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lundi 11 avril 2011

"Comprendre l'animal dans le cercle des devoirs... qui nous sont imposés, c'est améliorer l'homme lui-même" (Lamartine, 1858)


"Monsieur de Lamartine avec ses chiens", par Henri Decaisne, 1839. Musée Lamartine, Mâcon. 
















« Paris, 25 juin 1858.

Messieurs, je recevrai, comme la décoration des bons naturels, la médaille d'or ou de cuivre que la Société protectrice des animaux veut bien m'offrir. Je ne la mérite pas par mes œuvres, mais je m'honore de la mériter par mes sentiments. J'en suis digne du moins pour ma respectueuse estime pour cette Société des bons cœurs et des esprits justes. On a déclaré une fois que j'avais bien mérité de la patrie; cette médaille déclarera aujourd'hui que j'ai bien mérité de la nature. Daignez agréer mes remerciements.

Ma profession de foi est la vôtre ; qu'importent la forme, l'organisme, le nom des êtres animés ? Tout ce qui pense a une intelligence ; tout ce qui sent a un sentiment; tout ce qui aime a droit d'être aimé ; tout ce qui souffre a un titre à la pitié. Il ne manque aucun échelon à l'échelle des créatures sensibles qui s'élève, dans son ascension graduée, de la brute à l'homme. L'homme est au sommet, sans doute, sur cette terre, mais au-dessous de lui il a une famille inférieure d'êtres adoptifs, ses compatriotes ici-bas : l'homme en est le roi, mais il ne doit pas en être le tyran. La justice n'est pas seulement un rapport divin de l'homme à l'homme, elle est un rapport de l'homme avec toute la création. Blesser la justice, c'est blesser Dieu.

Quand nous n'abusons pas de notre prééminence et de notre souveraineté sur les animaux, nous avons, en eux, des serviteurs et des amis ; quand nous en abusons, nous n'avons en eux que des victimes, et comme il arrive toujours, en pareil cas, la tyrannie pervertit le tyran. De la brutalité envers l'animal à la férocité envers l'homme, il n'y a que la différence de la victime. Comprendre l'animal dans le cercle des devoirs et des miséricordes qui nous sont imposés, c'est améliorer l'homme lui-même.

Laissez ricaner le vulgaire de ces égards philosophiques et pratiques que vous voulez, avec tant de sagesse, témoigner envers toute la création ; les esprits supérieurs et progressifs sourient de cœur à votre institution de charité universelle. Les êtres que vous protégez vous serviront mieux, car ils vous aimeront davantage. Dieu lui-même bénira votre pensée car elle l'honore dans la partie sensible de sa nature ; vous faites dire un mot de plus à l'amour, cette loi des lois. Vous êtes les évangélistes de la sympathie !

Recevez, Messieurs, l'assurance de mes sentiments dévoués. »

Alphonse de Lamartine, Le Siècle, n° 8492, 1er juillet 1858. 

mercredi 22 septembre 2010

"Lamartine est doué pour célébrer les révolutions... mais il n'est pas fait pour les gouverner" (Lerminier, 1850)

Alphonse de Lamartine, vu par La Revue comique (1849).


« Dès le principe, l'éloquence de M. de Lamartine fut, comme sa poésie, traversée par des tendances et des sentiments contradictoires. La même indécision que nous avons vue contre la foi catholique et l'autorité de la raison humaine, nous la retrouvons chez l'orateur entre la cause de la conservation sociale et la cause du progrès qui, plus tard pour lui, par une contradiction nouvelle, deviendra celle de la révolution. Dans son abondante parole, tout se rencontre, tout s'entrechoque : aspirations du dix-neuvième siècle, souvenirs et défense du passé, conseils d'une sage modération, effusions humanitaires. Sous ces impressions si différentes, l'âme de l'orateur rend des vibrations également sonores. On dirait une harpe éolienne placée sur la tribune.

Pendant les premières années de sa vie parlementaire, M. de Lamartine se mit tour à tour au point de vue du gouvernement et au point de vue de l'opposition. S'il est question d'un amendement en faveur de la Pologne, il s'y opposera et dira qu'il ne faut pas s'effrayer des empiétements en Asie de la puissance russe, qui ne peut qu'y porter la civilisation. Il insistera pour le payement intégral aux États-Unis des 20 millions qu'ils réclamaient, blâmant énergiquement la Chambre de 1834 d'avoir rejeté le premier traité que le pouvoir exécutif présentait à la sanction parlementaire ; mais, d'un autre côté, il refusait au gouvernement le droit de faire juger les accusés d'avril, et il développait cette thèse singulière, que si, dans l'ordre civil et criminel, il pouvait y avoir des procès et des jugements, il n'en était point ainsi dans l'ordre politique. "Entre le gouvernement et les partis, s'écriait M. de Lamartine, le procès, c'est la bataille ; le jugement, c'est la victoire. Y a-t-il un procès juste, quand il y a en présence des ennemis et point de juges. Il n'y a plus là qu'une fiction, une dérision juridique." Ainsi, reproduisant les langages des républicains les plus exaltés, M. de Lamartine contestait la légitimité de la justice sociale, et néanmoins il se croyait conservateur ! [...]

Une fois lancé dans la voie des oppositions extrêmes, M. de Lamartine ne ménagea plus rien : il répéta sur tous les tons qu'il ne s'agissait plus de changer le ministère, mais bien la pensée du règne, que tous les petits remèdes seraient inutiles, et qu'il fallait une transformation radicale de la politique tant intérieure qu'étrangère. Toutefois, si brillantes que fussent ses agressions, M. de Lamartine au sein de la Chambre restait sans puissance. Il n'avait d'action ni sur la majorité, qui ne lui pardonnait pas sa désertion, ni sur la gauche, qui le laissait dans l'isolement, qui l'applaudissait quelquefois, mais ne l'adoptait pas.

Il est naturel qu'avec son tempérament M. de Lamartine ait senti qu'il étouffait dans l'atmosphère parlementaire. Il tourna le dos à la chambre pour s'adresser au pays, pour l'agiter. Alors, par une nouvelle négation de son passé , plus audacieuse encore que toutes les autres, il se mit à célébrer avec enthousiasme ce qu'il avait si souvent combattu : la révolution ; non pas une révolution idéale, mais la terrible révolution de Danton et de Robespierre. L'histoire va devenir entre ses mains une arme, une torche.

Le livre si rapidement improvisé des Girondins porte l'empreinte des deux talents de M. de Lamartine : c'est un poème, c'est un discours. La composition, la mise en scène sont d'un habile romancier ; vous trouverez dans l'exécution toute la facilité, toute la verve d'un inépuisable orateur. L'ouvrage offre au lecteur tous les tons, tous les effets littéraires : anecdotes, portraits, épisodes romanesques, développements épiques, déclamations de tribune, chronique scandaleuse, tout, sauf l'impartiale gravité de l'historien. Mais de cette impartialité l'écrivain ne se soucie guère ; pourvu qu'il enflamme les esprits, il est content. [...]

L'heure fatale a sonné : les vœux, les rêves de l'ambitieux poète sont réalisés avec une rapidité foudroyante qu'il ne prévoyait pas. Il a provoqué une révolution. Elle éclate; qu'en fera-t-il ? L'histoire a déjà répondu. Élevé au pouvoir sur les ruines de l'ordre social, le 24 février, M. de Lamartine en a été précipité dans les sanglantes journées de juin. Quatre mois au pouvoir, voilà ce qu'il a obtenu après treize années de convoitises et d'agitations !

Encore il serait plus juste de parler de quatre mois d'impuissance. Le nouveau Girondin eut un moment de courageuse et d'aristocratique fierté, en repoussant le drapeau rouge, mais après cet éclair d'indépendance, quel asservissement à toutes les exigences des passions révolutionnaires. On sent que l'homme ne conduit rien ; le torrent l'emporte. L'imprudent a déchaîné des éléments qu'il ne peut maîtriser et qui l'entraînent en l'épouvantant.

Quel ne fut pas son trouble, à l'hôtel de ville, dans la matinée du 16 avril 1848 ! L'histoire expliquera plus tard comment il répondit à une dernière avance de la fortune, qui lui offrait l'assistance et l'épée d'un illustre général. M. de Lamartine est bien doué pour célébrer les révolutions, même pour les pressentir ; mais il n'est pas fait pour les gouverner.

C'est ce qu'alors ne savait pas la France. Elle voulait, au contraire, que Lamartine fût le représentant suprême de la révolution. Elle l'appelait au gouvernement, à la dictature. Dix départements l'envoyèrent siéger à la Constituante. Quand il apprit cette décuple élection, il eut comme un moment d'ivresse, et il s'écria qu'il était le plus grand des hommes. Le lendemain, il s'en retournait le plus faible, et il s'opiniâtrait à rester le collègue de Ledru-Rollin, dont il devait être, dans la pensée de la France, l'inflexible et victorieux adversaire. [...]

Pourquoi tromper ainsi l'attente de toute une nation ? Pourquoi se refuser à une gloire infaillible ? Etait-ce défaut de courage ? Non, mais chez celui qui était l'objet de tant d'espérances, il n'y avait pas cette conviction fondamentale qui fait les grands révolutionnaires et les grands hommes d'État. Mirabeau est invincible dans le milieu qu'il a choisi pour servir la révolution et la contenir. L'action de Danton sur les affaires fut un moment irrésistible. Robespierre exerçait un terrible ascendant. Quand Bonaparte parut, on ne méconnut pas longtemps une nature maîtresse et supérieure destinée à commander. Ces hommes ne furent si puissants que parce qu'ils étaient énergiquement convaincus de la vérité de certains principes.

Si de ces grands exemples nous reportons nos regards sur 1848, nous voyons la pire des révolutions, une révolution inutile, et, pour la représenter, un sceptique, un artiste irrésolu qui se reconnaît lui-même le jouet d'une mystérieuse fatalité. Alea jacta est. Malheureusement M. de Lamartine n'a pu prendre que ce mot à César, qui, en le prononçant, se posait ainsi la question : "Mourir, ou s'emparer de Rome et du monde."

Aujourd'hui, après tant d'orageuses et de stériles aventures, M. de Lamartine se trouve à la fois en dehors du mouvement conservateur et du mouvement révolutionnaire. Il est tourmenté, repentant ; il n'a plus d'autre préoccupation que de multiplier les apologies de sa conduite. A peine tombé du pouvoir, il s'est mis à écrire l'Histoire de la révolution de février. Quel appendice aux Girondins ! Dans le Conseiller du peuple, il a chaudement attaqué le socialisme, le communisme, l'anarchie, et il a recommencé cette éternelle oscillation entre les tendances révolutionnaires et les idées conservatrices. Seulement, aujourd'hui, il semble incliner un peu plus vers les traditions de stabilité monarchique.

N'oublions pas en terminant que Lamartine a une consolation suprême au milieu de tant de mécomptes et de regrets. Si la postérité doit le juger sévèrement, au moins elle ne peut l'oublier. Il est entré dans l'histoire par son naufrage même. Tous ses vers périraient que son nom surnagerait encore, mêlé aux révolutions du dix-neuvième siècle, et si ses poèmes se transmettent aux âges lointains, ils recevront un nouveau lustre du rôle politique qu'il a joué. »

Jean Louis Eugène Lerminier, De la littérature révolutionnaire, Paris, Méline, 1850.

mercredi 3 février 2010

L'élection de G. Boulay de la Meurthe, seul vice-président de l'histoire française (1849)

L'élection du vice-président de la République vue par Victor Hugo

« M. Boulay de la Meurthe était un bon gros homme, chauve, ventru, petit, énorme, avec le nez très court et l'esprit pas très long. Il était l'ami de Harel auquel il disait : mon cher et de Jérôme Bonaparte auquel il disait : Votre Majesté.

L'Assemblée le fit, le 20 janvier, vice-président de la République.

La chose fut un peu brusque et inattendue pour tout le monde, excepté pour lui. On s'en aperçut au long discours appris par coeur qu'il débita après avoir prêté serment, Quand il eut fini, l'Assemblée applaudit, puis à l'applaudissement succéda un éclat de rire. Tout le monde riait, lui aussi; l'Assemblée par ironie, lui de bonne foi.

Odilon Barrot, qui, depuis la veille au soir, regrettait vivement de ne pas s'être laissé faire vice-président, regardait cette scène avec un haussement d'épaules et un sourire amer.

L'Assemblée suivait du regard Boulay de la Meurthe félicité et satisfait, et dans tous les yeux on lisait ceci : Tiens! il se prend au sérieux!

Au moment où il prêta serment d'une voix tonnante qui fit sourire, Boulay de la Meurthe avait l'air ébloui de la République, et l'Assemblée n'avait pas l'air éblouie de Boulay de la Meurthe.

Ses concurrents étaient Vivien et Baraguay-d'Hilliers, le brave général manchot, lequel n'eut qu'une voix.Vivien avait beaucoup compté sur la chose. Quelques moments avant la proclamation du scrutin, on le vit quitter son banc et s'en aller à côté du général Cavaignac. Le président manqué consola le vice-président raté. Je n'aimais pas Vivien, parce qu'il était honteux de son père, ancien maître d'études, pion, chien de cour, comme disent les gamins à la pension Cordier-Decotte, rue Sainte-Marguerite, n° 41. Ceci me fît voter pour Boulay de la Meurthe. [...]

Pendant que le vice-président pérorait à la tribune, je causais avec Lamartine. Nous parlions architecture. Il tenait pour Saint-Pierre de Rome, moi pour nos cathédrales. Il me disait : — Je hais vos églises sombres. Saint-Pierre est vaste, magnifique, lumineux, éclatant, splendide. — Et je lui répondais : — Saint-Pierre de Rome n'est que le grand ; Notre-Dame, c'est l'infini. »


Victor Hugo, Choses vues, II, Paris, Ollendorf, 1893.



Discours du comte Henri Georges Boulay de la Meurthe (1795-1858) en réponse à son élection au poste de vice-président de la République française le 20 janvier 1849 :

« Citoyens représentants, je n'ai point recherché l'honneur qui m'est fait.

Tandis qu'il en était temps encore, j'ai prodigué les instances les plus vives pour obtenir que quelque nom revêtu de plus d'autorité que le mien lui fût substitué sur la liste de présentation. Une affection dont je m'honore a été plus forte que ma volonté.

J'espérais du moins que votre justice vous ferait préférer quelqu'un de mes deux honorables concurrents : l'un, vieux soldat mutilé dans les combats (Très bien ! très bien !) ; l'autre, athlète glorieusement éprouvé dans les luttes parlementaires. (Très bien ! très bien !)

Plus ce double honneur est inattendu, et plus ma reconnaissance (reconnaissance, permettez-moi de vous ouvrir mon âme, mêlée de trouble et de tristesse), plus ma reconnaissance est profonde envers le président de la République comme envers l'Assemblée nationale, tous les deux les grands élus du suffrage universel. (Très bien !)

Je ne m'enorgueillis pas de ma nomination, j'en tire deux enseignements.

Dans un de ces enseignements, je vois une honorable déférence pour ce que l'Assemblée a cru être le vœu du premier magistrat de la République (Très bien ! Très bien !); j'y vois une protestation contre une hostilité si étrangement, si malheureusement présumée (Très bien ! très bien !); j'y vois un signe d'alliance, et je vous promets, citoyens représentants, de seconder vos intentions; il ne m'en coûtera rien : je ne ferai qu'obéir à mes habitudes, à mes convictions, à mon inclination. (Très bien ! Très bien !)

L'autre enseignement que je tire de cette nomination, c'est l'invitation de contribuer de toutes mes forces à l'affermissement de la République. (Vifs applaudissements.) Je le ferai avec probité, avec loyauté, avec constance, et, s'il le faut, avec quelque énergie. (Très bien ! Très bien !) Je n'ajoute rien de plus, il n'y a pas d'autres mérites dans ma vie.

Ici je rencontre le serment que je viens de prêter, et auquel je serai fidèle ; je rencontre aussi le terrain de la constitution que je ne déserterai pas. Je trouve enfin deux intérêts sacrés et chers, destinés à se sauver l'un par l'autre, étroitement unis, confondus ensemble, l'intérêt de la République et l'intérêt de son président. (Très bien ! très bien ! )

Croyez-moi, citoyens représentants, j'ai su lire dans ce noble cœur. Oui, le président de la République a compris que le plus grand honneur qu'il soit donné à un citoyen de conquérir, c'est de s'appeler Napoléon Bonaparte, d'être l'élu de l'immense majorité du peuple français et d'affermir la République. (Nouvelle et vive approbation).

Vous avez déjà, citoyens représentants, grandement contribué à celle œuvre. Vous êtes apparus dans les circonstances les pins critiques, et il a suffi de votre présence pour rassurer les esprits et pour raffermir le sol. Vous avez sauvé le pays de la guerre civile et de la ruine. Le 15 mai vous assistiez sur vos bancs, calmes et résignés à tout, au spectacle hideux des saturnales de l'anarchie ; le 24 juin, vos écharpes sauvaient la société en péril. Jamais plus grand pouvoir n'a été confié à une réunion d'hommes, et jamais il n'en fut usé avec plus de modération. L'Assemblée nationale a le droit de finir, elle saura finir comme elle a vécu, maîtresse d'elle-même, fidèle à elle-même ; elle peut dès à présent prétendre à la reconnaissance, au respect du pays; elle vivra honorée dans l'histoire, et la gloire des assemblées qui la suivront sera de continuer son œuvre (marques générales et chaleureuses d'approbation). »

Compte rendu des séances de l'Assemblée nationale, vol. 7, du 1er janvier au 10 février 1849, Paris, 1849.
__________
Note 1. Aux termes de l'article 70 de la Constitution de 1848, "il y a un vice-président de la République nommé par l'Assemblée nationale, sur la présentation de trois candidats faite par le président dans le mois qui suit son élection. - Le vice-président prête le même serment que le président. - Le vice-président ne pourra être choisi parmi les parents et alliés du président jusqu'au sixième degré inclusivement. - En cas d'empêchement du président, le vice-président le remplace. - Si la présidence devient vacante, par décès, démission du président, ou autrement, il est procédé, dans le mois, à l'élection d'un président." L'article 71 précise : "Il y aura un Conseil d'Etat, dont le vice-président de la République sera de droit président."
Note 2. Le 20 janvier 1849, Boulay de la Meurthe est élu avec 417 voix, contre 277 à Vivien et 1 à Baraguey-d'Hilliers (19 bulletins blancs). La veille (séance du 19 janvier 1849), l'Assemblée constituante avait voté pour que le montant du traitement annuel du vice-président soit fixé à 48.000 francs (516 voix pour, 233 contre), après avoir rejeté (par 472 voix contre) la proposition initiale du Comité des finances de fixer à 60.000 francs par an le montant de ce traitement.  
 
Pour en savoir plus :
 
http://www.assemblee-nationale.fr/sycomore/fiche.asp?num_dept=9883
(notice biographique extraite du dictionnaire des parlementaires français de 1789 à 1889 de A.Robert et G.Cougny)

vendredi 22 janvier 2010

"La peine de mort est l'instinct brutal de la justice" (Lamartine, 1836)


Tête du conspirateur Giuseppe Fieschi (1790-1836) après son exécution (19 février 1836), peinte par Raymond Brascassat (1805-1867). Paris, Musée Carnavalet.

« La peine de mort est l'instinct brutal de la justice matérielle, l'instinct du bras qui se lève et qui frappe parce qu'on a frappé. Et c'est parce que cela est vrai pour l'humanité à l'état d'instinct et de nature, que cela est faux pour la société à l'état de raison et de moralisation. Quelle a été l'œuvre de la civilisation ? De prendre en tout le contre-pied de la nature, de constituer une nature spirituelle, divine, sociale, en sens inverse de la nature brutale, de faire faire à l'homme et à la société, image collective de l'homme, précisément le contraire de ce que l'humanité charnelle et instinctive aurait fait. Les religions, les civilisations ne sont autre chose que ces triomphes successifs du principe divin sur le principe humain. Écoutez en tout ce que dit la nature et ce que dit la loi. La nature dit à l'homme : la terre est à tes besoins ; voilà un arbre chargé de fruits, tu as faim, mange ! La loi sociale lui dit : meurs au pied de l'arbre sans toucher au fruit. Dieu et la loi vengent la propriété. La nature dit à l'homme : choisis au hasard parmi ces femmes dont la beauté te séduit, et quand cette beauté sera fanée, délaisse-la pour t'attacher à une autre. La loi sociale lui dit : tu n'auras qu'une compagne pour que la famille se constitue et se resserre par un nœud indissoluble et assure la vie, l'amour, la protection aux enfants. La nature dit à l'homme : demande le sang pour le sang, tue ceux qui tuent. Une loi plus parfaite lui dit : la vengeance n'est qu'à Dieu, parce que lui seul est infaillible ; la justice humaine n'est que défensive ; tu ne tueras pas; et moi, pour conserver à tes yeux le dogme de l'inviolabilité de la vie humaine, je ne tuerai plus.

Aussi, Messieurs, voyez relativement au crime la différence des deux sociétés, selon qu'elles adoptent l'un ou l'autre de ces principes. Un juge déclarant le fait sans l'apprécier; un bourreau que l'on mène tuer en public pour enseigner au peuple qu'il ne faut jamais tuer ; une foule aux pieds de laquelle on répand le sang pour lui inspirer l'horreur du sang : voilà la société selon la nature ! Un juge appréciant le crime et graduant la peine au délit ; la vengeance remise au Juge suprême et à la conscience du coupable ; un peuple dont l'indignation contre le crime ne se change pas en pitié pour le supplicié ; un cachot qui se referme pour défendre à jamais la société du criminel, et sous les voûtes de ce cachot l'humanité, encore présente, imposant le travail et la correction au coupable, Dieu lui inspirant le repentir et la résignation, et le repentir lui laissant peut-être l'espérance : voilà la société selon l'Évangile, selon l'esprit, selon la civilisation. Choisissez ! Pour nous, notre choix est fait. »

A. de Lamartine, discours sur l'abolition de la peine de mort prononcé à l'Hôtel-de-Ville de Paris le 18 avril 1836.

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Note : la Société de morale chrétienne avait ouvert un concours philosophique et littéraire en faveur de l'abolition de la peine de mort. A. de Lamartine, rapporteur du jury d'examen, prononça ce discours dans la séance publique tenue à l'Hôtel-de-Ville de Paris pour la distribution des récompenses.