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samedi 12 juin 2010

"Le Mexique n'est qu'un point, d'où l'on espère rayonner sur un hémisphère" (Edgar Quinet, 1862)

"M. Gutierrez de Estrada demande à Napoléon III de restaurer la monarchie au Mexique et lui parle de l'archiduc Maximilien, frère de l'Empereur d'Autriche". Dessin paru dans Taxile Delord, Histoire illustrée du Second Empire, vol. 3, Paris, Chez Alcan, 1892-1895.



« Qu'est-ce que cette expédition ? Que veut-elle ? Que cache-t-elle ? Est-elle dans l'intérêt public, ou dans l'intérêt d'un seul ? Où peut-elle aboutir ? Le pays qui est lancé dans cette entreprise est celui qui serait le plus embarrassé de répondre à ces questions. Il ne sait pourquoi il fait cette guerre, ni comment il y a été engagé. Il verse son sang et celui d'autrui, et ne peut dire pour quelle cause. […]

En 1781, la France a mis le pied en Amérique ; ce fut pour l'aider à s'affranchir — expédition qui ouvrit l'époque nouvelle et rapporta la liberté dans le vieux monde. En 1862, la France débarque de nouveau, mais cette fois il ne s'agit plus d'affranchir ; il s'agit de faire violence. Dans les deux cas, la question renferme les intérêts de tout un monde. Le Mexique n'est qu'un point, d'où l'on espère rayonner sur un hémisphère. En 1781, la petite expédition de Lafayette et de Rochambeau devait laisser après elle tout un continent libre. En 1862, l'expédition du Mexique, si elle se développait, telle qu'elle a été conçue, aurait pour résultat tout un continent esclave, ou du moins asservi.

Entrez dans l'esprit bonapartiste, et ce que vous appelez "ses mystères politiques" se dissipera à vos yeux. […] On vient de vous le répéter ces jours-ci. Le Bonapartisme n'est pas simplement une opinion politique ; c'est un "culte" une "adoration," une "superstition." Le principal de ces dogmes superstitieux, c'est qu'il doit réaliser la chimère du grand Empire napoléonien. Et puisque l'Europe est assez mal avisée pour ne pas se prêter à cette félicité, il est naturel, il est inévitable, que l'on se retourne vers l'Amérique. Là doivent se trouver ces vastes espaces et les peuples soumis qu'on désespère de s'annexer en Europe. On ne parle plus de la frontière du Rhin, il faut aller chercher un Rhin dans le nouveau monde. Vous ne saurez jamais avec quelle rapidité s'éveillent les ambitions démesurées de pouvoir, les visions de domination dans un esprit rempli de ce que l'on a appelé les Idées Napoléoniennes.

L'occasion du projet d'invasion du Mexique a été la guerre des États-Unis. Aux premières nouvelles d'un échec des États du Nord, le Gouvernement des Tuileries se persuada que c'était fait de la grande République américaine. Du moins, il crut qu'elle était trop occupée pour mettre obstacle à une entreprise bonapartiste. Il ne s'agissait que de choisir l'endroit où l'on porterait le grand coup à l'indépendance du nouveau monde. Le Mexique parut l'endroit propice ; il se remettait à peine, sous un gouvernement régulier et libéral, de ses longues guerres civiles. Avant de laisser ses plaies se cicatriser, on viendrait le frapper inopinément ; et même il n'y aurait pas besoin d'une longue guerre ! Car on ferait à Vera-Cruz ce que l'on a fait à Civita-Vecchia ! L'exemple de l'expédition romaine profiterait ainsi à l'expédition du Mexique. On recommencerait en 1862 l'œuvre et les stratagèmes de 1849. On se présenterait en alliés. Le drapeau tricolore, n'était-ce pas la liberté, l'indépendance ! […] La facilité d'illusion est si grande dans l'auteur de cette entreprise, qu'il est allé jusqu'à penser que le nom seul de Bonaparte courberait les hommes jusqu'à terre. A peine aurait-on besoin de paraître ! Et l'on verrait au Mexique les anciens adorateurs du soleil, se prosterner devant le soleil couchant de la fortune napoléonienne.

[…] Nous voilà à Mexico, de gré, ou de force, qu'importe ? Une nation libre est effacée de la terre. C'est déjà un point satisfaisant; mais ce n'est là encore qu'un commencement. Ce peuple s'appartenait à lui-même. Il avait acheté cette liberté orageuse au prix de torrents de sang. Il s'agit de tout lui reprendre en un jour, de telle sorte qu'il paraisse lui-même complice de son reniement et de son abdication. Pour cela, rien de plus simple; nous appliquons à cette difficulté un autre de nos nouveaux principes de 1789, à savoir qu'un peuple n'est vraiment libre que s'il est asservi à l'étranger. Son suffrage n'est volontaire et sincère que s'il vote sous les baïonnettes ennemies, teintes du sang des défenseurs de la patrie ! Nous tiendrons l'urne de Mexico, et les Mexicains auront toute liberté, une fois qu'ils seront conquis ; moyennant pourtant qu'ils feront sortir de cette urne esclave une monarchie despotique à notre usage. Appelons-la d'abord autrichienne, pour intéresser à ce grand coup toute la vieille Europe. Autrichienne, ou non, il est convenu que cette monarchie sera avant tout bonapartiste. C'est là un rideau que nous tendons, pour amuser nos alliés ; mais le rideau tiré, il restera purement et simplement au pied des Andes un deux-décembre gigantesque qui menacera et convoitera tout un continent. Napoléon en 1812 a manqué sa carrière ; il n'a pu asservir le vieux monde. Il s'agit de réparer sa fortune en asservissant le Nouveau. »

Edgar Quinet, L’expédition du Mexique, Londres, W. Jeffs, 1862.

"L'expédition du Mexique est une des pages les plus glorieuses, les plus utiles de notre histoire" (Prince de Valori, 1864)


Prise de Puebla, 20 mars 1863, imagerie d'Epinal.


« En 1861, la France, l'Espagne et l'Angleterre décidèrent d'intervenir militairement dans les affaires du Mexique. La France et l'Espagne fournissaient un contingent de soldats à l'expédition, l'Angleterre donnait des transports et des marins.

La France ne s'engageait pas dans la lutte pour venger seulement le sang de ses nationaux assassinés, l'honneur de son drapeau outragé ; pour protéger ses capitaux menacés, ses intérêts commerciaux en souffrance : elle prenait les armes pour un dessein encore plus grand, celui de fonder un empire qui pût servir de barrière aux envahissements de la race anglo-saxonne, qui, à la limite du catholicisme et du polysectisme protestant, fût un champ ouvert à toutes les aspirations politiques et religieuses de la race latine en Amérique. Certes, c'était là le plus beau côté de l'entreprise. On eut la maladresse de ne pas confesser une glorieuse arrière-pensée. On laissa travestir la pensée mère du gouvernement.

D'une question de principes on fit une question de chiffres. L'opinion publique fourvoyée n'aperçut dans toute cette affaire que les douanes de la Vera-Cruz et de Tampico. Les perspectives éblouissantes d'un avenir certain de prépondérance religieuse, politique et commerciale dans le Nouveau-Monde disparurent dans les brouillards répandus à plaisir par ceux qui avaient tant d'intérêt à les dissiper.

Pendant que la diplomatie française préparait un trône américain à la descendance de Charles-Quint, et que l'épée des vainqueurs de Solferino forgeait une couronne pour l'ancien gouverneur de la Lombardie, dans les coulisses et à la Bourse on chuchotait sur la créance Jecker. […]

Ce n'était donc pas une aventure que la France allait courir au Mexique ; elle exécutait un projet conçu depuis longtemps, mûri par un échange continuel de communications diplomatiques, par une étude approfondie de la position dans laquelle se trouvait alors la société mexicaine. […]

La question du Mexique embrasse dans son ensemble la question de races, la question politique, la question économique, la question internationale, la question religieuse.

La question de races consiste dans la suprématie que l'Union américaine prétend s'arroger dans le Nouveau Monde et sur les mers par l'introduction d'un nouveau droit public incompatible avec les intérêts des grandes puissances. Ce nouveau droit, Monroë l'a formulé. La doctrine de Monroë, c'est la loi de Moïse pour les Anglo-Saxons. Lorsque les États-Unis démembraient le Mexique en s'annexant le Texas et la Californie; lorsque, par le Yucatan, ils jetaient déjà leurs regards sur la Havane, ils appliquaient la doctrine de Monroë.

Si l'Europe ne renverse pas cette muraille de Monroë qui, comme celle de la Chine, la menace d'isolement, qu'arrivera-t-il? "Au milieu de l'incertitude de l'avenir, il y a au moins un événement qui est certain. A une époque, que nous pouvons dire prochaîne, puisqu'il s'agit de la vie des peuples, les Anglo-Américains couvriront seuls tout l'espace compris entre les glaces polaires et les tropiques ; ils se répandront des grèves de l'océan Atlantique jusqu'aux rivages de la mer du Sud" (Tocqueville, De la démocratie en Amérique). […]

Qu'arrivera-t-il donc lorsque cent cinquante millions d'hommes appartenant à la même famille, parlant la même langue, professant la même religion, sachant se battre comme vous savez, régneront depuis le détroit de Behring jusqu'à l'isthme de Panama?

Et, admettons pour un moment que, contrairement à nos intérêts, contrairement aux intérêts de la civilisation, cette guerre effroyable de l'Amérique se termine au bénéfice des États du Nord. Né de la violence et de la conquête, un gouvernement dictatorial remplacera forcément le pouvoir exécutif tel qu'il existe aujourd'hui. Toute puissance qui devient militaire tend vers la monarchie. L'Empire romain est né des César et des Pompée. Alors une unité militaire formidable, compacte, homogène, composée de ces hommes taillés avec du fer, se dressera contre l'Europe. Elle commencera par lui imposer commercialement son tarif comme elle a voulu l'imposer aux États confédérés, et si l'Europe résiste, elle prendra les armes et attendra avec un million de soldats les armées européennes aux rivages de ses deux Océans, sur le bord de ses lacs immenses, de ses fleuves infranchissables, dans les profondeurs de ses forêts impénétrables. Or l'Europe, pour lutter contre l'unité américaine, devra se constituer en unité. […]

Le jour où la race anglo-saxonne eût possédé toute l'Amérique septentrionale, depuis le Canada jusqu'aux trois isthmes de Tehuantepec, de Nicaragua et de Panama, ce jour-là elle aurait été maîtresse du golfe des Antilles et de tout le commerce de l'Asie. A l'aide d'un tarif différentiel d'une part et des métaux précieux arrachés aux entrailles du Mexique et de la Californie d'autre part, les Anglo-Américains excluraient de leur marché tous les produits de l'Europe. Ils fabriqueraient toutes les matières premières dont ils inonderaient les deux mondes. Que deviendrait l'industrie de l'Europe et que deviendrait sa marine, qui ne prospère que par l'industrie et les importations des matières premières ?

Le prolétariat se trouverait affamé et les gouvernements aux prises avec des millions d'ouvriers qui, comme en 1832, à Lyon, demanderaient du pain en travaillant ou la mort en combattant. Quels ne seraient pas les embarras des gouvernements européens! […]

L'expédition du Mexique est une des pages les plus glorieuses, les plus utiles de notre histoire : les événements qui se sont précipités le démontrent ; les siècles à venir l'affirmeront. […] L'empereur Maximilien règne à Mexico, et avec lui une ère de régénération va s'ouvrir pour le Mexique et pour l'Amérique du Nord. L'opinion publique se calme, les passions s'apaisent. Hier on ne pouvait méconnaître ni la valeur ni la hardiesse de l'entreprise, aujourd'hui on ne peut douter du succès. »

Henri François de Valori-Rustichelli (prince de Valori), L'expédition du Mexique, réhabilitée au triple point de vue religieux, politique et commercial, Paris, E. Dentu, 1864