au-dessus de vos têtes.

Marie : Alors vous vous trouviez tout à fait sous l'eau ? Et vous n'aviez pas peur ?

Évélina : Pas le moins du monde. Cela nous amusait, au contraire, beaucoup. On ne reste sous l'eau qu'un instant, pendant que la lame passe pour aller se fondre en écume sur le rivage. Quelquefois cependant nous étions bien attrapées ; c'est quand nous étions surprises par une lame pendant que, nous soulevant de terre, nous nous laissions flotter sur l'eau suspendues à la corde : c'était là notre manière de l'aire la planche. Mais pendant qu'on se balançait ainsi en babillant, arrivait sournoisement une lame qui vous coupait la parole et vous salait la bouche... et, pour vous consoler, on se moquait de vous.

Berthe : Mais si malheureusement, dans ces moments-là, vous aviez lâché la corde ?

Évelina : Vous ne sauriez vous imaginer combien on s'y cramponne, sans avoir besoin d'y penser, et par un mouvement naturel. Puis je suppose que cela me fût arrivé : la vague m'eût emportée vers le rivage, et laissée presque à sec sur le sable. De plus il y avait toujours là le maître nageur, prêt à nous repêcher, comme il disait. Enfin nous allions toujours nous baigner à marée montante, quand le courant et les lames portent à terre.

[…] Ce n'est que vers la fin de notre séjour à Sainte-Marie que nous n'avons plus pris nos bains avec le même plaisir, à cause de l'apparition d'une énorme quantité de méduses. Ce sont bien les plus dégoûtantes bêtes qu'on puisse imaginer. […] Eh bien, pendant les huit derniers jours que nous sommes restés à Sainte-Marie, non seulement on ne pouvait faire un pas sur la plage sans rencontrer des cadavres de méduses ; mais quand nous nous baignions, celles qui flottaient encore venaient à chaque instant nous passer sous le nez, et nous avons fini par ne plus entrer dans l'eau qu'une baguette à la main, pour les écarter de nous. »

C. G., Les enfants au bord de mer, Tours, Ad. Mame & Cie, 1851.

vendredi 16 avril 2010

"Nous aurons facilement raison du nouveau César..." (Le Comité central des Corporations, 1851)

Le bivouac du 4 décembre 1851, dessin paru dans : Taxile DELORD, Histoire illustrée du Second Empire, t. I. (1892)


« Aux travailleurs.

Citoyens et compagnons !

Le pacte social est brisé !

Une majorité royaliste, de concert avec Louis-Napoléon, a violé la Constitution le 13 mai 1850. Malgré la grandeur de cet outrage, nous attendions, pour en obtenir l’éclatante réparation, l’élection général de 1852. Mais hier, celui qui fut président de la république a effacé cette date solennelle. Sous prétexte de restituer au peuple un droit que nul ne peut lui ravir, il veut, en réalité, le placer sous une dictature militaire.

Citoyens, nous ne serons pas dupes de cette ruse grossière. Comment pourrions-nous croire à la sincérité et au désintéressement de Louis-Napoléon ?

Il parle de maintenir la république, et il jette en prison les républicains ; il promet le rétablissement du suffrage universel, et il vient de former un conseil consultatif des hommes qui l’ont mutilé ; il parle de son respect pour l’indépendance des opinions, et il suspend les journaux, il envahit les imprimeries, il disperse les réunions populaires ; il appelle le peuple à une élection, et il le place sous l’état de siège : il rêve on ne sait quel escamotage perfide qui mettrait l’électeur sous la surveillance d’une police stipendiée par lui.

Il fait plus, il exerce une pression sur nos frères de l’armée, et viole la conscience humaine en les forçant de voter pour lui, sous l’œil de leurs officiers, en quarante-huit heures.

Il est prêt, dit-il, à se démettre du pouvoir, et il contracte un emprunt de vingt-cinq millions, engageant l’avenir sous le rapport des impôts qui atteignent indirectement la subsistance du pauvre.

Mensonge, hypocrisie, parjure, telle est la politique de cet usurpateur.

Citoyens et compagnons, Louis-Napoléon s’est mis hors la loi. La majorité de l’Assemblée, cette majorité qui a porté la main sur le suffrage universel, est dissoute.

Seule, la minorité garde une autorité légitime. Rallions-nous autour de cette minorité. Volons à la délivrance des républicains prisonniers ; réunissons au milieu de nous les représentants fidèles au suffrage universel ; faisons-nous un rempart de nos poitrines ; que nos délégués viennent grossir les rangs, et forment avec eux le noyau de la nouvelle Assemblée nationale !

Alors, réunis au nom de la Constitution, sous l’inspiration de notre dogme fondamental : Liberté-Egalité-Fraternité, a l’ombre du drapeau populaire, nous aurons facilement raison du nouveau César et de ses prétoriens !
Le Comité central des corporations. »


Note : texte affiché entre 21 heures et 22 heures à Paris, le 3 décembre 1851.

mardi 30 mars 2010

"Qui a du fer a du pain" (L.-A. Blanqui, 1851)


« AVIS AU PEUPLE,

Quel écueil menace la révolution de demain ? L’écueil où s’est brisée celle d’hier, la déplorable popularité de bourgeois déguisés en tribuns.

Ledru-Rollin, Louis Blanc, Crémieux, Marie, Lamartine, Garnier-Pagès, Dupont (de l’Eure), Flocon, Albert, Arago, Marrast !

Liste funèbre ! Noms sinistres écrits en caractères sanglants sur tous les pavés de l’Europe démocratique.

C’est le gouvernement provisoire qui a tué la révolution ! C’est sur sa tête que doit retomber la responsabilité de tous les désastres, le sang de tant de milliers de victimes.

La réaction n’a fait que son métier en égorgeant la démocratie. Le crime est aux traîtres que le peuple confiant avait acceptés pour guides et qui ont livré leur peuple à la réaction.

Misérable gouvernement ! Malgré les cris, les prières, il lance l’impôt des 45 centimes qui soulève les campagnes déserteurs

Il maintient les états-majors royalistes, la magistrature royaliste, les lois royalistes. Trahison !

Il court sus aux ouvriers de Paris le 16 avril, il emprisonne ceux de Limoges; il mitraille ceux de Rouen le 27 ; il déchaîne tous leurs bourreaux, il berne et traque tous les sincères républicains. Trahison ! Trahison !

A lui, à lui seul le fardeau terrible de toutes les calamités qui ont presque anéanti la révolution !

Oh ! Ce sont là de grands coupables, et entre tous les plus coupables ceux en qui le peuple, trompé par des phrases de tribun, voyait son épée et son bouclier; ceux qu’il proclamait avec enthousiasme arbitres de son avenir.

Malheur à nous, si, au jour du prochain triomphe populaire, l’indulgence oublieuse des masses laissait retomber au pouvoir un de ces hommes qui ont forfait à leur mandat ! Une seconde fois, c’en serait fait de la révolution !

Que les travailleurs aient sans cesse devant les yeux cette liste de noms maudits, et si un seul, oui, un seul, apparaissait jamais dans un gouvernement sorti de l’insurrection, qu’ils crient tout d’une voix : trahison !

Discours, sermons, programmes, ne seraient encore que piperie et mensonges; les mêmes jongleurs ne reviendraient que pour exécuter le même tous avec la même gibecière; ils formeraient le premier anneau d’une chaîne nouvelle de réactions plus furieuses. Sur eux, anathème et vengeance, s’ils osaient reparaître ! Honte et pitié sur la foule imbécile qui retomberait dans leurs filets.

Ce n’est pas assez que les escamoteurs de février soient à jamais repoussés de l’hôtel de ville, il faut se prémunir contre de nouveaux traîtres.

Traîtres seraient les gouvernants qui, élevés sur le pavois prolétaire, ne feraient pas opérer à l’instant même : 1° le désarmement général des gardes bourgeoises ; 2° l’armement et l’organisation en milice nationale de tous les ouvriers.

Sans doute il est bien d’autres mesures indispensables; mais elles sortiront naturellement de ce premier acte, qui est la garantie préalable, l’unique gage de sécurité pour le peuple.

Il ne doit pas rester un seul fusil aux mains de la bourgeoisie. Hors de là, point de salut.

Les doctrines diverses qui se disputent aujourd’hui les sympathies des masses, pourront un jour réaliser les promesses d’amélioration et de bien-être, mais à la condition de ne pas abandonner la proie pour l’ombre.

Elles n’aboutiraient qu’à un lamentable avortement si le peuple, dans un engouement exclusif pour les théories, négligeait le seul élément pratique assuré, la force !

Les armes et l’organisation, voilà l’élément décisif du progrès, le moyen sérieux d’en finir avec la misère ! Qui a du fer a du pain. On se prosterne devant les baïonnettes, on balaie les cohues désarmées. La France hérissées de travailleurs en armes, c’est l’avènement du socialisme.

En présence de prolétaires armés, obstacles, résistances, impossibilités, tout disparaîtra.

Mais pour les prolétaires qui se laissent amuser par des promenades ridicules dans les rues, par des plantations d’arbres de liberté, par des phrases sonores d’avocats, il y aura de l’eau bénite d’abord, des injures ensuite, enfin la mitraille, de la misère toujours.

QUE LE PEUPLE CHOISISSE ! »


TOAST ENVOYE PAR LE CITOYEN L.-A. BLANQUI A LA COMMISSION PRES LES REFUGIES DE LONDRES, POUR LE BANQUET ANNIVERSAIRE DU 24 FEVRIER (1851)

mardi 19 janvier 2010

"L'amélioration du sort du peuple est-elle en la puissance des gouvernements de fait ?" (La Gazette de France, juin 1851)

« L'amélioration du sort du peuple est-elle en la puissance des gouvernements de fait ? Est-il donné aux pouvoirs sortis des révolutions, et par conséquent sans bases nationales, mais précaires et mobiles, de rendre le peuple heureux, et de lui procurer calme, sécurité et prospérité ?

L'histoire des soixante dernières années prouve jusqu'à l'évidence qu'il n'y a ni amélioration soutenue, ni bonheur réel et constant à attendre de ces gouvernements et de ces pouvoirs éphémères.

La première république amena à sa suite la misère et la faim, le maximum et les assignats. La pâture des biens des émigrés et du clergé improvisa quelques fortunes dans la classe moyenne, mais elle ne profita pas au Peuple ; ce peuple était souffrant, affamé, par conséquent inquiet et agité ; on le précipita sur les champs de bataille par la levée en masse, et on le donna à moissonner au canon.

L'Empire ne rendit pas le peuple plus heureux. Il lui donna de la gloire, comme un mets sans pain. Napoléon régularisa lu consommation d'hommes par la conscription et la guerre permanente. Le blocus continental anéantit ce qui restait d'industrie et de commerce ; l'agriculture elle-même souffrait dans beaucoup de provinces, faute de bras valides. Paris s'embellit des trophées et des dépouilles de la victoire ; mais le reste de la France, les campagnes surtout, ne reçut aucune amélioration. La conscription ruinait les familles.

La Restauration offrit, après 1818, un magnifique élan dans tout ce qui fait la prospérité des Etats et l'amélioration du sort du peuple. Les ravages et les charges de deux invasions furent réparés en très-peu d'années. Le crédit public et le crédit privé s'élevèrent à un taux inconnu jusqu'alors. L'agriculture, l'industrie, le commerce, les travaux publics se développaient comme par un essor combiné. Le peuple était heureux ; le fardeau des impôts avait été diminué en même temps que le travail se trouvait en progrès. Cet état de choses dura jusqu'à ce que la marche des principes et des idées révolutionnaires eût jeté la défiance et la crainte dans les esprits, c'est-à-dire deux ans avant la révolution de juillet.

Que peut-on dire de la révolution de février ? Les preuves sont sous les yeux de tout le monde. Sa seule apparition a suspendu commerce, industrie, travaux ; elle a été obligée de fermer les caisses d'épargne, de créer des ateliers de mendicité, de frapper une contribution extraordinaire de 160 millions qui a pressuré le peuple lui-même. Malgré la tranquillité matérielle dont la France jouit sous la protection de cinq cent mille sabres ou baïonnettes, la misère est partout, même chez les riches, parce qu'il n'y a ni crédit, ni confiance, ni sécurité, ni avenir. Il est un principe efficace, fécond, qui produit par lui-même l'ordre, l'abondance, la prospérité, parce qu'il amène à sa suite la sécurité et la confiance.

La France ne l'a pas oublié, car elle en a joui pendant quinze années, hélas ! Trop courtes. Et plus elle s'en est éloignée, et plus elle a souffert. Hors de là, il n'y a que désordre, confusion, misère, ou des illusions du moment qui, en se dissipant, laissent voir les plus tristes réalités. Qui ne veut pas reconnaître cette vérité est aveugle, égoïste ou insensé : c'est tout un pour les résultats. »


Article de M. le marquis Léon Costa de Beauregard (1806-1864),
La Gazette de France du 7 juin 1851.