vendredi 17 décembre 2010

"La girafe n'est pas l'un des plus beaux animaux" (Journal des Débats, 1827)


"La girafe nubienne" offerte à Charles X par Méhémet Ali, peinture de Jacques-Laurent Agasse (1767-1849). The Royal Collection, Windsor Castle.











« La girafe arrivée à Paris samedi soir a fait hier matin sa seconde apparition devant le public de Paris. MM. les administrateurs du Jardin des Plantes ont choisi, à cet effet un emplacement très commode pour les spectateurs : déjà des milliers de Parisiens en savent plus sur cette merveille des déserts que n'en ont jamais su Pline, Aristote et Buffon.

Au temps de ce dernier, les doctes eux-mêmes ne connaissaient encore la girafe que par les récits peu d'accord entre eux, et tous plus où moins inexacts des voyageurs. "La girafe, dit Buffon, est un des premiers, des plus beaux, des plus grands animaux, et qui, sans être nuisible, est en même temps l’un des plus inutiles. La disproportion énorme de ses jambes, dont celles de devant sont une fois plus longues que celles de derrière, fait obstacle à l'exercice de ses forces ; son corps n'a pas d'assiette, sa démarche est vacillante, ses mouvements sont lents et contraints… Sa peau est tigrée comme celle de la panthère, et son col est long comme celui du chameau, etc."

Si comme on en est d’accord la beauté pour l'animal consiste dans la proportion entre les parties qui le composent et la juste mesure de chacune d'elles relativement aux fonctions qu'elle a à remplir dans la souplesse et l'harmonie des mouvements, dans le caractère de force, de vélocité, d'adresse, de puissance quelconque, la girafe n'est pas l'un des plus beaux animaux ; elle est un des plus laids ; le plus laid sans contredit des grands quadrupèdes.

Celle que nous avons eue ce matin sous les yeux, bien qu'elle n'ait pas encore pris toute sa croissance, a dix à douze pieds de hauteur, depuis les pieds de devant jusqu’au sommet de la tète, laquelle est perpendiculaire au garrot, au moyen d'un long col dont la principale articulation est à sa naissance, qui semble à peu près inflexible du reste, et n'a de commun avec celui du chameau que cette longueur, qui paraît ici bien plus encore que dans le chameau, démesurée. La tête dont est surmonté ce col est proportionnellement beaucoup plus petite que celle du chameau, semble tout osseuse, et a quelque ressemblance avec l'autruche.

Le corps de l'animal long de cinq à six pieds au plus, et dont le système musculaire est mou à la vue et peu apparent, s'atténue vers la croupe, qui, par là surtout, se trouve de beaucoup plus basse que le garrot. Il n'est pas vrai que la disproportion soit énorme entre les jambes de derrière et celles de devant, et que celles-ci soient une fois plus longues que les autres. La différence entre elles nous a paru être d'un sixième tout au plus. Ces jambes longues, comme le corps à peu près (cinq à six pieds), sont assez amplement fournies, mais grossièrement formées. Elles se terminent par un pied fourchu d'assez bonne perfection. Le mouvement qu'elles impriment à l'animal n'est ni si vacillant, ni si contraint que semble l'indiquer la description de Buffon. L'allure naturelle de la girafe est l'amble ; sa vitesse, sans qu'on fit, ce nous a semblé, aucun effort pour la retarder ni l'accélérer, est celle de la marche ordinaire d'un homme.

La peau de la girafe ne ressemble aussi que de fort loin à celle des panthères ce n'est quant à la moucheture, ni la même disposition ni la même forme ni surtout les mêmes tons vigoureux de couleur qu'on se figure plutôt un fond fauve-pale, sur lequel s'étendrait un réseau blanc, à mailles larges, fortes, et irrégulièrement carrées.

Enfin, si, par sa masse, son port, son allure la girafe est comparable à quelque chose, c'est beaucoup moins à aucun des animaux vivants que nous connaissons qu'à l'espèce de mannequin qui figure au théâtre les chameaux de la Caravane, lorsque ce mannequin est porté par un seul homme et que le col de l'animal n'est figuré que par un bâton revêtu d'une manche en toile.

Bien que la girafe nous parût fort douce, comme elle l'est en effet, et qu'elle ne semblât disposée à aucun mouvement désordonné, on la promène maintenue par quatre longes, deux desquelles se rattachent à un collier sur le garrot, et les deux à un licol comme celui des chameaux. Deux Africains tenaient lâches les longes du licol ; celles du collier étaient tenues, de inouïe, par deux garçons de ménagerie, un peu en arrière. Le motif de ces précautions nous a été expliqué par un mouvement assez brusque, comme celui d'un cheval qui se cabre que fit l'animal à l'instant où on le rentrait dans la vaste orangerie qui lui sert provisoirement de demeure. La girafe est tenue dans un état de propreté remarquable : elle a le poil brillant, et paraît en bonne santé. Voilà ce que nous avons vu.

Quant aux particularités concernant les habitudes et les mœurs de la girafe, nous n'en savons encore rien que nos lecteurs ne puissent apprendre, comme nous, en ouvrant les auteurs qui en out écrit sans en savoir grand’ chose. Depuis les conquêtes des Romains, aucune girafe vivante n'était parvenue en Europe. Aussi s'accorde-t-on sur ce point, qua les girafes sont fort rares même sous le climat où le ciel les a fait naître ; rien de plus vraisemblable ! Ce qu'on a peine à concevoir, c'est, qu'un animal si dénué de défense si embarrassé de sa personne, pour ainsi dire, et qu'aucun motif d'utilité n'a engagé l'homme à amener à l'état de domesticité, se perpétue au milieu des déserts, dans le formidable voisinage des tigres et des lions.

Le public est admis tous les jours à la voir, de dix heures à midi. »

Le Journal des Débats, 5 juillet 1827.

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