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mercredi 11 août 2010

"Le véritable gastronome est un génie dans son espèce" (P. Lacroix, 1830)


PROFESSION DE FOI

OUVREZ LA BOUCHE ET LES OREILLES !

« Gastronomes de la petite et de la grande propriété, députés des tables ministérielles, illustres culinophiles et culinomanes, et vous serfs infortunés attachés à la glèbe du pot au feu, vous tous enfin qui avez un ventre et qui pratiquez le précepte : Dieu seul adoreras ! je m'adresse à vous en langage symbolique, comme dit Le Globe ; je suis le prophète du grand dieu Ventre, dieu de tous les siècles et de tous les peuples ; mes trépieds sont des fourneaux, mes oracles des mystères de gastrolatrie ! [...]

Il n'est pas donné aux esprits lourds et matériels d'être ou de devenir gastronomes. J'ai pour, système (qui diable n'a pas de système aujourd'hui ?) de rattacher à peu près, tout à la mastication, et de faire de celle-ci la pierre de touche des caractères. Voltaire avait dit avant, moi : "Les plus grandes choses dépendent d'une bonne ou d'une mauvaise digestion." Ainsi est-il certain que Charles IX a ordonné la St.-Barthélémy pendant une colique au sortir de table : il se crut empoisonné par les protestants. [...]

Une fois posé que le véritable gastronome est un génie dans son espèce ; bien plus, que son tact est plus fin, son jugement plus exquis que chez le commun des vivants, paradoxe ou non, je me fais fort de démontrer par A plus B que sciences, arts, gouvernements, tout dépend de la gastronomie naturelle, spéciale ou transcendante ; oui, tout se rapporte à ce centre unique qui est partout et dont la circonférence n'est nulle part. [...]
 
La civilisation n'est autre chose que le perfectionnement des plaisirs de la vie : la civilisation est donc essentiellement gastronomique. [...]
 
Manger est l'affaire la plus importante et la plus indispensable, au point qu'un scholiaste a lu dans la Bible : Mangez et multipliez ! Je le répète de peur qu'on l'oublie, il n'est rien ici-bas, à Paris ou à Pékin, qui ne tienne de quelque côté à cette belle et louable opération de l'humanité que les fidèles et les profanes nomment Cuisine; ceux-ci avec lin dédain impie, ceux-là avec la vénération d'un alchimiste pour le Grand-Œuvre. Heureusement que l'existence de la cuisine n'est mise en doute par personne.

La cuisine est l'alpha et l'oméga ! La chimie? cuisine. L'histoire naturelle et la botanique? cuisine. La médecine et l'hygiène ? cuisine. L'économie politique, le commerce, la Charte constitutionnelle ? cuisine ! cuisine ! cuisine ! On comprend qu'une nation puisse subsister sans lois, sans impôts, sans gaz hydrogène, mais non jamais sans cuisine! c'est le culte universel des vivants et des bons vivants.

Entre mille paradoxes de la philosophie moderne, on a pu imaginer une société d'athées ; mais une société de jeûneurs ne sera jamais mise en problème; car la fable des Membres et de l'Estomac est aussi vraie en 1830 que du temps d'Ésope ; et, Dieu merci ! la gastronomie que les barbares, Goths, Visigoths, Ostrogoths avaient cru déshonorer par le titre outrageant de l’Art de la gueule, voit refleurir son âge d'or. Voyez comme le vocabulaire gastronomique s'est introduit par figures de rhétorique dans la littérature, la politique, la conversation ! Autrefois les rois de France étaient baptisés : le long, le gros (le menu manque), le grand, le chevelu ; c'était comme des cheveux sur la soupe. Mais on n'a pas trouvé pour Louis XVIII, l'auteur de la Charte, de surnom plus noble et plus illustre que celui de Restaurateur de la monarchie détruite. Tout le monde sait ce que c'est que la restauration ! [...]

Ô Ventre, le monde entier est occupé à te servir : les plus grands seigneurs, ainsi que les plus vils animaux, sont tes esclaves. Bienheureux les gens d'esprit qui t'adorent ! Que d'autres te sacrifient fortune, et même santé : moi, je te consacre ma plume pour la plus grande gloire de ta divinité !

Et vous tous, adorateurs de messire Gaster, prêtez-moi votre esprit, sinon votre pieux appétit ! A moi, Rabelais, qui n'écrivait qu'à table les prouesses gastronomiques de Gargantua ! à moi, Vatel, martyr de la foi culinaire ! à moi, Chaulieu, Lafare, Saint-Aulaire, aimables Anacréons français , toujours le verre en main et jamais ivres ! à moi, Piron, l'Attaignant, Désaugiers, épicuriens modernes, pères de la joie et de la chanson ! Si quelque barbare prêche l'abstinence en carême, l'étiquette dans les repas, la sobriété en tout temps.et la moutarde après dîner, sentinelle avancée de la gastronomie, je vous crierai, comme d'Assas : A moi, d'Auvergne, ce sont les ennemis !

LE GASTRONOME [Paul Lacroix, 1806-1884] »

Le Gastronome : journal universel du goût. Rédigé par une société d'hommes de bouche et d'hommes de lettres. 1ère année, n° 1, dimanche 14 mars 1830.



samedi 19 juin 2010

"La science d'un bon dîner" (Almanach de la bonne cuisine, 1860)

« LA SCIENCE D'UN BON DINER.

Un dîner bien ordonné se compose : d'huîtres, de potages, toujours deux au moins; de hors-d'œuvre, de relevés, d’entrée, de rôtis d'entremets, dessert, vins, café, liqueurs. Nous allons donner quelques explications sur ces différentes et essentielles parties d'un menu.

Huîtres. Les huîtres se mangent toujours avant le dîner. — Il importe qu'elles soient promptement digérées, afin qu'elles ne nuisent point à l'appétit et qu'elles fassent place aux aliments qui vont suivre : aussi les accompagne-t-on toujours d'un vin chaud et léger, tel que le Chablis, ou d'un bon verre de Frontignan. Si on les arrosait d'un vin nutritif, tel que le Bordeaux, ou de vins capiteux, tels que ceux de Champagne ou du Rhône, on troublerait les fonctions digestives dès le commencement du diner, ce qu'il faut éviter avec soin.

Il importe que les huîtres traversent l'estomac presque aussi rapidement que l'œsophage et qu'elles s'y dissolvent avec promptitude. Après le lait, rien ne remplit mieux ce but que le vin de Chablis.

Les huîtres constituent un aliment assez nourrissant, sain, léger et de facile digestion lorsqu'on les mange crues; elles conviennent dans certaines maladies chroniques et dans les convalescences. ' Il n'en est pas de même des huîtres cuites et même des huîtres marinées; les huîtres cuites, que l'on prépare de diverses manières, telles que frites, en coquilles, en ragoût pour garnitures, en purée pour potages, litières, gratins, sauces, etc., à la poulette, en hachis, etc., sont de difficile digestion et ne conviennent pas dans les mêmes cas que les crues. Les huîtres que l'on marine, quoique moins indigestes que les huîtres cuites, le sont néanmoins beaucoup plus que les huîtres mangées crues. Le mieux est donc de manger les huîtres crues, bien fraîches et nouvellement ouvertes. […]

Potage. Prélude obligé de tout dîner, riche ou pauvre. N'était l'heure, le potage était autrefois le seul signe caractéristique qui distinguât le dîner du souper; en effet, à ce dernier repas tant regretté de nos grands parents, on ne servait jamais de potage. Au dire des gourmands expérimentés, cette entrée en matière est une bonne chose ; elle prédispose favorablement l'estomac à recevoir les différents mets qui composent le dîner; cependant les personnes qui n'ont pas le bonheur d'être douées d'un bon appétit feront bien de n'en user qu'avec réserve, si elles ne veulent pas se priver des jouissances sensitives qui les attendent, jouissances que certains gastronomes célèbres, mais peu galants, placent au-dessus de toutes les autres.

Les potages constituent une alimentation fort utile aux enfants, aux vieillards, et généralement à toutes les personnes qui sont totalement ou partiellement privées de dents. Il est un choix à faire parmi les potages que l'on doit donner aux enfants; les plus simples, les moins excitants, ceux qui se digèrent facilement conviennent à cet âge, où il faut bien se garder d'épuiser prématurément l'estomac par une nourriture trop substantielle, et par conséquent stimulante, échauffante, etc. Les vieillards devront consulter leur expérience à cet égard ; mais, en général, il leur faut donner la préférence aux potages qui sont de facile digestion ; quant aux malades ou aux convalescents, c'est au médecin à leur prescrire l'alimentation appropriée à leur état.


Hors-d'oeuvre. On appelle ainsi les mets sans conséquence qui se servent immédiatement après le potage et ornent la table depuis le commencement du repas jusqu'au second service.

On les sert sur de petites assiettes ou dans des bateaux en porcelaine, que l'on nomme hors-d’œuvriers, et qui varient selon ce qu'ils doivent contenir; leur nombre peut être indéfini et on ne saurait les orner avec trop d'élégance, parce qu'ils servent à embellir la table pendant un temps assez long, et que leurs variétés admettent les couleurs les plus éclatantes ; la symétrie doit donc étudier les combinaisons qui doivent le mieux remplir ce but.

Ils se divisent en végétaux et en animaux. Dans la première classe, il faut ranger les cornichons, les olives farcies, les fruits et légumes marinés, graines de capucines, maïs, criste-marine, câpres confits au vinaigre, achards de l'Inde, petits artichauts à la poivrade, raifort, cerneaux, figues, betteraves, céleri-rave, mûres, bigarreaux, guignes, cerises, petites oranges, petits abricots, petites pommes, les raves et radis, champignons confits au vinaire, etc.

Dans la seconde catégorie, on comprend les côtelettes d'agneau et de mouton, les grillades, saucissons en tranches, les langues fourrées, les cervelas, rillettes et rillons de Tours, les saucisses, pieds truffés, boudin, andouille , le jambon cru , le bœuf fumé, les harengs saurs, salés, fumés et grillés, les filets de merlan, les crevettes, les petits homards, le thon mariné, le saumon mariné et fumé, les sardines, le caviar, les huîtres fraîches ou marinées, les anchois en salade et en canapés, les sept-œils, le beurre, les petits pâtés, etc.

Entrée. On appelle ainsi les mets, presque toujours chauds, que l'on sert soit en même temps que les potages, soit immédiatement après. On les divise en entrées ordinaires, grosses entrées, ou entrées de broche.

Elles se servent dans de grands plats ovales ou dans des terrines. C'est ordinairement, en gras, une longe de veau farcie à la crème et panée, ou un quartier de chevreuil piqué d'anchois avec une sauce au fumet, ou une tête de veau à la financière, ou un aloyau rôti à l'anglaise avec une sauce piquante, ou une moitié de, mouton avec des haricots blancs. En maigre, un beau turbot, un saumon frais un esturgeon, une carpe du Rhin, une alose de Seine, mais toujours avec une sauce ou une garniture, ce qui les distingue des rôtis.

Les grosses entrées sont moins délicates, et il faut que ce soit une belle pièce de résistance, comme un énorme dindon bien bourré de marrons, ou de belles truffes et de chair à saucisses.

Les entrées ordinaires s'élèvent de quatre à douze, selon le nombre des convives. La cuisine française en compte plus de six cents, et l'on en invente chaque jour. On les divise en entrées naturelles, masquées, grasses, maigres, de boucherie ou de basse-cour, d'issues, de forêts, de plaine, de volière, de marais.

Chaque entrée doit être mangée à son point, et le maître de la maison doit veiller attentivement à ce que les exigences du service n'amènent point de refroidissements compromettants pour ces plats délicats.

Rôti. Nom donné à une viande quelconque soumise à l'action immédiate du feu. Les viandes rôties conservent tous leurs principes nutritifs, et sont de bien plus facile digestion que lorsqu'elles sont cuites d'une autre manière.

Le rôti se divise en gros rôt et en petit rôt. On comprend sous la première dénomination les rôtis de boucherie et de venaison, tels que aloyaux, éclanches, longes de veau, quartiers de sanglier, de daim ou de chevreuil; et pour la seconde la volaille, le gibier, les petits pieds bardés ou piqués de lard bien frais.

Le rôti dans les grands repas doit être servi seul entre quatre saladiers, dont deux de salades potagères, une d'olives et l'autre de citrons ou de bigarades. Dans les dîners ordinaires, on sert le rôti avec l'entremets. […]

Entremets. On désigne par ce mot les différentes préparations culinaires que l'on sert avec le rôti avant le dessert. Tels sont, les légumes, les crèmes, quelques espèces de pâtisserie, quelques ragoûts, etc.

Les entremets sont les intermédiaires entre le rôti et le dessert. Ils comprennent presque tous les légumes destinés à paraître sur nos tables, tant frais que conservés, des œufs accommodés de toutes les manières, des crèmes de toute espèce et d'une multitude de pâtisseries ; on voit que le nombre en est infini.

La friture, qui fait partie des entremets, soit qu'elle recouvre des légumes ; soit qu'elle entoure les fruits, soit qu'elle masque des crèmes, offre de grandes difficultés. Il faut qu'elle soit d'une belle couleur, d'un bon goût, ferme et croquante, ce qu'on n'obtient qu'à l'aide d'une excellente pâte, et, par suite, d'un degré de chaleur dans la poêle, qu'il n'est pas toujours facile de déterminer rigoureusement. Il y a des légumes et des fruits plus aqueux que d'autres, qui par conséquent font relâcher plus ou moins la friture, et exigent une pâte moins coulante et un degré de chaleur plus fort.

Les crèmes, les omelettes soufflées, les mets dont les œufs font la base, et en général tous les entremets sucrés, demandent les soins d'un cuisinier habile. Le petit-four est encore une des parties les plus brillantes et les plus difficiles des entremets. […]

Dessert. […] Le dessert qui termine le diner n'est, à vrai dire, que la récréation de l'estomac; il n'est donc composé que d'aliments légers. Son apparition doit surprendre, étonner, enchanter, ravir les convives, et si le dîner qui a précédé a satisfait le sens du goût, le dessert doit flatter ceux de la vue et de l'odorat. C'est la poésie du dîner.

II faut dans un dessert bien ordonné des coupoles, des pièces montées garnies de friandises , des assiettes montées garnies de confitures sèches, de bonbons, de fruits glacés, des plus beaux fruits de la saison, montés avec art et simplicité, des confitures liquides contenues dans de riches compotiers de porcelaine ou de cristal, des fromages fouettés et panachés, des fromages glacés et cannelés, des glaces en tasses, en briques, en fruits, des petits-fours, des moules de conserves de fleur d'oranger soufflées au feu ; pour les convives qui ont besoin de gagner de la soif, du fromage de Hollande, Gruyère, Roquefort ou Chester, et surtout des vins fins et généreux. »

Almanach de la bonne cuisine et de la maîtresse de maison, Paris, Pagnerre, 1860.