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vendredi 17 décembre 2010

"La girafe n'est pas l'un des plus beaux animaux" (Journal des Débats, 1827)


"La girafe nubienne" offerte à Charles X par Méhémet Ali, peinture de Jacques-Laurent Agasse (1767-1849). The Royal Collection, Windsor Castle.











« La girafe arrivée à Paris samedi soir a fait hier matin sa seconde apparition devant le public de Paris. MM. les administrateurs du Jardin des Plantes ont choisi, à cet effet un emplacement très commode pour les spectateurs : déjà des milliers de Parisiens en savent plus sur cette merveille des déserts que n'en ont jamais su Pline, Aristote et Buffon.

Au temps de ce dernier, les doctes eux-mêmes ne connaissaient encore la girafe que par les récits peu d'accord entre eux, et tous plus où moins inexacts des voyageurs. "La girafe, dit Buffon, est un des premiers, des plus beaux, des plus grands animaux, et qui, sans être nuisible, est en même temps l’un des plus inutiles. La disproportion énorme de ses jambes, dont celles de devant sont une fois plus longues que celles de derrière, fait obstacle à l'exercice de ses forces ; son corps n'a pas d'assiette, sa démarche est vacillante, ses mouvements sont lents et contraints… Sa peau est tigrée comme celle de la panthère, et son col est long comme celui du chameau, etc."

Si comme on en est d’accord la beauté pour l'animal consiste dans la proportion entre les parties qui le composent et la juste mesure de chacune d'elles relativement aux fonctions qu'elle a à remplir dans la souplesse et l'harmonie des mouvements, dans le caractère de force, de vélocité, d'adresse, de puissance quelconque, la girafe n'est pas l'un des plus beaux animaux ; elle est un des plus laids ; le plus laid sans contredit des grands quadrupèdes.

Celle que nous avons eue ce matin sous les yeux, bien qu'elle n'ait pas encore pris toute sa croissance, a dix à douze pieds de hauteur, depuis les pieds de devant jusqu’au sommet de la tète, laquelle est perpendiculaire au garrot, au moyen d'un long col dont la principale articulation est à sa naissance, qui semble à peu près inflexible du reste, et n'a de commun avec celui du chameau que cette longueur, qui paraît ici bien plus encore que dans le chameau, démesurée. La tête dont est surmonté ce col est proportionnellement beaucoup plus petite que celle du chameau, semble tout osseuse, et a quelque ressemblance avec l'autruche.

Le corps de l'animal long de cinq à six pieds au plus, et dont le système musculaire est mou à la vue et peu apparent, s'atténue vers la croupe, qui, par là surtout, se trouve de beaucoup plus basse que le garrot. Il n'est pas vrai que la disproportion soit énorme entre les jambes de derrière et celles de devant, et que celles-ci soient une fois plus longues que les autres. La différence entre elles nous a paru être d'un sixième tout au plus. Ces jambes longues, comme le corps à peu près (cinq à six pieds), sont assez amplement fournies, mais grossièrement formées. Elles se terminent par un pied fourchu d'assez bonne perfection. Le mouvement qu'elles impriment à l'animal n'est ni si vacillant, ni si contraint que semble l'indiquer la description de Buffon. L'allure naturelle de la girafe est l'amble ; sa vitesse, sans qu'on fit, ce nous a semblé, aucun effort pour la retarder ni l'accélérer, est celle de la marche ordinaire d'un homme.

La peau de la girafe ne ressemble aussi que de fort loin à celle des panthères ce n'est quant à la moucheture, ni la même disposition ni la même forme ni surtout les mêmes tons vigoureux de couleur qu'on se figure plutôt un fond fauve-pale, sur lequel s'étendrait un réseau blanc, à mailles larges, fortes, et irrégulièrement carrées.

Enfin, si, par sa masse, son port, son allure la girafe est comparable à quelque chose, c'est beaucoup moins à aucun des animaux vivants que nous connaissons qu'à l'espèce de mannequin qui figure au théâtre les chameaux de la Caravane, lorsque ce mannequin est porté par un seul homme et que le col de l'animal n'est figuré que par un bâton revêtu d'une manche en toile.

Bien que la girafe nous parût fort douce, comme elle l'est en effet, et qu'elle ne semblât disposée à aucun mouvement désordonné, on la promène maintenue par quatre longes, deux desquelles se rattachent à un collier sur le garrot, et les deux à un licol comme celui des chameaux. Deux Africains tenaient lâches les longes du licol ; celles du collier étaient tenues, de inouïe, par deux garçons de ménagerie, un peu en arrière. Le motif de ces précautions nous a été expliqué par un mouvement assez brusque, comme celui d'un cheval qui se cabre que fit l'animal à l'instant où on le rentrait dans la vaste orangerie qui lui sert provisoirement de demeure. La girafe est tenue dans un état de propreté remarquable : elle a le poil brillant, et paraît en bonne santé. Voilà ce que nous avons vu.

Quant aux particularités concernant les habitudes et les mœurs de la girafe, nous n'en savons encore rien que nos lecteurs ne puissent apprendre, comme nous, en ouvrant les auteurs qui en out écrit sans en savoir grand’ chose. Depuis les conquêtes des Romains, aucune girafe vivante n'était parvenue en Europe. Aussi s'accorde-t-on sur ce point, qua les girafes sont fort rares même sous le climat où le ciel les a fait naître ; rien de plus vraisemblable ! Ce qu'on a peine à concevoir, c'est, qu'un animal si dénué de défense si embarrassé de sa personne, pour ainsi dire, et qu'aucun motif d'utilité n'a engagé l'homme à amener à l'état de domesticité, se perpétue au milieu des déserts, dans le formidable voisinage des tigres et des lions.

Le public est admis tous les jours à la voir, de dix heures à midi. »

Le Journal des Débats, 5 juillet 1827.

samedi 11 décembre 2010

"La prétendue insurrection de la rue Saint-Denis était tout simplement une provocation de la police" (L. Canler, 1862)


"Suppots de l'amour unamine dans l'exercice de leurs fonctions"  par Auguste Bouquet (lithographie, 1ère moitié du XIXe siècle).










« Le 17 novembre 1827, des élections générales avaient lieu ; le soir, on se disait tout bas que le ministère de M. de Villèle touchait à sa fin, que cette fois le parti libéral obtiendrait une immense majorité. Le 18 au matin, on commença à recevoir partiellement les nouvelles du résultat des élections ; les listes arrivèrent, incomplètes à la vérité ; mais comme tout faisait présager un succès formidable, les habitants des quartiers Saint-Martin et Saint-Denis s'empressèrent, à la chute du jour, de garnir leurs croisées de lumières ; des flots de clarté célébrèrent le triomphe qui paraissait assuré.

Le 19, les journaux de la capitale annoncèrent aux provinces que, la veille, les rues de Paris avaient été spontanément illuminées, et que le soir les illuminations recommenceraient. [...] La préfecture de police, informée que les habitants de la capitale, et notamment des quartiers limitrophes des halles, devaient, pendant la soirée, célébrer par une illumination générale le succès des élections, avait envoyé des agents sur tous les points de la capitale, principalement dans les quartiers Saint-Denis et Saint-Martin. Quant à moi, on m'envoya en observation dans la rue Saint-Denis, et, mêlé à la foule qui circulait avec peine, je pus saisir à droite et à gauche bien des lambeaux de conversation, mais pas une seule, je l'avouerai, n'était à la louange du gouvernement.

Tout Paris semblait s'être porté dans ces deux rues ; ceux qui avaient vu la veille voulaient revoir; ceux qui n'avaient pas vu voulaient voir pour la première et dernière fois ; enfin, les bourgeois venaient sur la chaussée pour juger de l'effet que produiraient leurs fenêtres illuminées. Ce qu'il y avait de plus curieux à voir, c'était la rue Guérin-Boisseau et autres ruelles de ce genre, où les deux rangs de maisons, présentant peu d'écartement, paraissaient ne s'être séparés que pour donner passage à un fleuve de feu. Pendant ce temps, les enfants se promenaient par bandes, demandant des lampions et brûlant, avec les pétards et les fusées dont ils étaient porteurs, la figure et les vêtements des passants.

Vers huit heures du soir, je me trouvais non loin du passage du Grand Cerf, lorsque je vis apparaître dans la rue Saint-Denis, et venant du côté de la place du Châtelet, une troupe d'hommes en guenilles, commandés par un individu armé d'un bâton ; ils se mirent à crier à tue-tête : Des lampions ! des lampions ! Il y en avait partout, que pouvaient-ils désirer de plus ? Ils continuèrent leur route, et bientôt l'homme au bâton leur désigna une maison dont plusieurs fenêtres n'étaient pas illuminées. A ce signal s'élevèrent des cris forcenés de mort aux villélistes ! mort aux jésuites ! mort aux bigots ! avec l'accompagnement obligé des lampions! qui, cette fois, était répété en fausset par les gamins.

Le gamin de Paris est essentiellement imitateur : il avait entendu crier, il cria ; puis, comme à un autre signal de leur chef les mêmes hommes se trouvèrent les mains pleines de pierres et se mirent en devoir de casser les carreaux de cette maison, le gamin fut bientôt armé des mêmes projectiles et il aida efficacement ses professeurs ; au bout de quelques secondes, un grand nombre de vitres furent cassées. Les habitants, craignant une invasion de la populace, s'empressèrent d'illuminer les fenêtres, au milieu des huées et des sifflets des spectateurs.

L'homme au bâton et sa troupe remontèrent encore la rue, mais toutes les croisées étaient garnies de lumières, et celles qui en manquaient, ou dont les lampions s'étaient éteints, étaient immédiatement éclairées ; cela ne faisait pas l'affaire de cette bande de braillards.

Ils redescendirent vers la Seine ; arrivés près du passage du Grand-Cerf, ils s'arrêtèrent devant une maison en construction, et l'homme au bâton s'écria : Aux barricades ! A ces mots, tous ses acolytes se jetèrent sur le bâtiment, enlevèrent matériaux, échafaudages, et en un instant, aidés d'une vingtaine de commis de boutique, ils eurent bientôt édifié une barricade formidable qui fut suivie d'une seconde. L'élan était donné, et le public circulait tant bien que mal au milieu de ce tumulte, riant des différentes scènes qui se produisaient à chaque pas. Je m'approchai alors de l'homme au bâton que je reconnus avec surprise pour être un ancien forçat attaché comme auxiliaire à la brigade de sûreté commandée par Coco Lacour ; un autre de la bande était un forçat en rupture de ban, que j'avais moi-même arrêté quelque temps auparavant en flagrant délit de vol au Temple. Cette troupe n'était formée que d'individus on ne peut plus mal famés, tenant sur la voie publique, et sous la protection de la brigade de sûreté, des jeux de hasard.

Pendant que tout ceci se passait, j'avais rencontré plusieurs commissaires de police, entre autres MM. Roche, Boniface, Galton et Foubert ; et, chose étrange, bien que la préfecture fût à deux pas et qu'un piquet de gendarmerie stationnât sur la place du Châtelet, aucun de ces messieurs n'avait cherché à faire arrêter ces misérables provocateurs ! Ce ne fut qu'à dix heures du soir, lorsque la barricade était entièrement terminée et occupée, qu'un détachement de troupe de ligne, commandé par M. B***, capitaine d'état-major de la place, se montra rue Saint-Denis, à la hauteur de la rue Grenelat ; à son approche, les agents provocateurs et leurs dupes s'empressèrent de prendre la fuite ; malgré celte retraite précipitée, le commandant n'en crut pas moins devoir ordonner à ses soldats de faire feu ; plusieurs des fuyards et des imprudents furent tués ou blessés. Plus loin, des charges de cavalerie furent exécutées le sabre à la main par la gendarmerie ; l'infanterie de la même arme s'avança également en faisant le coup de feu.

Je fis à M. Barré, mon officier de paix, un rapport détaillé de ce que j'avais vu et des individus que j'avais remarqués ; je le lui remis pour qu'il en rendît compte à qui de droit.

Dans la soirée du 20, les mêmes scènes recommencèrent et cette fois le feu, commandé par le colonel F***, fut non seulement dirigé sur les barricades, mais encore sur les fenêtres des maisons environnantes ; aussi quelques-unes des victimes furent-elles atteintes dans leur domicile. Cette seconde fusillade mit fin à cette échauffourée regrettable. Le lendemain 21, comme j'étais fort étonné de ne point avoir entendu parler de mon rapport, je profitai de la visite que je faisais à M. Barré, chaque jour, à deux heures de l'après-midi, pour lui en demander des nouvelles.

— Votre rapport ? me dit-il, il y a longtemps qu'il est déchiré, et même je vous conseille dans votre intérêt de ne jamais ouvrir la bouche à qui que ce soit de ce que vous avez vu.

La prétendue insurrection de la rue Saint-Denis était tout simplement une provocation de la police. La congrégation, qui sentait le pouvoir lui échapper, avait espéré, par une collision entre le peuple et l'armée, amener le roi à prendre des mesures de rigueur et à dissoudre la chambre nouvelle. Les individus qui avaient parcouru les rues en appelant leurs frères aux armes étaient des agents occultes que j'avais parfaitement reconnus ; seulement, on avait retiré à tous ces émissaires leurs cartes d'agents, afin que, s'ils étaient arrêtés, ils ne pussent pas compromettre la police.

On a vu comment tout cela avait fini : par du sang ! Dans la nuit du 20 novembre, à deux heures du matin, des cadavres furent relevés sur la chaussée Saint-Denis et dans le passage du Grand-Cerf ; on les mit dans des fiacres qui les transportèrent à la Morgue. Parmi eux se trouvait l'homme au bâton, l'ex-forçat B***, qui avait eu l'épine dorsale brisée par une balle, en cherchant sans doute à s'esquiver après avoir accompli son exécrable mission. Agent provocateur, ayant fait un criminel trafic de la vie des citoyens, il devait tomber lui-même pendant le combat, parmi les victimes de sa propre provocation, et cela sans avoir eu le temps de recevoir le prix du sang qu'il avait fait répandre. »

Louis Canler (1797-1865), Mémoires de Canler, ancien chef du service de sûreté, A. Lacroix, Verboeckhoven et Cie, éditeurs, Bruxelles, 1862.

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Le quartier des halles à Paris, théâtre des émeutes de novembre 1827
 (gravure, milieu XIXe siècle).

« La nuit et la plus grande partie de la journée du 19 se passèrent tranquillement. Vers deux heures de relevée, on reçut au quartier des ordres du palais de Rivoli, et il se fit immédiatement une distribution extraordinaire de vin, d'eau-de-vie et de cartouches. […] ... comme je me pique de voir ordinairement plus loin que le commun des bons gendarmes, et que j'ai d'ailleurs une expérience qui manque à la plupart des camarades, je me dis à part qu'il y avait quelque chose là-dessous je soupçonnai qu'il s'agissait d'un coup de main tel, que le grand maître de l'hôtel Rivoli jugeait prudent, avant de l'entreprendre, de retremper convenablement notre valeur, et je fus bientôt convaincu que, ainsi que cela m'arrive toujours, j'avais deviné juste.
 
Quatre heures venaient de sonner, le jour baissait, presque tous les réverbères du quartier jetaient de pâles clartés sur les armes des sentinelles, lorsque tout à coup le rappel battit sur tous les points. On court, on se rassemble notre commandant réclame le silence et d'une voix forte prononce le discours suivant : "Bons gendarmes l'ennemi fier d'un succès passager, et comptant trop sur ses forces et sur votre découragement, se livre en ce moment à l'ivresse de la joie audacieux partisans des lumières, c'est à la lueur d'une multitude de lampions séditieux et félons qu'ils célèbrent leurs victoires, et c'est par de l'hôtel Rivoli. (A ce nom révéré, tous les bons gendarmes portent spontanément la main à leur chapeau). Mais c'est bien ici le cas de dire que tel rit le malin, qui pleurera le soir. Ces farouches partisans de la tranquillité, ces barbares qui osent soutenir que le ventre n'est pas une partie noble, ces féroces électeurs qui veulent que tout le monde vive ces furieux enfin osent chanter leur victoire jusque sous les balcons de nos maîtres ! Bons gendarmes, prouvons-leur que comme Annibal s'ils ont vaincu, ils ne savent pas profiter de la victoire. Montrez à la France que deux jours de station sur le pavé de la capitale et deux retraites successives n'ont pas émoussé le courage dont vous avez naguère encore donné des preuves si éclatantes. Une manœuvre hardie peut nous assurer la victoire main-basse sur les lampions, main-basse sur les pékins ! L'heure du triomphe va sonner. Aux armes et que bientôt la plus profonde obscurité signale votre vaillance !"
 
A cet énergique et superbe discours succédèrent les cris mille fois répétés de A bas les lumières ! et vive le ventre ! Le tambour bat ; chacun prend ses armes ; le commandement par le flanc droit et par file à gauche se fait d'abord entendre puis on se forme par sections en ligne, et c'est ainsi qu'on s'avance en bon ordres jusqu'à la rue Saint-Denis, où l'on prend immédiatement position. Bientôt, à la lueur des feux de joie, on aperçoit dans toutes les directions des bandes nombreuses, portant pour uniforme des tabliers et des bonnets de coton. Pleins d'audace, les individus composant ce corps passèrent à plusieurs reprises devant nous, jusqu'à la portée du coup de poing, criant comme des enragés : Des lampions ou la mort ! et brisant à coups de pierres les croisées ténébreuses. A la vue de ces gens, quelques uns des nôtres, impatients de signaler leur courage, firent un mouvement ; mais il fut promptement réprimé par un ordre supérieur. Je tiens pour certain qu'il n'y eut pas dix bons gendarmes par compagnie qui comprirent le but de cet ordre ; mais cela ne pouvait m'échapper à moi, qui, ainsi que j'ai eu l'honneur de le dire au lecteur, ai l'avantage de voir ordinairement plus loin que mon nez. Je sentis tout de suite où l'on en voulait venir, et j'essayai de le faire comprendre à mon chef de file en lui disant Les amis de nos amis... – suffit, c'est clair et nous allons voir beau jeu ! Mais, me dit-il, il me semble que si l'on cernait ces tapageurs... – A la bonne heure, repris-je, je sais bien que rien n'est plus facile ; mais ce n'est pas le plan si on les empoigne, la victoire est manquée.

Effectivement, j'avais bien deviné que les tapageurs en bonnet de coton n'étaient que des insurgés pour rire. Quand ils eurent cassé une honnête quantité de vitres selon l'ordonnance, ils se retirèrent, et les pékins, qui nous avaient vexés d'une manière conséquente pendant les deux jours précédents, arrivèrent bientôt en foule pour voir de quoi il s'agissait c'était là qu'on les attendait ! Dès qu'ils furent réunis en nombre suffisant nous fîmes un à gauche, on se forma par pelotons, et le feu commença.

Un grand homme qui je crois s'appelait Cicéron, disait qu'il n'avait jamais entendu le bruit du canon sans éprouver un tremblement involontaire ; j'avoue donc que aux premiers coups de fusil, je ressentis le même mouvement ; et cependant, loin de nous résister, l'ennemi dans les rangs duquel se trouvaient beaucoup de femmes et d'enfants, fuyait de toutes parts. Mais, malgré l'agilité de nos adversaires et le trouble dont je ne pus me défendre, je ne tardai pas à m'apercevoir que nos balles allaient beaucoup plus vite qu'eux. A la troisième décharge, les environs du marché des Innocents et du passage du Grand-Cerf étaient jonchés de morts et de blessés. Ceux qui échappaient à notre feu cherchaient à se réfugier le long des maisons ; mais, par une manœuvre habile et digne des plus grands éloges, nous ouvrîmes les rangs pour laisser passer notre cavalerie, qui se distingua par des charges d'autant plus brillantes qu'elles furent exécutées à la lueur des feux de joie allumés par l'ennemi. A mesure que nous gagnions du terrain, des tirailleurs étaient envoyés dans les rues latérales, où ils eurent un égal succès; et l’affaire paraissait terminée, lorsque les choses changèrent de face tout à coup. Un grand nombre d’insurgés, refoulés sur tous les points par des décharges continuelles, se précipitèrent dans la rue Saint-Denis ; et là, s'apercevant qu'ils étaient enveloppés, ils prirent la barbare résolution de se défendre. Aussitôt les échafaudages de plusieurs maisons en constructions furent jetés en travers de la rue, des charrettes furent accumulées, et l'ennemi, retranché derrière des barricades se fit des armes de tout ce qui se trouva sous sa main.

Malgré l'ardeur qui nous animait, nous reconnûmes promptement le danger. On fit halte à portée de pistolet et, malgré le feu d'écailles d'huîtres bien nourri que les assiégés faisaient pleuvoir sur nous, nous gardâmes notre position sans reculer d'une demi-semelle, attendant le renfort qu'un trompette, fait aide-de-camp postiche sur le champ de bataille, était allé chercher.

Sur ces entrefaites, un particulier s'approcha de notre commandant. "Monsieur, lui dit-il, n'oubliez pas que vous êtes destinés à protéger les citoyens, et non à les tuer, réfléchissez, je vous prie. – Apprends, faquin, répondit notre commandant, qu'un bon gendarme ne réfléchit jamais, et que, si ces canailles que nous tenons bloquées ne se rendent pas sur-le-champ, je ferai fusiller jusqu'au dernier."

Au moment où il achevait cette belle et énergique réponse plusieurs coups de feu se firent entendre nous ripostâmes par un feu de file et le combat s'engagea. Mais bientôt le cri de ralliement, A bas les pékins ! nous apprit que c'était aux nôtres que nous avions affaire. Le renfort demandé avait fait une manœuvre si habile qu'il arrivait sur les derrières des insurgés, qui se trouvèrent ainsi pris entre deux feux. Alors un vieux bourgeois, ayant mis sa tête à la fenêtre, s'écria : "C'est affreux ! Avez-vous bien le cœur de tirer aussi sur le peuple ? – Qu'appelles-tu peuple, vieille ganache ? répondit un brigadier : ne vois-tu pas que ce sont des maçons ? Retire-toi, dit à son tour un camarade, retire-toi, pékin, ou je te descends." Il allait effectivement le mettre à l'ombre, mais déjà un autre avait mis en joue le braillard, auquel il coupa la parole d'un coup de fusil.

Cependant l'assaut venait d'être ordonné ; nous marchions au pas de charge, tambours derrière. Ce fut alors que la mêlée devint terrible : les écailles d'huîtres tombaient comme la grêle ; il y en eut une qui ne passa pas à plus de six pouces de mon oreille droite, et une autre frappa si violemment le chapeau d'un brigadier, que son galon d'argent en reçut une forte contusion. D'un autre côté, les insurgés des maisons voisines, montés dans les mansardes, nous accablaient de bûches, de pots, et autres objets capables de couper la respiration aux plus robustes d'entre nous.

Le combat dura jusqu'à une heure du matin ; mais comme il est écrit que tout doit finir ici-bas, cette glorieuse affaire se termina et cela par plusieurs excellentes raisons : d'abord nous n'avions plus sur le champ de bataille d'ennemis vivants ; en second lieu les barricades avaient été emportées d’assaut, et enfin des cinq paquets de cartouches qui avaient été distribués à chacun de nous, il ne restait pas de quoi faire une fusée. Nous retournâmes donc au quartier, où une nouvelle distribution de liquide nous fut faite, et, en vérité, cette fois nous ne l'avions pas volée. […]

Le lendemain 20, la journée commença de manière à nous faire pressentir de nouveaux événements. […] Vers le soir, les briseurs de vitres, héros en bonnets de coton, dont nous avons parlé, furent lancés. En même temps nous sortîmes divisés en plusieurs colonnes. Bientôt les bonnets de coton disparurent au signal convenu, et les pékins, attirés de nouveau sur le terrain, furent obligés de se défendre. Mais cette fois la victoire nous coûta plus cher : nous comptâmes presque autant de morts que l'ennemi ; le sang coula de toutes parts ; je reçus simultanément trois coups de savate et deux coups de poing, et je tombai évanoui sur le tambour de la compagnie... »

Anonyme. Histoire de la bataille électorale de 1827 (16-20 novembre), rédigée par un gendarme ; avec des notes, par un tambour de la compagnie, Paris, Imp. de Guiraudet, 1827.

vendredi 10 décembre 2010

"Quels sauvages ! que ces messieurs les Osages..." (P.-E. Dubraux, 1827)

"Les Six Indiens osages arrivés du Missouri au Havre le 27 juillet 1827 et à Paris le 13 août même année". Estampe, 1827, Coll. B.n.f.




 
« LES OSAGES (1827)

Quels sauvages ! (bis)
Que ces messieurs les Osages
Quels sauvages!
Ça
N'entend ni hu ni dia.

Celui d'entre ces gaillards
Qui tranche du despotisme
N'a point par le cagotisme
Remplacé les goûts paillards.
Voulût-il, des lois écrites
Faisant un vrai casse-cou,
Que des troupeaux de jésuites
Se pendissent à son cou.

Quels sauvages ! etc.

De ces Socrate en jupons
A tel point va l'arrogance,
Qu'à leurs yeux toute la France
N'est que dupes ou fripons.
C'est en vain qu'ils se redressent
Dans leurs habits chamarrés,
Nos vizirs ne leur paraissent
Que des laquais bien dorés.

Quels sauvages! etc.

Croirait-on que ces intrus,
Dans leur naïve jactance,
Méconnaissent l'importance
De nos bons grippe-jésus ?
Exempts de trouble et d'alarme,
Ces coquins-là, sans façon,
Vous décoiffent un gendarme
Sans lui demander pardon.

Quels sauvages ! etc.

Au milieu de ses bouquins
Lorsqu'ils ont vu de Corbière,
Ils ont, pour fuir sa poussière,
Trotté comme des lapins.
On fait si bien à la grappe
Mordre ce peuple innocent,
Qu'il a pris pour une attrape
L'honorable trois pour cent.
Quels sauvages ! etc.

Ils ont pris monsieur Franche!
Pour un sombre janissaire ;
Ils ont pris un commissaire
Pour un lâche et plat valet.
Pour un sceau de contrebande
Ils ont pris mons Peyronnet,
Et Frayssinous et sa bande
Pour des piliers de gibet.

Quels sauvages ! etc.

Enfin las de voir les rois
Par la main de leurs ministres
Couvrir de haillons sinistres
Et notre France et ses droits,
Ils ont pris pour passer outre,
Dans leur jugement fougueux,
Villèle pour un j...-f…
Et Ch.... pour un pl...-g…

Quels sauvages!
Que ces messieurs les Osages,
Quels sauvages !
Ça
N'entend ni hu ni dia. »

Paul-Emile Debraux (1798-1831), Chansons complètes, vol. 1, Paris, Imp. de Baudouin, 1836.
__________________
 
"Les Indiens de la tribu des Osages arrivant en fiacre à Paris"
par Jean Joseph François Tassaert (1765-1835). Estampe, vers 1827, Coll. B.n.f..

« ...nous avions à Paris, à notre honte éternelle pour l'effet qu'ils y produisirent, une famille de monstres sauvages qu'on appelait les Osages. Ils étaient hideux ; ils ont pourtant attiré l'attention plus qu'aucun des princes étrangers que nous ayons vus jusqu'alors à Paris... C'est à notre honte, je le répète, car ils étaient stupides. Ils vinrent à Versailles un jour pour admirer le château, quoique le sens admiratif ne soit pas très développé chez eux. J'étais malade et je ne pus aller au spectacle où ils furent le soir ; j'en fus bientôt dédommagée. Quelques jours après, j'étais allé voir M. de Forbin à son atelier du Louvre ; les Osages visitaient les tableaux et les statues. Je demandai et obtins la permission non seulement de les voir, mais de leur parler par interprète. Je le fis par signe et m'en trouvai mieux. On prétend qu'ils ont un sens parfaitement complet, qui est celui de l'ouïe ainsi que celui de l'odorat, mais l'ouïe surtout est exquise, dit-on. Ils m'ont paru stupidement brutes ; le vieux surtout, celui qui porte la hache, est un homme qui, selon moi, est absurde et hors de tout ce qui se peut comprendre comme sauvage ; il est endormi constamment, ferme à demi les yeux, et parait une sorte de bête échappée du Jardin des Plantes. Les statues lui firent faire de grands éclats de rire ; cependant quand je lui ai demandé pourquoi, il a fait comme s'il ne pouvait me l'expliquer lui-même... ce mouvement, on sait, en s'éloignant les deux bras du corps en même temps et inclinant la tête... Oh ! les Osages!... J'ai eu peur cette fois-là du prince Bas-Breton. »

M. la duchesse d'Abrantles, Mémoires sur la Restauration, ou souvenirs historiques sur cette éepoque, la Révolution du Juillet et les premières années du règne de Louis-Philippe Ier, Vol. 6, Paris, J. d'Henry éd., 1836.