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vendredi 15 octobre 2010

"On ne saurait prendre pour des fumeurs sérieux les individus qui s'adonnent à la cigarette" (E. Texier, 1855)

Illustration extraite de L'art de fumer, par Barthélemy Auguste (1844).  


« Il est très-certain qu'on ne saurait prendre pour des fumeurs sérieux les individus qui s'adonnent au cigarette ou à la cigarette, car, en vérité, je ne sais pas au juste quel est son sexe. La cigarette fait cependant tous les jours des progrès effrayants. Cela n'a rien qui doive nous étonner, c'est bien là une distraction digne des fumeurs de la décadence.

Pour ma part, j'ai toujours considéré les fumeurs de cigarettes comme de véritables maniaques, des gens ayant un tic qui consiste à rouler une substance quelconque dans un morceau de papier, et a l'allumer ensuite pour le laisser éteindre presque aussitôt. On n'a jamais vu, depuis que le monde est monde, un fumeur de cigarettes fumer son morceau de papier jusqu'au bout. Analysez le plaisir de la cigarette, vous verrez que le fumeur y tient en lui-même une place bien restreinte.


Ce qu'il y a dans une cigarette.

Il y a d'abord dans la cigarette une occupation manuelle. On coupe le papier. On dispose son tabac. On le roule. On l'allume. En tout, quatre opérations bien distinctes ; le cigare n'en exige qu'une seule, ou deux tout au plus.

Ensuite une perte de temps d'environ 50 pour 100 sur la journée. On est à chaque instant à la recherche ou du papier, ou du tabac; on ne se fait pas une idée de la facilité que l'on a à perdre son papier à cigarettes. Tous ces inconvénients réunis font que les générations modernes, trop blasées pour aimer les plaisirs simples, préfèrent ouvertement la cigarette au cigare et à la pipe. C'est triste à dire, mais c'est comme ça.

La cigarette jaunit l'ongle et l'extrémité du pouce droit, de façon à rendre cette couleur indélébile. C'est la coquetterie des fumeurs de cigarettes. Plus l'ongle est jaune, plus ils sont contents. […]


L'homme aux cigarettes.

Il vous accostait au coin des rues, dans les passages, sur les trottoirs du boulevard.  Des cigarettes, monsieur ; des cigarettes de contrebande, murmurait-il d'une voix furtive, il est impossible de rien fumer de meilleur. Qui ne s'est laissé aller au moins une fois dans sa vie à ces fallacieuses promesses ? On achetait de petits morceaux de papier bourrés de cendres, de sciure de bois, de sable, ou de simple terre.

La régie, la bienfaisante régie, a mis un terme à cette exploitation ; elle s'est chargée de la fabrication et de la vente des cigarettes. Les produits de la régie sont excellents ; cependant le véritable fumeur de cigarettes ne peut fumer que celles qu'il a fabriquées de ses propres mains. Cela se conçoit parfaitement, et nous croyons l'avoir déjà démontré d'une façon péremptoire : ôtez de la cigarette le plaisir de la faire, que reste-t-il ? Rien ou presque rien.


La femme qui fume la cigarette.

Ne croyez pas à la cigarette de la femme ! C'est un mensonge, un truc, une ficelle pour prendre les gens des départements, pour se donner un chic de femme andalouse. En réalité il n'y a pas de femme à Paris qui n'exècre, qui n'abomine le tabac, et cela par une raison bien simple, c'est que le tabac peut jaunir les dents.

Une femme qui fume la cigarette n'est jamais de bonne foi, elle joue un rôle, elle pose, elle veut mettre, comme on dit vulgairement, quelqu'un dedans.

Toutes les lorettes font semblant d'adorer la cigarette. Il y en a même un grand nombre qui s'entraînent au cigare afin d'agir plus vivement sur l'imagination des provinciaux que l'Exposition universelle va amener l'été prochain à Paris. »

T. Delord, A. Frémy, E. Texier, Paris-fumeur (par les auteurs des mémoires de Bilboquet), Paris, Librairie d’Alphonse Taride, 1855.

samedi 19 juin 2010

"La science d'un bon dîner" (Almanach de la bonne cuisine, 1860)

« LA SCIENCE D'UN BON DINER.

Un dîner bien ordonné se compose : d'huîtres, de potages, toujours deux au moins; de hors-d'œuvre, de relevés, d’entrée, de rôtis d'entremets, dessert, vins, café, liqueurs. Nous allons donner quelques explications sur ces différentes et essentielles parties d'un menu.

Huîtres. Les huîtres se mangent toujours avant le dîner. — Il importe qu'elles soient promptement digérées, afin qu'elles ne nuisent point à l'appétit et qu'elles fassent place aux aliments qui vont suivre : aussi les accompagne-t-on toujours d'un vin chaud et léger, tel que le Chablis, ou d'un bon verre de Frontignan. Si on les arrosait d'un vin nutritif, tel que le Bordeaux, ou de vins capiteux, tels que ceux de Champagne ou du Rhône, on troublerait les fonctions digestives dès le commencement du diner, ce qu'il faut éviter avec soin.

Il importe que les huîtres traversent l'estomac presque aussi rapidement que l'œsophage et qu'elles s'y dissolvent avec promptitude. Après le lait, rien ne remplit mieux ce but que le vin de Chablis.

Les huîtres constituent un aliment assez nourrissant, sain, léger et de facile digestion lorsqu'on les mange crues; elles conviennent dans certaines maladies chroniques et dans les convalescences. ' Il n'en est pas de même des huîtres cuites et même des huîtres marinées; les huîtres cuites, que l'on prépare de diverses manières, telles que frites, en coquilles, en ragoût pour garnitures, en purée pour potages, litières, gratins, sauces, etc., à la poulette, en hachis, etc., sont de difficile digestion et ne conviennent pas dans les mêmes cas que les crues. Les huîtres que l'on marine, quoique moins indigestes que les huîtres cuites, le sont néanmoins beaucoup plus que les huîtres mangées crues. Le mieux est donc de manger les huîtres crues, bien fraîches et nouvellement ouvertes. […]

Potage. Prélude obligé de tout dîner, riche ou pauvre. N'était l'heure, le potage était autrefois le seul signe caractéristique qui distinguât le dîner du souper; en effet, à ce dernier repas tant regretté de nos grands parents, on ne servait jamais de potage. Au dire des gourmands expérimentés, cette entrée en matière est une bonne chose ; elle prédispose favorablement l'estomac à recevoir les différents mets qui composent le dîner; cependant les personnes qui n'ont pas le bonheur d'être douées d'un bon appétit feront bien de n'en user qu'avec réserve, si elles ne veulent pas se priver des jouissances sensitives qui les attendent, jouissances que certains gastronomes célèbres, mais peu galants, placent au-dessus de toutes les autres.

Les potages constituent une alimentation fort utile aux enfants, aux vieillards, et généralement à toutes les personnes qui sont totalement ou partiellement privées de dents. Il est un choix à faire parmi les potages que l'on doit donner aux enfants; les plus simples, les moins excitants, ceux qui se digèrent facilement conviennent à cet âge, où il faut bien se garder d'épuiser prématurément l'estomac par une nourriture trop substantielle, et par conséquent stimulante, échauffante, etc. Les vieillards devront consulter leur expérience à cet égard ; mais, en général, il leur faut donner la préférence aux potages qui sont de facile digestion ; quant aux malades ou aux convalescents, c'est au médecin à leur prescrire l'alimentation appropriée à leur état.


Hors-d'oeuvre. On appelle ainsi les mets sans conséquence qui se servent immédiatement après le potage et ornent la table depuis le commencement du repas jusqu'au second service.

On les sert sur de petites assiettes ou dans des bateaux en porcelaine, que l'on nomme hors-d’œuvriers, et qui varient selon ce qu'ils doivent contenir; leur nombre peut être indéfini et on ne saurait les orner avec trop d'élégance, parce qu'ils servent à embellir la table pendant un temps assez long, et que leurs variétés admettent les couleurs les plus éclatantes ; la symétrie doit donc étudier les combinaisons qui doivent le mieux remplir ce but.

Ils se divisent en végétaux et en animaux. Dans la première classe, il faut ranger les cornichons, les olives farcies, les fruits et légumes marinés, graines de capucines, maïs, criste-marine, câpres confits au vinaigre, achards de l'Inde, petits artichauts à la poivrade, raifort, cerneaux, figues, betteraves, céleri-rave, mûres, bigarreaux, guignes, cerises, petites oranges, petits abricots, petites pommes, les raves et radis, champignons confits au vinaire, etc.

Dans la seconde catégorie, on comprend les côtelettes d'agneau et de mouton, les grillades, saucissons en tranches, les langues fourrées, les cervelas, rillettes et rillons de Tours, les saucisses, pieds truffés, boudin, andouille , le jambon cru , le bœuf fumé, les harengs saurs, salés, fumés et grillés, les filets de merlan, les crevettes, les petits homards, le thon mariné, le saumon mariné et fumé, les sardines, le caviar, les huîtres fraîches ou marinées, les anchois en salade et en canapés, les sept-œils, le beurre, les petits pâtés, etc.

Entrée. On appelle ainsi les mets, presque toujours chauds, que l'on sert soit en même temps que les potages, soit immédiatement après. On les divise en entrées ordinaires, grosses entrées, ou entrées de broche.

Elles se servent dans de grands plats ovales ou dans des terrines. C'est ordinairement, en gras, une longe de veau farcie à la crème et panée, ou un quartier de chevreuil piqué d'anchois avec une sauce au fumet, ou une tête de veau à la financière, ou un aloyau rôti à l'anglaise avec une sauce piquante, ou une moitié de, mouton avec des haricots blancs. En maigre, un beau turbot, un saumon frais un esturgeon, une carpe du Rhin, une alose de Seine, mais toujours avec une sauce ou une garniture, ce qui les distingue des rôtis.

Les grosses entrées sont moins délicates, et il faut que ce soit une belle pièce de résistance, comme un énorme dindon bien bourré de marrons, ou de belles truffes et de chair à saucisses.

Les entrées ordinaires s'élèvent de quatre à douze, selon le nombre des convives. La cuisine française en compte plus de six cents, et l'on en invente chaque jour. On les divise en entrées naturelles, masquées, grasses, maigres, de boucherie ou de basse-cour, d'issues, de forêts, de plaine, de volière, de marais.

Chaque entrée doit être mangée à son point, et le maître de la maison doit veiller attentivement à ce que les exigences du service n'amènent point de refroidissements compromettants pour ces plats délicats.

Rôti. Nom donné à une viande quelconque soumise à l'action immédiate du feu. Les viandes rôties conservent tous leurs principes nutritifs, et sont de bien plus facile digestion que lorsqu'elles sont cuites d'une autre manière.

Le rôti se divise en gros rôt et en petit rôt. On comprend sous la première dénomination les rôtis de boucherie et de venaison, tels que aloyaux, éclanches, longes de veau, quartiers de sanglier, de daim ou de chevreuil; et pour la seconde la volaille, le gibier, les petits pieds bardés ou piqués de lard bien frais.

Le rôti dans les grands repas doit être servi seul entre quatre saladiers, dont deux de salades potagères, une d'olives et l'autre de citrons ou de bigarades. Dans les dîners ordinaires, on sert le rôti avec l'entremets. […]

Entremets. On désigne par ce mot les différentes préparations culinaires que l'on sert avec le rôti avant le dessert. Tels sont, les légumes, les crèmes, quelques espèces de pâtisserie, quelques ragoûts, etc.

Les entremets sont les intermédiaires entre le rôti et le dessert. Ils comprennent presque tous les légumes destinés à paraître sur nos tables, tant frais que conservés, des œufs accommodés de toutes les manières, des crèmes de toute espèce et d'une multitude de pâtisseries ; on voit que le nombre en est infini.

La friture, qui fait partie des entremets, soit qu'elle recouvre des légumes ; soit qu'elle entoure les fruits, soit qu'elle masque des crèmes, offre de grandes difficultés. Il faut qu'elle soit d'une belle couleur, d'un bon goût, ferme et croquante, ce qu'on n'obtient qu'à l'aide d'une excellente pâte, et, par suite, d'un degré de chaleur dans la poêle, qu'il n'est pas toujours facile de déterminer rigoureusement. Il y a des légumes et des fruits plus aqueux que d'autres, qui par conséquent font relâcher plus ou moins la friture, et exigent une pâte moins coulante et un degré de chaleur plus fort.

Les crèmes, les omelettes soufflées, les mets dont les œufs font la base, et en général tous les entremets sucrés, demandent les soins d'un cuisinier habile. Le petit-four est encore une des parties les plus brillantes et les plus difficiles des entremets. […]

Dessert. […] Le dessert qui termine le diner n'est, à vrai dire, que la récréation de l'estomac; il n'est donc composé que d'aliments légers. Son apparition doit surprendre, étonner, enchanter, ravir les convives, et si le dîner qui a précédé a satisfait le sens du goût, le dessert doit flatter ceux de la vue et de l'odorat. C'est la poésie du dîner.

II faut dans un dessert bien ordonné des coupoles, des pièces montées garnies de friandises , des assiettes montées garnies de confitures sèches, de bonbons, de fruits glacés, des plus beaux fruits de la saison, montés avec art et simplicité, des confitures liquides contenues dans de riches compotiers de porcelaine ou de cristal, des fromages fouettés et panachés, des fromages glacés et cannelés, des glaces en tasses, en briques, en fruits, des petits-fours, des moules de conserves de fleur d'oranger soufflées au feu ; pour les convives qui ont besoin de gagner de la soif, du fromage de Hollande, Gruyère, Roquefort ou Chester, et surtout des vins fins et généreux. »

Almanach de la bonne cuisine et de la maîtresse de maison, Paris, Pagnerre, 1860.