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mercredi 7 juillet 2010

"Guillaume, ta couronne d'empereur sera bien lourde à porter" (Timon III, 1871)

Dessin extrait de Maurice Quentin-Bauchart,  La caricature politique en France pendant la guerre, le siège de Paris et la Commune (1870-1871). Paris, Labitte, Em. Paul & Cie, 1890.


« Lorsque M. de Bismarck a répondu insolemment à M. Jules Favre, qui venait à Ferrières lui demander la paix ou tout au moins l'armistice, que nous ne pourrions obtenir cette paix qu'à la condition de lui livrer l'Alsace et la Lorraine, etc., etc., nous Français, nous avons répondu : plutôt mourir que de commettre une pareille lâcheté, et, puisque vous voulez notre déshonneur, que la guerre se continue donc et que Dieu nous juge !

Aujourd'hui nous disons à Guillaume, à ses dignes associés, ainsi qu'à leur chancelier : vous voulez la guerre d'extermination, faîtes-la donc cette guerre de cannibales ! Eh bien ! soit, la guerre sans merci, la guerre sans pitié ! de votre côté la guerre des sauvages, la guerre des barbares ! Quant à la France, elle est chevaleresque, elle est magnanime ; elle répondra à vos cruautés par la patience et par la persévérance; de son côté vous trouverez la guerre par les armes courtoises, mais aussi la guerre par le mépris, la guerre par la haine, la guerre par l'isolement !

Ah ! Guillaume, poursuis ta marche infernale ! mais ne t'aventures pas trop loin, car il y a des barrières que les plus audacieux ne sauraient franchir! Jettes un regard sur tes propres États ; vois ce que deviennent tes peuples au milieu de tes grandes victoires !

Vas donc demander, roi aveugle, aux SOIXANTE MILLE VEUVES et aux CENT CINQUANTE MILLE ENFANTS, qui aujourd'hui n'ont plus de pères, si leurs cœurs s'élèvent à l'unisson vers le diadème impérial dont tu as orné ton front ! Mais non ; demandes-leur plutôt si leur joie n'éclate pas en sanglots, en songeant à la misère et au désespoir que tu leur as légués !

Demandes aussi aux mères, qui ont eu tant de peine à élever leurs fils, si elles sont radieuses et fières en voyant les drapeaux français appendus aux murs des arsenaux de Berlin, et si, en contemplant ces glorieux trophées, elles ont oublié que ces mêmes fils, qu'elles ont tant de fois pressés dans leurs bras, sont morts sur la terre étrangère, privés de sépulture, en appelant à leur secours ces mères chéries qui, hélas ! ne les reverront plus !

Si tu faisais cette demande, roi superbe, la réponse pour toi serait foudroyante.

Mais les mères, les veuves et les orphelins ne peuvent, pas exprimer leur désir, leurs volontés, leurs douleurs et leurs espérances devant les Parlements : la politique leur est interdite ! Aussi, Guillaume, n'as-tu rien à craindre de ces êtres faibles et chétifs. Poursuis ton chemin; il te restera encore assez d'hommes sans cœur pour étouffer les cris des malheureux sous le bruit formidable de leurs chants guerriers et pour acclamer tes honteux triomphes !

L'avenir, un avenir glorieux pouvait t'appartenir ; tu l'as détruit : tu as terni ton blason après Sedan ; ta gloire éphémère tombera dans l'oubli, on ne se souviendra que de tes cruautés ! Quant à Bismarck, ton âme damnée, son nom sera buriné dans les archives humaines, à côté de ceux des doges de Venise, des inquisiteurs espagnols, des Cromwell, des Machiavel et des Mourawiew !

Poursuis ton chemin à travers ces champs désolés qui rappellent le chaos ; soutiens-toi bien sur cette terre mouvante; appuies-toi solidement sur le bras de Bismarck; attaches-toi à lui, car désormais vos destinées sont égales ! Unis dans le massacre, unis dans la victoire, VOUS serez unis dans le châtiment ! Avancez donc tous deux; avancez toujours ! le gouffre est là ! béant et profond ! Il vous attend, il vous réclame, il vous attire ! C'est en vain que vous chercherez à l'éviter. Je vous le dis : il est là, là sous vos pas ; et le nom terrible qu'il porte, ce gouffre que vous n'avez pas voulu voir, est un nom affreux, implacable, sans merci ni pitié, un nom qui ne comporté ni paix ni pardon : il s'appelle la Vengeance!

N'espère pas, cruel et ambitieux monarque, que les ressentiments du peuple français, trouveront leur dernier assouvissement dans cette lutte suprême, dans ces combats titaniques, dans ce déluge de sang. Non! Comme l'abîme appelle l'abîme, ainsi le sang appelle le sang, et la semence jetée dans les sillons français, creusés par tes boulets, n'enfantera que des moissons vengeresses !

Germains, des crimes de vos pères,
Le ciel punissant vos enfants ;
De châtiments héréditaires
Accabler leurs descendants.

Guillaume, ta couronne d'empereur sera bien lourde à porter ; le fatal rocher de la force et de la violence retombera sur toi ; la mère affamée qui voit mourir son enfant sur ses mamelles taries criera aux survivants : "Souvenez-vous !" Chaque meurtre humain est gros d'un serment de représailles. […] Et nos enfants, Guillaume, grandiront dans la colère, la haine et la vengeance !!!

Maintenant, sus aux Allemands ! »


Timon III. France et Allemagne. La Vengeance ! ! !, Bruxelles, Imp. J. Coquereau, janv. 1871.

jeudi 15 avril 2010

"la Prusse, en fait de machines perfectionnées, nous envoie des canons" (L. Dubois, 1867)

 
« Pour ce qui est de la Prusse, en fait de machines perfectionnées, elle nous envoie des canons, de tous calibres, de toutes formes, à âme lisse ou rayés, en bronze ou en acier, se chargeant par la bouche ou par la culasse, ceux-ci énormes, ceux-là mignons et charmants comme des bijoux de poche : tout un arsenal au complet. M. de Bismark a-t-il voulu nous faire peur en étalant sous nos yeux tout ce parc d'artillerie, cet attirail de guerre, à peu près comme fait le magister qui montre le martinet aux écoliers récalcitrants pour les inviter à être bien sages ? On le croirait, surtout à voir ce monstre d'acier, ce canon géant, qui pèse avec son affût près de cent cinquante mille livres et lance des boulets creux du poids de 500 kilogrammes... Au moins M. de Bismark se conduit là en galant homme et sachant son monde, il n'épargne pas la matière et nous envoie un diplomate de poids. Chaque parole, chaque coup, veux-je dire, de ce Talleyrand de fer, ne coûte guère qu'un millier de francs !

Espérons pour les finances prussiennes, et aussi un peu pour cette pauvre vie humaine si menacée, qu'il ne sera pas trop bavard. Si sa parole coûte si cher, son silence serait d'un tout autre prix ! Nos journaux, d'autre part, ne nous parlaient-ils pas naguère d'un petit canon récemment inventé chez nous et qui, David de bronze, dirait au besoin son fait au Goliath prussien? En attendant, notre fonderie impériale de Ruelle riposte au léviathan de M. Krupp (le Vulcain du Jupiter à aiguille) par l'envoi de deux colosses, lesquels, à la vérité, ne pèsent que 38.000 kilogrammes, une misère! 12.000 de moins environ que leur rival d'Essen...
D'ailleurs, ici, l'œil se heurte un peu partout à des engins de guerre, tous plus formidables les uns que les autres, et luttant de puissance destructive. Tant il est vrai que le palais de l'Industrie est le temple de la Paix ! »

Lucien DUBOIS, "L'exposition universelle à vol d'oiseau", Revue de Bretagne et de Vendée, 11e année, t. XXII, 1867.
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«  Le Canon géant. Par ce temps de fusils à aiguille, et d'inventions meurtrières, il n'y a plus que les pièces de guerre monstrueuses, qui puissent captiver le regard du public. On ne s'arrête plus, comme autrefois, devant la forme souvent gracieuse presque coquette des canons armoriés et richement enjolivés ; le fini de l'exécution, la perfection du bronze ou de l'acier, la beauté des proportions, la légèreté, rien de tout cela ne touche plus le visiteur. Les dames elles-mêmes ne veulent plus entendre parler que d'œuvres gigantesques, étourdissantes de l'artillerie moderne ; il leur faut par exemple d'immenses canons de rempart se chargeant par la culasse tels que celui qui sort de la grande fabrique d'acier fondu de M. Krupp, à Essen. Celui-là dérobe à son profit, par son imposante masse et par sa nouveauté, l'attention des moins belliqueux; impassible, inébranlable, il se pose en souverain dominateur au milheu des machines industrielles qu'il semble vouloir intimider et réduire au silence. [...]

Le poids de ce canon est de 47.454 kilogrammes; son affût pèse séparément 15.000 kilogrammes; son diamètre intérieur est de 0 m 356; il lance des projectiles de 500 kilog. et chaque coup revient à environ 1.000 francs. Ne voilà-t-il pas une machine bien avantageuse? En se plaçant même au point de vue militaire, ce léviathan des canons nous paraît trop difficile à manœuvrer pour pouvoir être d'une utilité réelle dans un combat.»

Hippolyte GAUTIER, Les curiositées de l'exposition universelle de 1867: suivi d'un indicateur pratique des moyens de transport, des prix d'entrée, etc. Paris, Delagrave, 1867.

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« ... vous avez vu le monstrueux canon d'acier qui épouvantait les chemins de fer allemands par son poids et qui serait resté sans rival au Champ-de-Mars si nos fonderies de Ruelle n'étaient venues relever l'amour-propre national. Ce canon prussien était l'oeuvre et la propriété d'un simple particulier, M. Krupp, qui s'est livré à l'agréable spécialité des engins les plus meurtriers. Ledit canon avait été forgé à Essen, dans les provinces Rhénanes, où 7.500 ouvriers sont occupés à ce travail trèsbeau, mais très-homicide ; il a été offert en cadeau à S. M. le roi Guillaume, qui a dû être fort sensible à un pareil présent, lequel est tout à fait dans ses goûts. Eh bien, cet émule de Vulcain, si redoutable à la race humaine en général, est, en particulier, d'une bonté remarquable pour ses cyclopes. Il les admet en participation directe à ses bénéfices et donne, à ceux dont il est satisfait, un intérêt dans sa maison. Que voilà de braves gens conviés à bénir la guerre ! M. Krupp les loge à prix réduit, quand ils sont mariés, et pour les cclibalaires, il a installé de vastes bâtiments où, moyennant 0,76 c. par jour, on a le vivre et le couvert.»

Henry DE RIANCEY, L'ouvrier. Journal hebdomadaire illustré, n° 338, 19 octobre 1867.

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Alfred KRUPP (1812-1887), portrait tiré de l'ouvrage collectif : Les contemporains célèbres illustrés (1869)
 
 
« Tout le monde se souvient encore du canon monstrueux que M. Krupp, un industriel dont la Prusse est si fière, a exposé au Champ de Mars, et du grand prix que le jury crut devoir décerner à sa manière de fondre et de forger l'acier. Rappelons en peu de mots qu'il avait fallu seize mois pour fabriquer le canon-géant qui trônait à l'entrée de la section prussienne; que chaque coup tiré par cet engin, si l'on calcule le capital employé et le prix de la charge et des projectiles, revenait à près de quatre mille francs ; que les projectiles lancés par lui pesaient plus de 500 kilog.; que pour transporter ce colosse de Prusse en France, les compagnies de chemins de fer n'avaient pas trouvé de wagon assez solide et que l'on avait dû construire une voiture spéciale en fer et en acier.

On a pu se demander, en s'élevant au-dessus d'une admiration que la force matérielle ne peut inspirer, ce que prouve un canon, si gros qu'il soit? Si c'est le mérite et la puissance de la fabrication, il est à déplorer que ce mérite et cette puissance ne soient pas appliqués à de meilleurs résultat ? M. Michel Chevalier, en faisant la revue des grands prix de l'Exposition, a laissé tomber, de sa plume compétente, le jugement suivant : "La célèbre maison Krupp travaille d'après un procédé particulier dout elle réussit à garder le secret depuis un quart de siècle environ. Elle avait exposé des objets de taille colossale en acier fondu et forgé, notamment un canon dont la vue seule inspirait l'effroi et dont cependant les méchants ont prétendu qu'il faisait plus de peur qu'il ne pourrait faire de mal." »

J. LAURENT-LAPP, "M. Krupp", dans : Les contemporains célèbres illustrés, 106 portraits, 106 études, Paris, A. Lacroix, Verboeckoven & Cie, 1869.

mardi 30 mars 2010

"Les dynasties... sont restées plus fortes que la presse et les parlements" (Bismarck, Pensées & souvenirs)


« Jamais, pas même à Francfort, je n’ai douté que la clef de la politique allemande ne se trouvât chez les souverains et dans les dynasties, et non pas chez les publicistes du Parlement et de la presse, ou sur les barricades…

J’en étais venu à penser que l’appui que l’Autriche et de la Prusse devaient se prêter réciproquement était un rêve de jeunesse, né du contrecoup des guerres d’indépendance ; je m’étais convaincu que cette Autriche avec laquelle j’avais jusqu’alors compté n’existait pas pour la Prusse […] Je me souviens du moment où cette évolution se produisit dans mes opinions. C’était à la Diète fédérale de Francfort ; j’eus l’occasion de lire la dépêche du Prince Schwarzenberg, du 7 décembre 1850, dans laquelle les événements d’Olmütz sont présentés sous un jour tel qu’il semble qu’il ait dépendu de lui d’humilier la Prusse ou de lui pardonner complaisamment. Le ministre plénipotentiaire du Mecklembourg, mon partenaire loyal et conservateur dans la politique dualiste, chercha à calmer ma susceptibilité prussienne froissée par cette dépêche. En dépit de notre attitude à Olmütz, humiliante pour l’amour-propre prussien, j’étais venu à Francfort avec de bons sentiments pour l’Autriche ; mais là, je perdis mes illusions de jeunesse. Il n’était pas possible de déjouer pacifiquement, par le système dualiste, le nœud gordien de la situation allemande. On ne pouvait le trancher que par l’épée. Il s’agissait dès lors de gagner à la cause nationale le roi de Prusse et l’armée prussienne, soit que l’on considérât comme l’essentiel d’établir, du point de vue prussien, l’hégémonie de la Prusse, soit qu’on voulût, au point de vue national, fonder l’unité de l’Allemagne : les deux buts coïncidaient. C’était clair pour moi, et à la commission du budget (30 septembre 1862), j’y fis allusion par ma phrase si souvent dénaturée : "du fer et du sang…"

Le patriotisme allemand, en règle générale, a besoin, pour agir et produire ses effets, d’être aidé par l’attachement à une dynastie […] L’Allemand est plutôt prêt à prouver son patriotisme comme prussien, hanovrien, wurtembergeois, bavarois, hessois que comme allemand ; et dans les classes inférieures, autant que dans les groupes parlementaires, il se passera du temps avant qu’il en soit autrement.

L’importance de l’attachement à la dynastie et la nécessité absolue qu’il existât des dynasties pour servir de lien et grouper sous leur nom des portions déterminées de la nation, est une spécificité de l’Empire allemand. Les différentes nationalités, qui se sont formées chez nous sur la base d’un attachement à une famille dynastique, comprennent, dans la plupart des cas, des éléments hétérogènes dont la cohésion ne repose ni sur l’identité de race, ni sur l’identité d’évolution historique, mais uniquement sur la base d’une acquisition contestable dans bien des cas, obtenue par la dynastie en vertu du droit du plus fort, ou par fait du droit successoral.

Parce que les intérêts dynastiques nous menacent d’un nouveau morcellement et d’une nouvelle impuissance en tant que nation, il faut les ramener à leur juste mesure. Le peuple allemand et sa vie nationale ne peuvent être répartie entre les princes comme une propriété privée. […]

Les dynasties de tout temps sont restées plus fortes que la presse et les parlements ; un fait l’a prouvé : en 1866, les pays de la Confédération Germanique, dont les souverains étaient dans le rayon d’action de l’influence autrichienne, sans se préoccuper des tendances nationales, ont marché avec l’Autriche et seulement ceux qui "se trouvaient sous la menace du canon prussien" ont marché avec la Prusse. Parmi ces derniers, il est vrai, le Hanovre, la Hesse et Nassau firent exception, parce qu’ils jugeaient l’Autriche assez forte pour pouvoir repousser victorieusement toutes les prétentions de la Prusse. Ils en ont payé ensuite le prix, parce que je réussis à faire accepter au roi Guillaume l’idée que la Prusse, à la tête d’une Confédération d’Allemagne du Nord n’aurait guère besoin d’agrandir son territoire. Mais il est certain que, même en 1866, il coula du sang saxon, hanovrien et hessois, non pas pour, mais contre l’unité allemande.»
 Pensées et souvenirs par le Prince Otto von Bismarck [rédigés entre 1890 et 1892], Paris, Librairie le Soudier, 1899, vol. 1, chapitre XIII, « dynasties et races », pp. 362-372.