vendredi 16 avril 2010

Le travail des enfants dans les mines de charbon : l'exemple du Royaume-Uni au début des années 1840 (4e partie)


"Le Mineur" par Constantin MEUNIER (1831-1905), Musée de la Chartreuse, Douai.





Mode de traitement des enfants. — État physique. — Nourriture. — Dans les exploitations organisées sur un pied convenable, où les travaux ne sont pas prolongés outre mesure, où il est accordé une demi-heure ou une heure de repos pour les repas, les enfants âgés de 10 ans et plus ne se plaignent guère de la fatigue, après avoir accompli leur journée ; dans les autres, au contraire, où ces avantages n'existent pas, la fatigue est souvent portée à son comble, et le sentiment de souffrance qu'elle occasionne ne quitte presque jamais les ouvriers et surtout les enfants.

Dans certains districts, il est rare que les jeunes ouvriers charbonniers soient maltraités par les surveillants et les ouvriers adultes ; mais il arrive fréquemment aux plus jeunes enfants d'être traités plus que rudement par les enfants plus âgés. Dans d'autres districts, et particulièrement en Ecosse, la conduite des ouvriers adultes à l'égard de leurs jeunes aides est souvent dure et même cruelle. Les propriétaires et les agents ou surveillants ont connaissance de ces mauvais traitements, mais ne font rien pour les empêcher, et quelquefois même déclarent qu'ils n'ont aucunement le droit de s'immiscer dans les affaires de ce genre.

A quelques exceptions près, les propriétaires de houillères ne s'intéressent nullement à leurs jeunes ouvriers, et s'inquiètent fort peu de ce qu'ils font et de ce qu'ils deviennent après la cessation des travaux; jamais ou presque jamais on ne songe aux moyens de leur procurer quelque amusement honnête, quelque récréation salutaire à la santé.

En général, les enfants et les jeunes gens employés dans les houillères ont une nourriture convenable, et sont vêtus d'une manière décente et confortable, lorsqu'ils ne sont pas au travail; ils doivent ces avantages au taux relativement élevé des salaires qu'ils reçoivent. Mais dans un grand nombre de cas, particulièrement dans quelques localités du Yorkshire, dans le Derbyshire, dans la partie sud du Gloucestershire, et généralement dans l'est de l'Ecosse, leur nourriture est grossière et souvent insuffisante ; les enfants disent eux-mêmes qu'ils ne peuvent contenter leur appétit; et les sous-commissaires rapportent qu'ils n'ont que des haillons pour se couvrir ; par suite du manque de vêtements, ils sont obligés le plus souvent de rester enfermés chez eux les dimanches et les fêtes, au lieu de se récréer en plein air et d'assister aux exercices religieux. Les privations auxquelles sont soumis ces pauvres enfants sont d'autant plus intolérables que leur travail est plus pénible et plus dangereux; on remarque toutefois que les enfants qui sont dans ce cas appartiennent d'ordinaire à des parents paresseux et dissolus, qui s'emparent de leurs bénéfices pour les dépenser dans les cabarets.

Accidents. — Morts violentes; leur nombre, leurs causes. — Malgré les précautions les plus multipliées et la vigilance la plus sévère, les ouvriers charbonniers sont exposés à chaque instant à des dangers nombreux qui menacent leur existence. "Notre vie, dit un témoin, ouvrier lui-même, est incessamment compromise; un bouilleur, adulte ou enfant, n'est plus en sûreté du moment où il a mis le pied dans le enflai, pour descendre dans la fosse." — "C'est un champ de bataille, dit un autre témoin, où nous n'avançons qu'à travers les blessés et les morts." [...]

Les commissaires, dans leur rapport (p. 136), donnent le relevé des morts violentes qui ont eu lieu en 1838 dans les houillères de 55 districts, où l'enregistrement des décès s'opère d'une manière régulière sous la direction et l'inspection du registraire général. Ces morts, au nombre de 351, se répartissent de la manière suivante d'après les accidents qui les ont occasionnées :



Ce relevé ne comprend qu'une partie des houillères du Royaume-Uni ; il n'y est pas fait mention des accidents survenus dans les houillères de l'Ecosse et du pays de Galles, proportionnellement plus fréquents encore que ceux que l'on constate en Angleterre. Le nombre des enfants et des jeunes gens qui en sont victimes égale quelquefois celui des adultes, et demeure rarement en dessous. Pour se faire une idée exacte des ravages exercés périodiquement dans les rangs de la population vouée au travail des mines, il faut parcourir l'enquête de la commission, les faits et les témoignages nombreux qu'elle a recueillis de toutes parts. "L'une des causes les plus fréquentes des accidents dans les houillères, — dit la commission dans la conclusion de son rapport, —est l'insuffisance ou même le défaut absolu de surveillance en ce qui concerne la sécurité du mécanisme qui sert à descendre et à remonter les ouvriers dans les fosses, l'état de la mine par rapport à la quantité de gaz nuisible qui peut s'y dégager, l'efficacité de la ventilation, l'exactitude qui doit présider à l'ouverture et à la fermeture des portes d'aérage, les endroits où il est imprudent de pénétrer avec de simples chandelles allumées, etc."

"L'usage presque général de préposer à la garde des portes d'aérage de très-jeunes enfants, peut aussi exposer à de grands dangers. Nous en dirons autant de deux pratiques propres à quelques districts et qui doivent être frappées d'une énergique réprobation. Dans quelques-unes des plus petites houillères du Yorkshire et dans la plupart de celles du Lancashire, on expose journellement la vie des ouvriers, en les laissant descendre et remonter à l'aide de cordes qui n'offrent pas la solidité nécessaire ; communément, dans le Derbyshire et le Lancashire, et occasionnellement dans le Yorkshire, on confie à de jeunes garçons la direction des machines qui servent à la descente dans les fosses et à la remonte des ouvriers. C'est avec regret que nous devons ajouter que dans un grand nombre d'exploitations l'oubli des précautions les plus indispensables est tout à fait volontaire, et que l'on n'y fait jamais le moindre sacrifice d'argent pour préserver les travailleurs des chances nombreuses d'accidents qui les menacent, encore moins pour améliorer leur position." »

à suivre...

Edouard DUCPETIAUX, De la condition physique et morale des jeunes ouvriers et des moyens de l'améliorer, Bruxelles, Méline, 1843, Vol. 2.

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