jeudi 15 avril 2010

"la Prusse, en fait de machines perfectionnées, nous envoie des canons" (L. Dubois, 1867)

 
« Pour ce qui est de la Prusse, en fait de machines perfectionnées, elle nous envoie des canons, de tous calibres, de toutes formes, à âme lisse ou rayés, en bronze ou en acier, se chargeant par la bouche ou par la culasse, ceux-ci énormes, ceux-là mignons et charmants comme des bijoux de poche : tout un arsenal au complet. M. de Bismark a-t-il voulu nous faire peur en étalant sous nos yeux tout ce parc d'artillerie, cet attirail de guerre, à peu près comme fait le magister qui montre le martinet aux écoliers récalcitrants pour les inviter à être bien sages ? On le croirait, surtout à voir ce monstre d'acier, ce canon géant, qui pèse avec son affût près de cent cinquante mille livres et lance des boulets creux du poids de 500 kilogrammes... Au moins M. de Bismark se conduit là en galant homme et sachant son monde, il n'épargne pas la matière et nous envoie un diplomate de poids. Chaque parole, chaque coup, veux-je dire, de ce Talleyrand de fer, ne coûte guère qu'un millier de francs !

Espérons pour les finances prussiennes, et aussi un peu pour cette pauvre vie humaine si menacée, qu'il ne sera pas trop bavard. Si sa parole coûte si cher, son silence serait d'un tout autre prix ! Nos journaux, d'autre part, ne nous parlaient-ils pas naguère d'un petit canon récemment inventé chez nous et qui, David de bronze, dirait au besoin son fait au Goliath prussien? En attendant, notre fonderie impériale de Ruelle riposte au léviathan de M. Krupp (le Vulcain du Jupiter à aiguille) par l'envoi de deux colosses, lesquels, à la vérité, ne pèsent que 38.000 kilogrammes, une misère! 12.000 de moins environ que leur rival d'Essen...
D'ailleurs, ici, l'œil se heurte un peu partout à des engins de guerre, tous plus formidables les uns que les autres, et luttant de puissance destructive. Tant il est vrai que le palais de l'Industrie est le temple de la Paix ! »

Lucien DUBOIS, "L'exposition universelle à vol d'oiseau", Revue de Bretagne et de Vendée, 11e année, t. XXII, 1867.
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«  Le Canon géant. Par ce temps de fusils à aiguille, et d'inventions meurtrières, il n'y a plus que les pièces de guerre monstrueuses, qui puissent captiver le regard du public. On ne s'arrête plus, comme autrefois, devant la forme souvent gracieuse presque coquette des canons armoriés et richement enjolivés ; le fini de l'exécution, la perfection du bronze ou de l'acier, la beauté des proportions, la légèreté, rien de tout cela ne touche plus le visiteur. Les dames elles-mêmes ne veulent plus entendre parler que d'œuvres gigantesques, étourdissantes de l'artillerie moderne ; il leur faut par exemple d'immenses canons de rempart se chargeant par la culasse tels que celui qui sort de la grande fabrique d'acier fondu de M. Krupp, à Essen. Celui-là dérobe à son profit, par son imposante masse et par sa nouveauté, l'attention des moins belliqueux; impassible, inébranlable, il se pose en souverain dominateur au milheu des machines industrielles qu'il semble vouloir intimider et réduire au silence. [...]

Le poids de ce canon est de 47.454 kilogrammes; son affût pèse séparément 15.000 kilogrammes; son diamètre intérieur est de 0 m 356; il lance des projectiles de 500 kilog. et chaque coup revient à environ 1.000 francs. Ne voilà-t-il pas une machine bien avantageuse? En se plaçant même au point de vue militaire, ce léviathan des canons nous paraît trop difficile à manœuvrer pour pouvoir être d'une utilité réelle dans un combat.»

Hippolyte GAUTIER, Les curiositées de l'exposition universelle de 1867: suivi d'un indicateur pratique des moyens de transport, des prix d'entrée, etc. Paris, Delagrave, 1867.

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« ... vous avez vu le monstrueux canon d'acier qui épouvantait les chemins de fer allemands par son poids et qui serait resté sans rival au Champ-de-Mars si nos fonderies de Ruelle n'étaient venues relever l'amour-propre national. Ce canon prussien était l'oeuvre et la propriété d'un simple particulier, M. Krupp, qui s'est livré à l'agréable spécialité des engins les plus meurtriers. Ledit canon avait été forgé à Essen, dans les provinces Rhénanes, où 7.500 ouvriers sont occupés à ce travail trèsbeau, mais très-homicide ; il a été offert en cadeau à S. M. le roi Guillaume, qui a dû être fort sensible à un pareil présent, lequel est tout à fait dans ses goûts. Eh bien, cet émule de Vulcain, si redoutable à la race humaine en général, est, en particulier, d'une bonté remarquable pour ses cyclopes. Il les admet en participation directe à ses bénéfices et donne, à ceux dont il est satisfait, un intérêt dans sa maison. Que voilà de braves gens conviés à bénir la guerre ! M. Krupp les loge à prix réduit, quand ils sont mariés, et pour les cclibalaires, il a installé de vastes bâtiments où, moyennant 0,76 c. par jour, on a le vivre et le couvert.»

Henry DE RIANCEY, L'ouvrier. Journal hebdomadaire illustré, n° 338, 19 octobre 1867.

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Alfred KRUPP (1812-1887), portrait tiré de l'ouvrage collectif : Les contemporains célèbres illustrés (1869)
 
 
« Tout le monde se souvient encore du canon monstrueux que M. Krupp, un industriel dont la Prusse est si fière, a exposé au Champ de Mars, et du grand prix que le jury crut devoir décerner à sa manière de fondre et de forger l'acier. Rappelons en peu de mots qu'il avait fallu seize mois pour fabriquer le canon-géant qui trônait à l'entrée de la section prussienne; que chaque coup tiré par cet engin, si l'on calcule le capital employé et le prix de la charge et des projectiles, revenait à près de quatre mille francs ; que les projectiles lancés par lui pesaient plus de 500 kilog.; que pour transporter ce colosse de Prusse en France, les compagnies de chemins de fer n'avaient pas trouvé de wagon assez solide et que l'on avait dû construire une voiture spéciale en fer et en acier.

On a pu se demander, en s'élevant au-dessus d'une admiration que la force matérielle ne peut inspirer, ce que prouve un canon, si gros qu'il soit? Si c'est le mérite et la puissance de la fabrication, il est à déplorer que ce mérite et cette puissance ne soient pas appliqués à de meilleurs résultat ? M. Michel Chevalier, en faisant la revue des grands prix de l'Exposition, a laissé tomber, de sa plume compétente, le jugement suivant : "La célèbre maison Krupp travaille d'après un procédé particulier dout elle réussit à garder le secret depuis un quart de siècle environ. Elle avait exposé des objets de taille colossale en acier fondu et forgé, notamment un canon dont la vue seule inspirait l'effroi et dont cependant les méchants ont prétendu qu'il faisait plus de peur qu'il ne pourrait faire de mal." »

J. LAURENT-LAPP, "M. Krupp", dans : Les contemporains célèbres illustrés, 106 portraits, 106 études, Paris, A. Lacroix, Verboeckoven & Cie, 1869.

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