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dimanche 24 octobre 2010

"De la nécessité... de rassembler les peuples d'Europe en un seul corps politique" (H. de Saint-Simon, 1814)

Claude Henri Rouvroy, comte de Saint-Simon (1760-1825).

« L'Europe a formé autrefois une société confédérative unie par des institutions communes, soumise a un gouvernement général qui était aux peuples ce que les gouvernements nationaux sont aux individus : un pareil ordre de choses est le seul qui puisse tout réparer.

Je ne prétends pas sans doute qu'on tire de la poussière cette vieille organisation qui fatigue encore l'Europe de ses débris inutiles : le dix-neuvième siècle est trop loin du treizième. Une constitution, forte par elle-même, appuyée sur des principes puisés dans la nature des choses et indépendants des croyances qui passent et des opinions qui n'ont qu'un temps : voilà ce qui convient à l'Europe, voilà ce que je propose aujourd'hui.

De même que les révolutions des empires, lorsqu'elles se font par les progrès des lumières, amènent toujours un meilleur ordre de choses, de même la crise politique qui a dissous le grand corps européen, préparait à l'Europe une organisation plus parfaite.

Cette réorganisation ne pouvait se faire subitement, ni d'un seul jet ; car il fallait plus d'un jour pour que les institutions vieillies fussent entièrement détruites, et plus d'un jour aussi pour qu'on en créât de meilleures; celles-ci ne devaient s'élever, celles-là tomber en ruines que lentement et par des degrés insensibles.

Le peuple anglais, que sa position insulaire rendait plus navigateur que les autres peuples de l'Europe, et par conséquent plus libre des préjugés et des habitudes natales, fit le premier pas, en rejetant le gouvernement féodal pour une constitution jusqu'alors inconnue.

Les restes à-demi détruits de l'ancienne organisation européenne subsistèrent dans tout le continent ; les gouvernements retinrent leur première forme, quoiqu'un peu modifiée en quelques endroits ; le pouvoir de l'église méconnu dans le nord, ne fut plus, dans le midi, qu'un instrument de servitude pour les peuples et de despotisme pour les princes.

Cependant l'esprit humain ne restait point inactif; les lumières s'étendaient et achevaient partout la ruine des anciennes institutions : on corrigeait des abus, on détruisait des erreurs, mais rien de nouveau ne s'établissait.

C'est qu'il fallait que l'esprit novateur fût appuyé d'une force politique, et que cette force, résidant dans la seule Angleterre, ne pouvait lutter contre les forces du continent entier, qui servaient de rempart à tout ce qui restait du régime arbitraire et de l'autorité du pape.

Aujourd'hui que la France peut se joindre à l'Angleterre pour être l'appui des principes libéraux, il ne reste plus qu'à unir leurs forces et à les faire agir, pour que l'Europe se réorganise.

Cette union est possible, puisque la France est libre ainsi que l'Angleterre ; cette union est nécessaire, car elle seule peut assurer la tranquillité des deux pays, et les sauver des maux qui les menacent ; cette union peut changer l'état de l'Europe, car l'Angleterre et la France Unies sont plus fortes que le reste de l'Europe. […]

MESSEIGNEURS, vous seuls pouvez hâter cette révolution de l'Europe, commencée depuis tant d'années, qui doit s'achever par la seule force des choses, mais dont la lenteur serait si funeste.

Et ce n'est pas seulement l'intérêt de votre gloire qui vous y invite, mais un intérêt plus puissant encore, le repos et le bonheur des peuples que vous gouvernez.

Si la France et l’Angleterre continuent d’être rivales, de leur rivalité naîtront les plus grands maux pour elles et pour l’Europe ; s’ils elles s’unissent d’intérêt, comme elles le sont de principes politiques, par la ressemblance de leurs gouvernements, elles seront tranquilles et heureuses, et l’Europe pourra espérer la paix.

[...] L'âge d'or du genre humain n'est point derrière nous, il est au-devant, il est dans la perfection de l'ordre social ; nos pères ne l'ont point vu, nos enfants y arriveront un jour : c'est à nous de leur en frayer la route. »

Comte de Saint-Simon,  De la réorganisation de la société européenne, ou de la nécessité et des moyens de rassembler les peuples d'Europe en un seul corps politique, en conservant à chacun son indépendance nationale, Paris, chez Adrien Egron, 1814.

mardi 30 mars 2010

Le dessein européen de Napoléon III (Emile Ollivier, L'Empire libéral...)

L'Italie reconnaissante (1862) par Vincenzo Vela (1810-1891), musée du château de Compiègne.

« Prenez les théories démocratiques telles que Lamennais, Armand Carrel, à la fin Lamartine, nos penseurs, nos poètes populaires les avaient formulées ; mêlez-y quelques idées du grand poète et du grand penseur de Sainte-Hélène ; relisez les discours frémissants de Thiers avant 1848 en faveur de l’union de l’Italie sous l’épée de Charles-Albert et le bâton pastoral de Pie IX ; celui de Cavaignac, le 23 mai 1849, sommant le ministère de prendre les mesures nécessaires pour sauvegarder l’indépendance et la liberté des peuples ; rappelez-vous surtout le fameux ordre du jour du 24 mai 1848, voté à l’unanimité, comme règle de la politique future de la France : "pacte fraternel avec l’Allemagne, reconstitution de la Pologne indépendance, affranchissement de l’Italie." Combinez ces écrits, ces paroles et ces actes ; tirez-en une règle de conduite, et sans vous perdre en conjectures, en dissertations ou en étonnements, nous aurez la définition rigoureuse de toute la politique [extérieure] de Napoléon III.

Une simple formule la résume : elle fut celle des nationalités.

En adoptant ce principe de la Révolution de 1848, il en mesure la portée et la signification. La nationalité n’est déterminée ni par l’identité des idiomes ni par la conformité des races, ni même par la configuration géographique ou la conformité d’idées nées d’intérêts et de souvenirs communs, elle est uniquement constituée par la volonté des populations, elle est l’application au dehors du principe de la souveraineté nationale, fondement intérieur de l’Etat. […]

Ce principe n’était plus une pure rêverie de philosophe depuis que, le prenant dans les profondeurs populaires, la Révolution de Février l’avait élevé à la dignité d’un axiome d’Etat ; il n’avait pas encore agi sur les événements. Napoléon III lui fit opérer sa dernière évolution ; il l’incarne dans les faits et le réalise ; par lui il descend des nuages, il marche à la tête des armées, dicte les traités de paix, règle le maniement des empires. Napoléon Ier avait dit à Sainte-Hélène : « le premier souverain qui, au milieu de la grande mêlée, embrassera de bonne foi la cause des peuples, se trouvera à la tête de l’Europe et pourra tenter tout ce qu’il voudra. » C’est ce qui a inspiré Napoléon III.

Il avait été préparé à ce rôle par son éducation cosmopolite à Augsbourg et en Suisse. La reine Victoria lui trouvait l’esprit plus allemand que français ; nul doute que si l’on eût interrogé sur lui Arese et ses amis italiens, il ne l’eussent déclaré surtout italien ; les Polonais le considéraient tellement comme des leurs, qu’en 1831 ils lui proposèrent d’être un des chefs de l’insurrection. Ils se trompaient tous : il était Français, ardemment Français ; il croyait que la véritable manière d’illustrer, d’élever la France au XIXe siècle, était non de reculer ses frontières à quelques territoires de peu d’étendues, mais de la faire rayonner protectrice et bienfaisante sur tous les territoires où retentissait l’appel à l’indépendant et à la Liberté. Napoléon Ier avait conquis pour affranchir, lui affranchit sans conquérir. Chaque Nation a sa destinée ; la nôtre est d’être tour à tour l’apôtre, le soldat, le martyr du droit éternel : Gesta Dei per Francos. Quoi qu’il nous arrive, nous sommes rivés à cette auguste prédestination. […]

Il s’efforçait […] d’amener les Souverains à un Congrès dans lequel eussent été examinés ou plutôt confirmés les changements opérés ou imminents et qui eût établi une charte territoriale nouvelle de l’Europe. La réunion d’un Congrès solennel, en quelque sorte œcuménique, de ce congrès ajournée à un avenir indéfini, effaçant par l’importance et surtout par la nouveauté de ses décisions le Congrès de Vienne, tel a été le but auquel a tendu sans cesse l’Empereur. C’était le sens de cette révision des traités de 1815, c’est l’explication de ses remuements perpétuels, de ses projets sans cesse renaissants, de son impossibilité à se tenir tranquille. Véritable représentant des idées de son temps, patriote humanitaire à la moderne, poursuivant la délivrance des nationalités et non des extensions territoriales, il eût voulu conquérir le droit de dire : les traités faits contre Napoléon Ier ont été déchirés par Napoléon III ; et la France, les mains nettes, se contentant d’avoir aboli cette charte de sa défaite, n’a demandé pour sa peine que l’affranchissement des peuples opprimés ; c’est ainsi qu’elle a vengé Waterloo et Sainte-Hélène ! »

Emile OLLIVIER (1825-1913), L’Empire libéral : études, récits, souvenirs. Tome premier, « Du principe des nationalités », Paris, Garnier frères, 1895, p. 97-104.