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mercredi 9 février 2011

"Un ouvrier allait prendre place au gouvernement" (H. Castille, 1854)


Alexandre Martin Albert (1815-1895), dit "l'Ouvrier Albert", fils de cultivateur devenu ouvrier mécanicien, il rejoint sous la Monarchie de Juillet diverses sociétés secrètes, avant de fonder avec d'autres ouvriers le journal L'Atelier. Pour Daniel Stern (pseud. de la Comtesse Marie d'Agoult), "la nomination d'un ouvrier au gouvernement provisoire est un fait historique dont il ne faut pas méconnaître le sens et le caractère. Elle est le signe de l'émancipation, aveugle encore, mais désormais assurée de la classe laborieuse ; elle marque l'heure du passage de la révolution politique à la révolution sociale." (Histoire de la révolution de 1848, vol. 1, 1851).

« Les Tuileries prises, le roi parti, La Réforme et Le National sentirent la nécessité d'un rapprochement immédiat. Il n'y avait pas une minute à perdre en vaines querelles. La Chambre pouvait se remettre de sa stupeur. Le peuple lui-même n'attendrait pas longtemps qu'on lui offrît un gouvernement. […] Les haines étaient vives entre ces deux journaux. La compétition du pouvoir ne semblait pas de nature à les ramener à des sentiments de conciliation. De part et d'autre on avait formé un comité en permanence. Depuis plusieurs heures, ces deux comités rivaux recrutaient les notabilités de leur faction. Au National se tenaient MM. Emmanuel Arago, Marrast, Martin (de Strasbourg), Sarrans, Dornès, Recurt, Vaulabelle, etc. A La Réforme MM. Beaune, Flocon, Gervais (de Caen), Cahaigne, et vingt autres discutaient sans arriver à une conclusion. […] Des deux parts, on dressait des listes de gouvernement provisoire. Mais si l'on parvenait à se rencontrer sur quelques illustrations qu'un mérite spécial et qu'une gloire extra-politique plaçaient dans une sorte de neutralité ; il n'en était pas ainsi des autres. On acceptait M. Lamartine comme poète, M. Arago comme astronome, M. Dupont (de l'Eure) comme honnête homme et comme octogénaire. Mais M. Marrast ne voulait pas entendre parler de M. Ledru-Rollin. M. Flocon avait M. Garnier-Pagès en horreur, et M. Marie frémissait à l'idée de partager le pouvoir avec le communiste Louis Blanc. […]

L'impossibilité de s'entendre amena purement et simplement un partage du pouvoir. Ce fut une conclusion fatale, inévitable. Il en résulta plus tard dans le gouvernement provisoire un manque d'homogénéité, qui devint pour la seconde République la source de tant de maux. La patrie en saigne encore et les larmes en couleront longtemps ! […]

On parvint enfin à s'entendre sur une liste ainsi conçue : "Dupont (de l'Eure), François Arago, Ledru-Rollin, Flocon, Marie, Armand Marrast, Crémieux, Garnier-Pagès, Lamartine, Louis Blanc." Ce dernier alla aussitôt lire la liste à la foule de combattants qui se pressaient dans la cour de l'hôtel. De rauques acclamations l'accueillirent. Pourquoi applaudissaient-ils ? Sans doute parce qu'applaudir est un besoin des masses, un prurit qui se déclare à la paume des mains de l'homme-multitude aussitôt qu'un homme-individu se place en face de lui et parle. Cette liste éclectique ne méritait certainement pas l'approbation du peuple. La science, le talent et la vertu s'y trouvaient réunis. Il y manquait l'unité. L'impéritie gouvernementale devait résulter de cette impuissante mixture de noms si diversement nuancés. Cela ressemblait trop à un dépècement du pouvoir par des ambitions secondaires. On ne sentait là personne qui eût le nerf d'un Cromwell ou d'un Robespierre, qui dût absorber les individualités inférieures et imprimer au gouvernement de la République une forte impulsion.

Les combattants pressés dans la cour eurent peut-être une vague perception de ce partage de la proie gouvernementale, car la pensée de s'en attribuer une part leur vint à l'esprit. Il fallait pour cela qu'un des leurs fût promu au rang des futurs dictateurs. La lecture de la liste était à peine achevée qu'un nom volait de bouche en bouche : "Albert ! Albert !" s'écriait-on. Lorsque ce nom arriva dans la salle de la rédaction, où se trouvaient de nombreux ouvriers, le cri de "Vive Albert !" retentit et consacra sa nomination. Un ouvrier allait prendre place au gouvernement d'une des premières nations du monde.

M. Albert était-il donc un de ces génies inconnus que les révolutions font soudain sortir de la foule ? En aucune façon. Ouvrier mécanicien, appartenant d'ailleurs à une famille aisée, M. Albert ne se distinguait par aucune de ces hautes et rares qualités qui désignent un homme aux fonctions gouvernementales. Sa notoriété ne s'étendait pas au delà des régions dans lesquelles s'écoulait sa vie. Depuis longtemps affilié aux sociétés secrètes, il avait pris part, dans les derniers temps du règne de Louis-Philippe, à la direction des Saisons. Hâtons-nous d'ajouter que M. Albert était estimé de tous à cause de la pureté de son caractère, de sa bravoure, de son dévouement à la cause républicaine. Il faut que ces nobles qualités aient été bien incontestables chez lui pour qu'aucun des agents secrets qui ont infecté la presse de dégoûtantes calomnies n'ait osé touchera cette simple et honnête figure.

Il est à regretter, au point de vue démocratique, que M. Albert n'ait pas été doué de facultés éminentes. Il eût donné à sa nomination une portée considérable qu'elle n'avait pas en réalité. Examinée de bonne foi, la nomination de M. Albert au gouvernement provisoire de la République française atteste bien plutôt la puissance des sociétés secrètes, que la volonté déterminée chez le peuple de se gouverner lui-même et d'arriver à une répartition plus rigoureuse, plus exacte de l'autorité. L'ouvrier des sociétés secrètes est un homme déclassé. Il n'appartient plus en réalité au travail ; il appartient à la politique. La nomination de M. Albert, dans la cour et dans les bureaux de La Réforme, par une foule d'hommes auxquels il avait commandé dans les sections, n'a pas d'autre sens que l'hommage rendu à un bon chef par ses soldats. Pour que cette élection eût pris le caractère que les hommes du parti avancé cherchèrent à lui donner, il eût fallu, au lieu de M. Albert, voir surgir quelque ouvrier connu de tous, désigné par l'acclamation générale des légions du travail, ou plutôt par une sorte de sentiment public. Il n'en existait pas de tel.

La nomination de M. Albert eut donc plutôt l'air d'une flatterie à l'adresse du peuple, qu'un fait de la volonté du peuple lui-même. Que ce soit là un signe considérable dans l'histoire d'une nation, quoiqu'il soit permis d'en relever l'importance, on ne saurait sans exagération lui donner un caractère de réforme sociale. Après tant de sottises perpétrées au soleil, quiconque a conservé des convictions démocratiques, est sommé, sous peine de mort éternelle, de déposer la dernière de ses illusions. M. Albert justifia d'ailleurs les réserves que l'histoire enregistre aujourd'hui par une inaction et un effacement absolus. Paris se demanda longtemps quel était cet Albert, ouvrier, en qui l'humble artisan et le penseur fondaient une secrète espérance. L'artisan se disait que les bienfaits du pouvoir allaient descendre, sous forme de lois généreuses, jusque dans son humble logis. Le penseur entrevoyait déjà l'aurore d'une grande évolution de l'esprit humain, le dernier cadre des classifications rompu, la naissance d'une société en participation collective, que sais-je ? La vertu, le mérite personnel, débarrassés de toute entrave et devenant la vraie, l'unique distinction entre les hommes. Quelque disciple d'Emerson y vit peut-être l'aurore du gouvernement des héros. Le nom de M. Albert a été un grand leurre. »

Hyppolite Castille, Histoire de la Seconde République en France,
vol 1, Paris, Victor Lecou éd., 1854.

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« LE CITOYEN ALBERT , OUVRIER ( SANS PORTEFEUILLE),

(C'est un Montagnard qui parle à un Conservateur.)

Quand je vous dis qu'Albert est habile ouvrier,
Dans quel art ? dites-vous d'un air mi-sardonique
Que je ne veux qualifier.
Apprenez qu'aujourd'hui l'art n'est plus qu'un métier
Nous fondons une République
Où doivent régner seuls les talents, les vertus,
Et ce n'est que dans la boutique,
Parmi ces hommes aux bras nus,
Qu'on trouve ces Romains, nouveaux Cincinnatus,
Sortant de l'atelier ou quittant leurs chaumières
Pour détrôner les rois et punir les tyrans ;
Ou , s'il le faut, sortant des derniers rangs ,
Baïonnettes intelligentes
Qui n'ont besoin de vieillir sous les lentes,
Pour être aussi bons chefs qu'intrépides guerriers ;
Puis, retournant dans leurs humbles foyers,
Y trouvent leurs femmes et filles ,
Filant le lin , lissant leurs vêtements grossiers ,
Et leur tenant tout chaud le potage aux lentilles.
Ah ! vous pensez, bourgeois et riches corrompus,
Modernes Lucullus, Crassus, Apicius,
Bravant la frugale Montagne,
Siège des grands et nobles cœurs,
Vous pensez, de ce peuple adroits explorateurs,
Vous abreuver toujours de ses sueurs
Où vous semblez trouver le bouquet du Champagne,
Sans jamais vous désaltérer !
Mais le temps est venu de vous régénérer.
C'est à son tour à faire un peu cocagne.
Cédez-lui donc la place en payant son écot,
N'oubliant que le pain tout seul est chose fade,
Qu'il attendit assez la grasse poule au pot
Et ne boit jamais qu'à rasade.
Sinon, le triangle d'acier
Pourrait bientôt reprendre son office,
Machine régénératrice
Qui dort depuis la fin du grand siècle dernier
Et finirait par se rouiller.
J’entends, le mot est dur et vous fait sourciller.
Prétendez-vous du peuple entraver la justice ?
Quand on fonde un nouveau sur un vieil édifice,
Ne faut-il pas d'abord qu'on démolisse ?
C'est là tout l'art des modernes maçons.
Entendez-les déjà crier avec courage :
Frères, amis, mettons-nous à l'ouvrage.
Démolissons, démolissons.
Pour reconstruire après, manquons-nous d'architecte ?
Eh bien ! Albert est là : suffit.
Sa force au moins n'est pas suspecte.
Quel besoin a-t-il donc d'études et d'esprit,
De savoir même ce qu'il dit ?
Quand on sait, les bras nus, s'il faut, jusqu'à l'aisselle,
Manier le marteau, la scie ou la truelle,
Quel conservateur insolent,
Regrettant l'état monarchique,
Oserait bien lui nier le talent
De gouverner la République ? »

Charles-Louis Rey (pseud. Géronte cadet), Poésies diverses,
Nîmes, chez les principaux libraires, 1852.

jeudi 20 janvier 2011

"On mûrit vite par les révolutions" (E. Loudun, 1848)

La Révolution française de 1848, aquarelle de Cesare Dell'Acqua (1821-1905).
La première partie de l'article d'Eugène Loudun est à retrouver en cliquant sur le lien suivant :

« La province, il faut l'avouer, n'était pas préparée à la République : bien plus, elle en avait peur. Le mot de république ne lui représentait que la Terreur ; la République, c'était le sang et l'échafaud. Aujourd'hui, elle ne doit plus craindre ; mais on ne change pas tout aussitôt, et elle n'est pas, pour employer l'expression révolutionnaire, à la hauteur de Paris. On parle d'idées fédéralistes qui se prononceraient dans quelques départements ; si l'on entend que la province songe à scinder en Etats indépendants comme ceux d'Amérique, unis par un lien fédéral, il y a exagération. Ce qui émeut la province, et ce qu'elle veut au moins modifier, c'est la centralisation excessive, et tous les bons esprits sont d'accord avec elle. La province n'est plus ce qu'elle était il y a vingt ans : la facilité et la rapidité des communications, les voyages répétés à Paris, les courants des idées ont changé l'esprit provincial. Il n'est plus aussi routinier, il n'est plus apathique ; il se permet de juger et de censurer, et il nous juge sévèrement. Plusieurs rédacteurs en chef de journaux de province viennent d'être placés dans de hauts emplois à Paris ; c'est la preuve de son influence. Les départements ne veulent pas qu'un million d'hommes dirige complètement et toujours trente-six millions d'hommes, qu'il suffise d'un signe de la tête pour que tout le corps obéisse, et qu'un soudain mouvement de la capitale impose sa volonté à la France entière. On ne le veut pas davantage à Paris ; il n'y aura pas de fédéralisme ; elle ne sera pas détruite cette magnifique unité de la France qui nous a coûté tant de siècles, tant d'argent et tant de sang, et par laquelle nous sommes la première nation du monde ! Ce qui sera changé, c'est le système administratif ; on brisera le réseau à millions de fils des ordonnances, des arrêtés, des circulaires et des rapports qui enchaînait la province, qui arrêtait toute action, qui faisait qu'un pont ne pouvait établir une communication entre deux villes sans que tous les commis de dix bureaux eussent examiné, pesé, contrôlé, raturé, et gardé des mois entiers l'arrêté ministériel qui devait donner le mouvement et la vie à toute une population. La province n'a rien à craindre de ce côté ; la capitale l'aidera ; et, s'il était nécessaire, les députés des départements ne seraient-ils pas unanimes pour reconquérir leurs droits ?

Mais où le danger pourrait commencer, ce serait si, les élections générales étant retardées, l'ardeur magnanime qui plane sur la France allait s'amoindrir, si les intérêts mesquins qui se tassent et se rencoignent au fond des provinces, les petites personnalités des petites villes impatientes de se produire à la tribune pour être écoutées de l'univers, les ambitieux longtemps contenus et pâles d'envie, les intelligences retirées dans d'étroites spécialités, et fortes du despotisme de leurs théories, venaient à l'emporter sur de larges et généreux esprits, et arrivaient à l'Assemblée avec leurs sourdes rivalités et leurs amitiés plus dangereuses encore. Ils seraient transplantés tout d'un coup d'un sol maigre et d'un climat attiédi dans une terre brûlante et un air enflammé comme celui des tropiques ; quelques-uns, d'une nature vigoureuse, se reconnaîtraient immédiatement dans le milieu qui est propre à leur activité et à leurs nobles pensées ; mais les corps amoindris, en qui l'ardent soleil ne fait pas courir le sang plus vite, s'ils accueillaient par la froide et implacable raillerie des petites coteries le bel élan qui nous emporte, s'ils résistaient, et voulaient arrêter par leur impassibilité, ne seraient-ils pas la cause des colères et des tempêtes ? ne serait-il pas possible que les séances de l'Assemblée nationale ne devinssent des luttes où le peuple viendrait prendre sa part ? ne verrait-on pas se renouveler les invasions des hordes armées dans la Convention, et ne gouvernerait-on pas par des accès de fièvre, et à coups d'émeutes et de pavés ?

Ces craintes heureusement ne sont encore que des doutes, et nous ne les avons abordées que parce que nous avons voulu dire toute la vérité. Nous avons de justes et fortes raisons de croire qu'elles seront vaines ; on mûrit vite par les révolutions, et déjà peut-être les intérêts des petites villes rentrent dans l’ombre, et un noble tressaillement de la France annonce l'unanimité de préoccupations généreuses.

Nous ne sommes donc pas effrayé de ces occasions de trouble ; les idées qui ont pénétré la masse, et qui forment le fond de notre caractère, voilà les maux qui doivent appeler la réflexion des esprits sérieux, et unir tous les hommes de conviction, de patriotisme et d'enthousiasme, pour les combattre et les vaincre : c'est la corruption que le gouvernement déchu nous a apprise, et à laquelle il nous a habitués pendant dix-huit ans, et dont les racines ont atteint tant de cœurs nés avec les instincts du dévouement.

La république, a dit M. de Chateaubriand, est le meilleur des gouvernements quand le peuple a des mœurs ; le pire, quand il n'en a pas. Il ne faut pas croire que, parce que nous avons fait une révolution, nous ayons détruit la corruption ; elle existe non en profondeur, mais en étendue. Ils sont nombreux ceux qui avaient recueilli une oreille avide ces paroles d'un ministre de Louis-Philippe : Enrichissez-vous ! et celles-ci d'un autre homme, âme de ses conseils, M. Dupin : Chacun chez soi, chacun pour soi ! Ils vivent encore ces pères qui lançaient leurs enfants dans la vie en leur disant : Va faire-fortune ! Et on en a eu une preuve évidente par la curée éhontée à laquelle tant de gens se sont précipités dès le lendemain de la victoire. Mais, sans vouloir exciter les haines et aduler le peuple, avouons-le, cette cupidité, elle est attachée surtout à la peau de la classe moyenne ; c'est la bourgeoisie qui est le plus réellement corrompue, c'est elle qui s'est élancée vers le pouvoir et qui crie avec le plus d'ardeur : Vive la République ! Ce sont ceux-là dont il faut se garder, soit qu'ils enseignent la jeunesse au coin du foyer dans la famille, soit qu'ils prêchent hautement et publiquement à la face du peuple; ils n'emploieront plus les mêmes paroles et les mêmes moyens ; ils flatteront le peuple, mais ce seront les mêmes qui flatteraient les rois. Notre littérature, depuis quinze ans, était bien, selon le mot d'un penseur, l'expression de la société ; la plupart des hommes qui ont acquis une réputation littéraire l'ont gagnée parce qu'ils caressaient les inclinations sordides et les passions avilissantes ; ils ne songeaient pas à instruire, ils voulaient plaire ; on peut trouver dans leurs livres toutes les maximes des tyrans et les règles de corruption, qu'ils présentaient comme les moyens les plus naturels de gouverner. Ils expliquaient tout, ils excusaient tout, parce qu'ils excusaient ainsi leurs vices.

La masse de la nation, heureusement, n'est pas encore gangrenée de ces maximes désolantes ; le peuple n'a point été semblable à ces eaux souterraines qui sourdent à travers les couches inférieures, et qui pénètrent à des distances infinies; comme un violent torrent arrêté un moment, il a débordé furieux, irrésistible ; il a forcé l'obstacle, puis il est rentré paisiblement dans son lit, et il roule puissant et majestueux à travers ses bords escarpés. Cette révolution, d'ailleurs, si forte, si spontanée, a été le soudain réveil de la dignité humaine trop longtemps violentée. Retenus sous la montagne comme le Titan de la fable par trois cents chaînes d'airain, nous nous raidissions contre le poids qui nous accablait ; nous nous sommes redressés enfin, nous avons fait voler en éclats les premières couches qui enserraient le volcan, et nous voilà prêts pour les grandes actions et les grandes vertus. Cette révolution aura changé en un moment bien des âmes ; elle aura été le coup de foudre qui terrassa Saul sur le chemin de Damas ; il se releva purifié, illuminé, et il partit pour la conquête du monde au nom du Christ et de la liberté.

Nous lutterons donc avec la corruption et, espérons-le, nous en triompherons. En sera-t-il de même d'une idée qui plaît à l'esprit par une spécieuse apparence de justice, l'idée d'une égalité complète, illimitée ? Notre société est fondée sur le droit populaire, sur le principe de liberté ; mais, dans l'ignorance de la distinction des droits et des devoirs, quelques-uns ont cru que la liberté c'était l'égalité : erreur de grands esprits du siècle dernier ! Autant la liberté est naturelle à l'homme, autant lui est impropre l'égalité ; si Dieu avait créé l'égalité, il aurait créé l'unité, et le monde eût été Dieu ! Aussi le principe de l'égalité est-il de l'école des panthéistes. Il va apparaître , et des clubs retentissent déjà de leurs doctrines, des hommes qui, pendant quinze ans, ont rêvé dans la privation, le malheur ou les prisons, de chimériques institutions, qui trouvent que nous ne faisons rien encore, qui apportent les fumées d'une imagination sans cesse appliquée à un même objet, et qui en demandent la réalisation impossible. On périt vite parles excès, et les excès arrivent vite en révolution. Ce sera la tâche du peuple et du gouvernement à la fois de découvrir et de montrer les excès et l'injustice de ces prétentions isolées ; ce sera au bon sens du peuple de comprendre qu'il dira une vérité celui qui, ne s'aveuglant pas dans l'orgueil de ses systèmes, reconnaîtra qu'il n'est point l'égal des plus âgés, des plus intelligents, des plus vertueux, de sera la part de la sagesse du gouvernement de s'adresser au peuple avec une austère franchise, de poser les principes de ses devoirs à côté de ses droits, de proclamer que la révolution n'a pas été faite pour une partie, pour les ouvriers seulement, mais pour les bourgeois et les nobles, les riches et les prêtres, qui sont aussi le peuple, et que, si nous avons conquis la liberté, elle doit appartenir à tous.

C'est ici que commence l'obligation du gouvernement, et déjà, par une volonté de Dieu peut-être, il se trouve qu'il a peu fait encore ; il s'est appliqué à des détails, il n'a pas touché à de grandes choses ; il a compris qu'en tout, dans la nature, dans l'homme, dans les institutions, il y a trois temps d'action : le commencement qui prépare, le milieu qui mûrit, et la fin qui complète ; que les hommes forts sont les seuls patients, et qu'il ne faut pas changer trop vite si l'on veut la durée : Tempora tempore tempera.

Ce n'est pas tant des lois qui nous sont nécessaires que l'exposition des devoirs, et ces devoirs il les faut présenter, non en homme qui les pose en avant de lui comme des barrières, mais parce que c'est la vérité, et qu'il faut dire la vérité. Il faut que le gouvernement dise au peuple : voici vos devoirs, remplissez-les ! J'ai aussi les miens ; si j'y suis infidèle, accusez-moi et jugez-moi ! Qu'ils ne cherchent pas les applaudissements de la foule, elle les mépriserait ; qu'ils restent impassibles au milieu des éloges et des blâmes, prouvant seulement qu'ils sont dignes de marcher à notre tète par leur esprit de justice et leur probité. Les lois éternelles du juste n'ont pas été détruites par la révolution, au contraire ; les hommes seuls sont changés. Les révolutions se font parce que le peuple se rebelle contre l'injuste et veut rétablir le droit, et le droit ne va pas sans le devoir. En lui parlant des devoirs on ne lui dira pas une chose nouvelle, on lui rappellera ce qu'il sait, et ce que les hommes sont prompts à oublier. Le peuple est un enfant plein des plus magnanimes instincts, généreux, confiant, emporté, sensible, mais ignorant, ignorant en ce sens qu'il ne sait pas les causes, qu'il ne connaît pas les hommes, qu'il n'est frappé que des noms, et ainsi il croit tout aussitôt. C'est pour cela que les tyrans le tiennent dans l'ignorance. Nous, pour avoir la liberté, instruisons-le, et éclairons-le : plus les hommes sont éclairés, plus ils sont libres !

Le peuple a le sentiment du devoir ; il l'a dans ses entrailles, et quand on lui en parlera on le fera vibrer. Ce mot, dit au siècle dernier par d'Alembert, sera éternellement vrai : "La raison Unit toujours par avoir raison."

Dès qu'il s'est dit : Je le dois ! l'homme sent planer au-dessus de sa tête, non la destinée antique, implacable divinité qui soumettait les dieux, mais un pouvoir que lui-même a consacré : l'âme se tient dans une paix puissante qui naît de l'équilibre de toutes les facultés ; le visage même revêt cette noblesse et cette dignité données par le sculpteur grec aux types parfaits de la nature humaine. On n'est plus un enfant turbulent dans ses chagrins et ses joies; on est homme, et l'on se sent vivre dans la plénitude de sa volonté et de sa liberté.

Mais si le devoir est la liberté, il est aussi la solidarité, et la solidarité nous unit tellement qu'il a été juste de dire que, si l'inférieur porte sa chaîne au pied, le supérieur la porte au poing. Dans la tyrannie , cette solidarité est une chaîne ; dans la liberté , la chaîne est formée par les mains ; nous nous tenons tous, tous nous marchons en bande serrée contre le flot des événements ; le devoir de tous est de la maintenir pour qu'elle ne se rompe pas et que les vagues, s'engouffrant par la brèche ouverte, ne renversent les faibles et les forts, les petits et les grands, et ne nous emportent tous dans un commun désastre. Que les gouvernants tiennent ce noble langage au peuple, qui attend de leur parole les droits, les devoirs, la solidarité, et alors se constituera naturellement l'état politique qui est la réunion de toutes les forces particulières. Aux ouvriers sera assuré le travail ; aux poètes, la gloire ; aux ardents, l'action ; aux industriels, le commerce ; à tous, leurs droits ! Que le gouvernement invoque, qu'il rappelle l'ancienne devise de la France, oubliée par un gouvernement qui donnait tout à l'argent : L'HONNEUR ! Et le monde verra alors si la France n'a pas grandi encore !

Vous autres Français, disait un Anglais, Lord Chesterfield, vous ne savez élever que des barricades ; mais vous n'élèverez jamais de barrières ! Ce mot est faux. Si nous élevons des barricades, c'est que nous avons à la fois le plus vif sentiment du droit et le plus énergique emportement pour renverser l'injustice. Mais il est faux encore en ce qu'il voudrait établir cette, réputation de légèreté qu'on a faite à la France. Le peuple français léger ! Il n'est pas grave et compassé, en effet, car il est l'action et la vie. Quel peuple, en Europe, dans le monde, dans aucun temps, a fait des choses plus fortes, plus sensées, plus pratiques et plus durables que le peuple français, lui qui a créé la langue la plus logique de l'univers, qui a établi l'administration la plus serrée, qui a formé la nation la plus unie, qui a fondé la société la plus générale ! Il y a longtemps que les plus hautes intelligences l'avaient proclamé ; il y a trois siècles déjà que Charles-Quint disait : les Portugais paraissent fous, et le sont ; les Espagnols paraissent sages, et sont fous ; les Français paraissent fous, et sont sages. Et c'est un cri de génie, parce que c'est un cri de vérité, que ce mot de Shakespeare : La France est le soldat aîné de Dieu !

Nous voulons marcher à la tête des nations ; et notre priorité nous ne la prouverons pas par un seul mouvement violent, magnifique, sublime, mais par une continuité de grandes actions, et les grandes actions sont les grandes vertus ! Non ! nul peuple, en ce moment, ne nous vaut ; nul n'a ce jet soudain, ce dévouement héroïque, cet oubli de la partie matérielle de l'homme. Dès que la France parait, dès qu'elle parle, dès qu'elle agit, le monde s'écrie : C'est le grand peuple ! En toutes choses, à la bataille, dans les sciences, dans les lettres, en révolution, elle donne un coup si violent qu'elle fait jaillir la lumière. Mais ce ne sera pas un éclair qui passe ; ce sera comme le soleil qui brûle au fond des deux, qui s'avance dans sa gloire à travers sa route éthérée, qui éclaire tout, qui échauffe tout, et qui fait lever de la terre la sève, les arbres, les fruits et la vie !

Mais nous ne serons pas forts et libres que pour nous seuls. On l'a dit, la révolution que nous venons de faire est le triomphe de la civilisation. L'humanité marche sans cesse. La République que nous fondons est le gouvernement de la fraternité : sans que les princes et les rois s'en soient rendu compte, tous les efforts du genre humain ont été faits pour amener le triomphe du principe de l'amour. Toujours, à travers les siècles, les hommes ont tendu les uns vers les autres ; tour à tour esclaves, serfs, sujets, ils ont peu à peu dépouillé leurs préjugés et leurs haines, et par là ils ont brisé leurs chaînes. Nous n'avons renversé le dernier gouvernement que parce qu'il avait pris pour but d'établir de nouvelles délimitations entre les hommes. L'histoire de vingt de nos années les plus remplies est dans trois mots : en 1788, nous étions des sujets, et nous ne comptions plus en Europe ; en 1793, on nous appelait citoyens, et nous propagions dans le monde le principe de la liberté ; en 1808, nous étions des Français, et nous ne portions plus aux nations que notre gloire, notre grand nom et des fers ! Aujourd'hui, un seul nom est resté, le nom d'hommes, et quand on dit : hommes, on dit : frères. C'est au profit de l'Europe, du monde entier, que nous venons de vaincre ; nous sommes libres, et nous disons aux peuples, et tous les peuples le répètent : Soyons un seul peuple, une seule famille ; plus de rivalités de commerce, plus d'inimitiés de nations, plus de haines ; n'ayons qu'une haine, celle de l'injustice ; ayons un seul but, la complète réalisation de la loi du Christianisme, la fraternité. »

Eugène Loudun (pseudonyme d'Eugène Balleyguier, 1818-1898),
 « Du présent et de l’avenir de la révolution ». Le Correspondant, t. XXI, 10 mars 1848.

"Ce que certaines gens redoutent... c'est la ressemblance avec 93" (E. Loudun, 1848)

"La République est proclamée !",
aquarelle de Pierre-Eugène Lacoste, 1848.

« Après le grand coup que Dieu vient de frapper, et qui a bouleversé un puissant Etat contre toute prévision, quand les conseils d'un roi renommé par son adresse et sa prévoyance ont été subitement aveuglés, lorsqu'une sanglante catastrophe, tout paraissant apaisé et la royauté rassise, a fait recommencer une lutte implacable, et qu'en moins de douze heures le pouvoir royal a été renversé, il serait insensé à l'homme de prétendre préparer l'avenir dans sa pensée, et de dire : Voilà ce qui sera ! Dieu ! que faites-vous là-haut, vous qui par des traits si inattendus, si invisibles, par cette volonté dont nous ne connaissons que les effets, abatte ? ce qui semblait le plus profondément enfoncé dans la terre, qui chassez les rois, poussez quelques hommes de la foule à la puissance, et, inaltérable, laissez tout dans le trouble et l'attente ! Mon Dieu ! que nous sommes petits, et que vous êtes grand !

La France vivait dans la torpeur ; le monde, inquiet, s'étonnait. Quoi donc ! se disaient les nations, ce gouvernement corrupteur a-t-il été si fort que non-seulement il ail dompté ceux qui l'approchaient et le servaient, mais encore qu'il ait abattu et endormi ce peuple généreux chez qui plus rien ne bouge, pas un cri, pas un souffle ! Les jours de la France sont-ils finis ? Mais non ; tout d'un coup, et sans que personne s'y attende, ce peuple abaissé se relève, et il se trouve uni. Tous se regardent; on crie : Marchons ! plus de corruption ! plus de rois ! Les bras ont fait voler les voilures en éclats, déraciné les pavés, coupé les grands arbres, arraché les barreaux de fer. Ce peuple était le même qu'il y a cinquante ans, aussi spontané, aussi indigné, aussi vivant : il était libre !

Le roi Louis-Philippe a été chassé en trois jours comme le roi Charles X ; mais tous deux n'ont point eu la même condition dans leurs départs. L'un fut reconduit par des députés qui escortèrent sa majesté tombée ; il sortit dans un appareil encore royal : c'était là le dernier acte d'une grande et noble tragédie. L'autre s'est enfui précipitamment de son palais, sans adieux, sans guides ; il s'est dérobé au milieu de l'émeute populaire rugissante : ça a été la première scène d'un drame qui s'est ouvert par de violentes colères, de fiévreuses convulsions, et qui nous fait attendre des péripéties inaccoutumées.

Il est accompli à demi ce vœu d'un ouvrier du Midi : Mon Dieu ! faites donc tomber un jour de poudre et une heure de feu, et que tout soit dit ! Tout n'est pas dit ; nous sommes trop près encore du choc qui nous a éblouis : tout à l'heure nous commencerons à en ressentir les premiers effets. Mais, dès aujourd'hui, ce que nous pouvons, ce que nous devons, c'est, examinant les événements d'après les passions immortelles de l'homme, écoutant cette immense rumeur populaire qui nous enveloppe, et demandant à la Providence de nous donner la bonne volonté et la foi, c'est de convoquer tous les esprits à l'union, de calmer les agitations emportées, de parler aux gouvernants de leurs obligations, aux peuples de leurs devoirs, et d'apporter à tous les conseils que nous dictent notre patriotisme et notre conscience. Nous ne nous occupons pas de plaire, mais de servir. Les conseils utiles, comme le dit Massillon, sont rarement des conseils agréables.

En un jour, en une soirée, la royauté a été abolie, un gouvernement provisoire a été institué, la République proclamée. Des hommes, presque tous connus et admirés de la nation à différents titres, ont été chargés des destinées du moment, de détruire et de conserver, de fonder et de préparer. En peu de jours, pressés par des exigences précipitées et incessantes, ils ont accumulé des actes marqués au coin de la sagesse et de la modération ; et cependant l'opinion publique, avide, inquiète, se disperse en mille bruits opposés ; on attend les choses les plus contraires : on craint la tempête, on espère le soleil.

Il n'est qu'un seul besoin, il ne doit y avoir qu'une seule pensée : l'unité ! Et c'est pour cela que nous venons ici chercher ce qu'il y a de vrai dans les craintes et les espérances, assurés d'avance que les craintes sont presque toutes vaines, que les espérances auront leur réalité, et qu'il suffira de montrer la vérité pour que les faibles se raffermissent, pour que les forts persistent, et que tous s'écrient d'un même élan : nous avons voulu devenir libres, et nous mériterons de l'être par notre commune volonté !

Détruisons les craintes d'abord ; nous serons plus à l'aise pour exprimer nos espérances.

Il peut y avoir trois sortes de craintes : les craintes immédiates, celles qui surviendraient peu à peu, et celles qui tiennent au fond même de notre caractère et de notre situation morale.

Ce que certaines gens redoutent, et ce qui n'est point à redouter, c'est le manque d'argent et la détresse du commerce, l'influence des partis contraires, les mines souterraines des communistes, la ressemblance avec 93, la guerre générale, un despotisme militaire, enfin l'abus de la force du peuple armé.

L'argent ne manque pas et ne manquera pas ; un trésor considérable est entre les mains du gouvernement ; des besoins imprévus ont forcé de faire des dépenses inopinées, mais passagères ; les distributions de pain cesseront à mesure que les grands travaux commencés diminueront la masse des nécessiteux. La garde nationale mobile est chèrement payée, il est vrai ; mais la réduction de l'armée établira une compensation, si même elle ne donne un bénéfice. Par une sagesse remarquable, aucun impôt considérable n'a été aboli, d'abord parce que le gouvernement n'en a pas le droit, puis parce qu'il devait faire face aux dépenses. La République nouvelle n'a pas, comme le Consulat, trouvé tout désorganisé ; ici, au contraire, tout est organisé. Elle n'est pas, comme la monarchie de Juillet en 1830, sans soldats, sans finances, quand l'Europe entière semblait vouloir nous déclarer la guerre, et qu'il fallait tout de suite créer une armée ; et pourtant alors nous nous en sommes tirés ; les gens de bourse furent émus un moment, puis tout reprit son cours accoutumé. Aujourd'hui les services sont assurés, les administrations fonctionnent, aucun trouble n'a détruit une seule ressource ; jamais révolution n'a été dans de meilleures conditions.

Le commerce ne souffrira pas davantage ; on n'a point vu, ainsi qu'en 1830, émigrer rapidement les étrangers, les riches, les nobles ; ils abandonnaient la cité parce qu'ils avaient la peur du peuple et la haine du nouveau gouvernement. Rien de semblable en ces jours-ci. La conduite du peuple a été si héroïque et si calme à la fois que, loin d'en avoir peur, on l'admire ; la République a été accueillie par un parti riche et nombreux avec une faveur d'acclamation ; les étrangers rassurés ne sont pas partis ; bien plus, ces nobles et ces riches ont compris le devoir que les circonstances leur imposent : c'est d'en haut qu'il faut que vienne l'exemple de la confiance. Déjà des fêtes dans le faubourg Saint-Germain sont annoncées ; on cite les jours choisis par les grandes maisons ; avec les fêtes, le mouvement, les achats, les échanges, le commerce. On est calme, on est content, et l'on veut le prouver à tous.

Quand on dit que les légitimistes sont contents, il faut entendre qu'ils le sont surtout du renversement de Louis-Philippe : ils se réjouissent de voir un trompeur trompé ; pourtant, dès qu'ils ont su que la République garantissait l'ordre et la propriété, ils ont les premiers applaudi à l'établissement d'un gouvernement sage, fort et modéré : ce n'est pas eux pour le moment que la République aurait à regarder comme ses ennemis.

Des hommes qui ne finissent pas, mais qui commencent, ce sont les communistes et les socialistes. Il a existé, en ces dernières années, un homme qui a cru avoir trouvé le mot d'une civilisation inconnue et infinie, qui a donné le principe d'une association universelle, qui en a établi les rapports, les conditions et les conséquences. Dans son vaste cerveau, le monde a été constitué en ses moindres détails ; il a touché à tout : le gouvernement, la religion, la famille, il a tout brisé en mille pièces, et, prenant l'inverse de ce qui existait, il a étendu sur l'univers l'immense et complet réseau de la société universelle. Rien n'en a été distrait; chaque homme y a eu sa place, chaque action du jour son moment, chaque vie son but. La société a été montée comme une grande machine dont tous les mouvements sont prévus, et l'homme a pu entrevoir dans l'avenir, définie et marquée en chiffres mathématiques, invariables, la réalisation de l'existence éternelle de l'humanité.

Mais orgueil et aveuglement insensé ! Pour faire cette œuvre qui traçait à l'homme sa destinée dans les siècles, le génie de Fourier a été obligé de méconnaître la moitié de l'homme ; il a ouvert une route profonde, et l'homme devait y marcher jusqu'à la fin, sans pouvoir en dévier ; il était poussé au but sur des rails de fer : c'est en prison qu'il était emporté vers le bonheur. Pour tenter ce que Dieu fait par sa seule volonté, Fourier avait pris la plus rude barre de fer des tyrans, il avait enlevé à l'homme sa liberté.

Pourtant aucune utopie n'est complètement inutile ; il est resté de cet immense rêve une idée juste et féconde, l'association, et elle est juste parce qu'elle est la première application du plus grand principe qui ait jamais été proclamé sur la terre, la fraternité, ou, pour dire le mot du Christ, la charité, l'amour ! S'associer, c'est pratiquer l'Evangile.

Les communistes ne sont que l'exagération de l'école socialiste ; ils ont poussé les conséquences à l'extrême, mais aussi leurs moyens, sont de la rigueur la plus absolue. Ici, plus de liberté, plus de volonté ; tout pour la commune, rien pour soi. Il n'est permis à personne de demeurer oisif; vous ne travaillez pas, vous êtes puni ; vous êtes sûr de manger, mais vous êtes attaché. C'est l'histoire du chien gras qui porte au cou les traces de son collier ; le loup préfère rester maigre et libre. Le peuple est comme le loup, il veut rester libre. On a fait grand bruit du communisme ; il est moins étendu qu'on ne l'a dit : il n'y a de communistes, et encore en petit nombre, que dans les grandes villes et à Paris. Aux journées de février, ils n'avaient qu'une barricade sur huit mille. La province ne les connaît pas et n'en veut pas ; en supposant qu'ils tentassent un mouvement, pense-t-on qu'elles resteraient tranquilles, toutes ces villes où les petits bourgeois, les maîtres-ouvriers, presque tous les artisans, sont propriétaires d'un pré, d'une vigne ou d'un coin de terre ? Moins on possède, plus on tient à sa propriété. "J'ai remarqué, disait Pascal, que, quelque pauvre que l'on soit, on laissait toujours un héritage." Et chacun veut laisser un héritage. La propriété est le droit naturel. Je comprendrais que l'on eût des craintes en Angleterre, où vingt-cinq mille privilégiés possèdent le sol ; mais en France, où nous avons six millions de propriétaires, ce sont six millions de soldats contre les communistes. Avec une telle armée passionnée de son intérêt, je n'ai point peur des communistes.

Le renouvellement de la Terreur n'est pas davantage à craindre : il faudrait que ce fût le pouvoir ou le peuple qui la fît, et le pouvoir, par ses actes, prouve qu'il ne le veut pas ; le peuple, par ses idées, ne le peut pas. Le gouvernement a tout d'abord proclamé ses nobles intentions en abolissant la peine de mort pour crimes politiques, et cette décision, l'Assemblée nationale non-seulement la confirmera, mais la complétera ; elle abolira la peine de mort dans tous les cas, nous l'espérons, nous le croyons. Quant au peuple, le peuple de 1848 n'est pas celui de 93. Si nous voulons égaler notre première révolution, comprenons-la ! Le peuple n'a aucune des conditions de la Révolution : ni l'abaissement inouï, ni l'inégalité en tout établie, ni des misères invengées, ni une lutte indispensable contre une caste maîtresse absolue, ni des fureurs amassées pendant des siècles. D'autres idées, d'autres besoins le poussent, et ce sont des idées nouvelles. Les opinions vieillies ont du penchant à assurer leur domination par le sang ; les jeunes idées sont généreuses, confiantes, libérales ; elles ne veulent pas la violence ; nées au matin, elles ont l'avenir; elles se présentent le front serein, l'œil bleu, l'air souriant ; elles semblent dire : Venez à moi ; elles appellent l'amour, et on vient à elles.

Nous ne demandons pas la guerre : nous savons ce qu'elle entraîne de misères, même heureuse; nous n'attaquerons pas l'Europe. "Hier nous disions à l'Europe, s'est écrié avec éloquence un des membres du gouvernement, Marrast, laissez-nous en paix, et nous serons sages ! Aujourd'hui nous dirons : nous resterons en paix si vous êtes sages !" La guerre pourtant est inévitable peut-être ; peut-être pour les deux nationalités de Pologne et d'Italie, descendrons-nous de l'autre côté des Alpes et du Rhin. Mais sans parler ici, NOUS le dirons plus loin, du rôle magnifique et de la mission divine que la France aura alors u remplir vis-à-vis des autres nations, en ce qui nous regarde, loin que la guerre doive nous faire peur, elle nous sera utile, elle nous sauvera peut-être! Nous avons besoin de mouvement; à l'activité humaine il faut des efforts proportionnés à son énergie : ou des luttes contre la nature, comme la jeune Amérique empiétant sans cesse sur ses forêts immenses et domptant les géants, fils de la terre, ou des combats de l'homme contre l'homme. Nous ne sommes pas un peuple à tomber dans l'apathie, nous sommes un peuple ardent ; si nous restions chez nous, dans le lièvre qui nous agite, inoccupés, peut-être descendrions-nous dans la rue et ferions-nous des guerres civiles. Pas de guerre, si nous ne sommes pas attaqués ; mais qu'elle vienne, chacun trouvera la place à son impatience et à sa flamme ; le gouvernement sera facile : nous aurons la gloire avec la liberté !

Mais si cette gloire nous valait un despote militaire ! Non ! nous ne sommes pas en Prusse, pour croire qu'un homme en uniforme est autre qu'un homme en habit de bourgeois ; nous avons eu un despote militaire, c'est assez : le prestige est tombé ; il serait singulier, quand on ne croit plus à la couronne, qu'on crût à l'épée. Aujourd'hui un général n'est rien s'il n'est que général. Ceux-là seuls qui aient eu une valeur réelle, Foy, Lamarque, etc., n'avaient de militaire que le nom ; le laurier de leur gloire, ils l'avaient fait refleurir à la chaude atmosphère des assemblées publiques ; ils n'étaient grands que parce qu'ils étaient de grands citoyens !

Enfin, quelques-uns voudraient nous présenter le peuple armé comme un épouvantail ; ces hommes en blouse qui portent un fusil, cette foule qui possède un sabre ou une baïonnette enlevé dans la bataille, ces canons de l'Hôtel-de-Ville gardés par des enfants effrayent des esprits timides. Leur épouvante vient de leur ignorance ; ils ne connaissent pas le peuple, ils ne l'ont vu sans doute ni dans les barricades, ni le lendemain de la victoire. Aux barricades le peuple était impatient d'ardeur, prêt à braver mille morts, et, en même temps, généreux, confiant; il appelait des conseils, il choisissait pour chef tout homme qui semblait combiner et penser. Il ne s'abusait pas ; il avait la candeur, cette vertu de l'enfance. Toutes les forces bouillonnaient en son âme, et il ne savait comment les employer ; il se sentait le bras, il demandait la tête.

Après le combat, quand le sang fumait encore et que la rumeur de sa colère grondait dans l'air, le voilà tout à coup changé ; il est maître, il est fort : il veut l'ordre ; aussitôt lui-même il fait sa police ; il arrête le pillage, il saisit les voleurs et en fait justice ; il n'est plus armé comme peuple, il l'est comme gardien de la propriété nationale et de la paix.

Un crucifix est enlevé des Tuileries, et ces hommes, ivres de la bataille, découvrent leur front et font au Maître de tous un cortège imposant et recueilli ; ils sentaient sans doute que ce n'étaient pas eux qui avaient vaincu, que rien n'avait été fait d'après un plan et par une volonté humaine. Cette révolution si soudaine, si imprévue, presque impossible, elle avait été menée comme les bouleversements de la terre. Un craquement s'était fait entendre : les uns avaient été jetés à droite, les autres à gauche, les rois poussés à un lointain rivage, le peuple apporté comme un flot jusqu'au pied du trône. C'était un déluge ; où se trouvaient les terres s'étendait l'Océan, et la grande main de Dieu planait sur le monde.

C'est qu'il faut le dire, nous parlerons plus loin des défauts du peuple, ici il ne s'agit que de ses vertus; de toutes les parties de la nation française, le peuple est celle où le sentiment religieux est le plus vivant. Les hautes classes étaient religieuses par politique ou par souvenir, un petit nombre par une grande science. Le pouvoir et ceux qui dirigeaient l'opinion, orateurs, publicistes, professeurs, défendaient la religion dans leurs discours, parce qu'ils savaient par principe qu'elle était nécessaire. Ils entrevoyaient ce qui devait résulter de la liberté sans contrepoids, et ils mettaient en avant la religion pour que les esprits fussent frappés du prestige d'un pouvoir qui est au-dessus de l'homme ; mais ce n'était qu'une affectation. On parlait plus du Christianisme au Parlement et dans les feuilles publiques qu'au temps de Louis XIV, parce que, sous Louis XIV, les gouvernants pratiquaient le culte, et que les nôtres le dédaignaient. Quant à la classe moyenne, n'ayant pas l'instruction des hautes classes, les idées d'irréligion du XVIIIe siècle étaient passées chez elle à l'état de préjugé ; elle n'avait senti le besoin de s'élever vers Dieu ni par la gratitude, ni par la souffrance ; elle se réglait d'après une morale facile, qui n'était ni la vie, ni la vertu, et, assise dans une confiance ignorante, se fortifiant dans son isolement et son égoïsme, elle se riait de la loi de charité et de fraternité humaine, sans prévoir que cette loi est la seule force qui empêche la société de s'écrouler et de se disperser en mille débris.

Mais le peuple est religieux par instinct, parce qu'il souffre, parce qu'il attend, parce qu'il espère ; il invoque Dieu, il parle à Dieu, il croit en Dieu, comme il aspire l'air, comme il se réchauffe au soleil. Le sentiment de la religion tient au sentiment de la dignité humaine; un esclave peut être superstitieux, un peuple libre seul est religieux. Aussi, dès qu'il a été appelé à agir, le peuple s'est montré ce qu'il était naturellement, pénétré de l'instinct de l'ordre et de la majesté des assemblées. Lorsqu'on a convoqué ses délégués pour traiter de ses intérêts les plus pressants, on a vu ces ouvriers, rudes manieurs du bois et du fer, venir s'asseoir avec calme sur les fauteuils occupés hier par les chefs de l'aristocratie de la France, et, modérés dans une puissance survenue sans préparation, présenter fermement leurs prétentions, écouter en silence les réponses et les difficultés, discuter sans emportement, proposer et arrêter des mesures de conciliation, des arrangements de moyen terme dont on eût pu croire que le peuple était incapable d'apprécier la délicate prévoyance. Presque au même moment les littérateurs et les artistes se réunissaient pour de médiocres questions de présidence et de comité, et l'assemblée des ouvriers l'emportait sur ces hérauts de l'intelligence, en réserve, en convenance, en sagesse et en dignité. On a fait appel à l'honneur du peuple, et l'on a eu raison. Toutes les fois que l'on aura confiance en lui, il sera capable de tout.

Les craintes immédiates sont donc fausses ; il peut y avoir quelque doute sur celles qu'inspirent les événements qui vont se succéder.

On pourrait redouter que le gouvernement, ne persistant pas dans la voie prudente qu'il a tenue, ne fût poussé à des mesures violentes ; puis que, l'Assemblée nationale ne soit influencée par des passions excessives de timidité, de peur, d'emportement ou d'intérêt.

Jusqu'ici le gouvernement a été soutenu par l'opinion ; on a foi surtout dans quelques hommes d'un éminent talent et d'un beau caractère ; les mesures que le gouvernement a prises ont été marquées d'une fermeté modérée et contenue. Il n'a pas détruit ; il n'a repoussé des fonctions publiques qu'un petit nombre d'hommes. Il a ménagé habilement, sans jactance ni faiblesse, les partis et les classes ; un seul décret, l'abolition des titres de noblesse a excité des réclamations : cet acte est peu important d'ailleurs, et le patriotisme éclairé du gouvernement, son dévouement infatigable à la chose publique, son langage calme et élevé tout ensemble, cette modération qui est venue à des hommes impétueux dès qu'ils ont eu appris les difficultés du pouvoir, sont des marques assez rassurantes de la bonne foi de ses intentions et de la persistance de ses efforts ; le présent fait compter sur l'avenir. »

Eugène Loudun (pseudonyme d'Eugène Balleyguier, 1818-1898),
« Du présent et de l’avenir de la révolution ». Le Correspondant, t. XXI, 10 mars 1848.

La suite de l'article d'Eugène Loudun est à retrouver en cliquant sur le lien suivant :
http://aimable-faubourien.blogspot.com/2011/01/on-murit-vite-par-les-revolutions-e.html

lundi 4 octobre 2010

"Nous ne voulons pas de ce système qui s’abrite sous cette devise : laisser faire, laisser passer." (L'Atelier, 1848)

Affiche annonçant le décret du 2 mars 1848.

« Le décret du gou-vernement provisoire en date du 2 mars, qui limité la journée à dix heures de travail à Paris et à onze heures dans les départements, a été rapporté par l’Assemblée nationale et remplacé, le 9 septembre, par un décret dont la disposition principale est la fixation à douze heures, au maximum, de la journée de travail dans les manufactures et usines […]

Cette discussion a vivement ému les travailleurs, et le grand nombre de pétitions, réclamations et observations d’ouvriers de divers métiers qui ont été produites durant le débat prouve toute l’importance de cette question aux yeux de la classe ouvrière.

Nous avons déjà dit notre opinion sur le décret du 2 mars ; nous pensions alors, comme aujourd’hui, que la question était mal posée ; […] que la véritable question n’était pas de savoir si le salarié travaillerait dix ou douze heures pas jour, mais s’il serait toujours exploité ; que c’était là la véritable question à débattre, le problème à résoudre ; que de sa solution dépendait l’amélioration réelle de la classe laborieuse ; que cette solution, signalée, indiquée depuis longtemps, c’était l’association ; que tous les efforts des gouvernants jaloux de tenir les promesses de la Révolution et d’asseoir la République sur des bases solides devaient donc de tourner vers la recherche des moyens les plus propres à transformer les salariés en associés.

Les faits ont prouvé que nous raisonnions juste : le décret du 2 mars, s’il a profité à quelques travailleurs, n’a été qu’une cause de ruine pour le plus grand nombre, qui a vu les travaux se suspendre et les ateliers se fermer lors de sa promulgation. Des patrons n’ont pas voulu se soumettre à ses prescriptions ; des grèves s’en sont suivies ; les fabricants ont élevé le prix de leurs produits, et les spéculateurs ont été demander à la concurrence étrangère les avantages que l’industrie française était dans l’impossibilité de leur accorder.

De fait, le décret du 2 mars a complètement trompé les intentions toutes bienveillantes de ses auteurs, et jeté la perturbation dans la production industrielle du pays. Ce résultat, nous le reconnaissons, était loin de la pensée des promoteurs du décret ; ils avaient voulu mettre un terme à une exploitation excessive, cruelle, des forces humaines ; ils avaient surtout voulu atteindre ces spéculateurs éhontés qui ne rougissaient pas d’exiger de leurs ouvriers un travail de quatorze ou quinze heures par jour, et du même coup abrégeaient ainsi leur vie et abâtardissaient leur intelligence. [...]

Non, nous ne voulons pas de ce système qui s’abrite sous cette devise : laisser faire, laisser passer. En industrie comme en politique, nous ne choisissons pas exclusivement un des trois termes de la formule révolutionnaire : Liberté, Egalité, Fraternité, en négligeant les deux autres ; nous la voulons entière, complète, une ; nous savons trop, par une longue et douloureuse expérience, que la liberté sans règle entraîne bien vite l’anarchie et la tyrannie ; nous connaissons trop l’histoire industrielle des trente dernières années pour ne pas repousser de toutes nos forces les sophismes des prôneurs de la concurrence illimitée. Ils ont usé et abusé dans la discussion du fantôme de la concurrence étrangère ; il semblait, à les entendre, que tout était perdu, que toutes les fabriques et manufactures allaient se fermer si les ouvriers français ne travaillaient plus que douze heures par jour.

Nous croyons, nous, avec l’Assemblée, que l’industrie française n’en est pas réduite à cette extrémité : ou de cesser de produire, ou de ne produire qu’en décimant les travailleurs… […] Nous croyons avoir réduit à sa juste valeur le grand argument des économistes de l’école anglaise, la concurrence étrangère, lequel nous conduirait fatalement à travailler seize ou dix-huit heures par jour pour un salaire réduit le plus possible, c’est-à-dire à un suicide lent, mais certain. »

L’Atelier, 9e année, n° 1, 7 octobre 1848.

mercredi 22 septembre 2010

"Lamartine est doué pour célébrer les révolutions... mais il n'est pas fait pour les gouverner" (Lerminier, 1850)

Alphonse de Lamartine, vu par La Revue comique (1849).


« Dès le principe, l'éloquence de M. de Lamartine fut, comme sa poésie, traversée par des tendances et des sentiments contradictoires. La même indécision que nous avons vue contre la foi catholique et l'autorité de la raison humaine, nous la retrouvons chez l'orateur entre la cause de la conservation sociale et la cause du progrès qui, plus tard pour lui, par une contradiction nouvelle, deviendra celle de la révolution. Dans son abondante parole, tout se rencontre, tout s'entrechoque : aspirations du dix-neuvième siècle, souvenirs et défense du passé, conseils d'une sage modération, effusions humanitaires. Sous ces impressions si différentes, l'âme de l'orateur rend des vibrations également sonores. On dirait une harpe éolienne placée sur la tribune.

Pendant les premières années de sa vie parlementaire, M. de Lamartine se mit tour à tour au point de vue du gouvernement et au point de vue de l'opposition. S'il est question d'un amendement en faveur de la Pologne, il s'y opposera et dira qu'il ne faut pas s'effrayer des empiétements en Asie de la puissance russe, qui ne peut qu'y porter la civilisation. Il insistera pour le payement intégral aux États-Unis des 20 millions qu'ils réclamaient, blâmant énergiquement la Chambre de 1834 d'avoir rejeté le premier traité que le pouvoir exécutif présentait à la sanction parlementaire ; mais, d'un autre côté, il refusait au gouvernement le droit de faire juger les accusés d'avril, et il développait cette thèse singulière, que si, dans l'ordre civil et criminel, il pouvait y avoir des procès et des jugements, il n'en était point ainsi dans l'ordre politique. "Entre le gouvernement et les partis, s'écriait M. de Lamartine, le procès, c'est la bataille ; le jugement, c'est la victoire. Y a-t-il un procès juste, quand il y a en présence des ennemis et point de juges. Il n'y a plus là qu'une fiction, une dérision juridique." Ainsi, reproduisant les langages des républicains les plus exaltés, M. de Lamartine contestait la légitimité de la justice sociale, et néanmoins il se croyait conservateur ! [...]

Une fois lancé dans la voie des oppositions extrêmes, M. de Lamartine ne ménagea plus rien : il répéta sur tous les tons qu'il ne s'agissait plus de changer le ministère, mais bien la pensée du règne, que tous les petits remèdes seraient inutiles, et qu'il fallait une transformation radicale de la politique tant intérieure qu'étrangère. Toutefois, si brillantes que fussent ses agressions, M. de Lamartine au sein de la Chambre restait sans puissance. Il n'avait d'action ni sur la majorité, qui ne lui pardonnait pas sa désertion, ni sur la gauche, qui le laissait dans l'isolement, qui l'applaudissait quelquefois, mais ne l'adoptait pas.

Il est naturel qu'avec son tempérament M. de Lamartine ait senti qu'il étouffait dans l'atmosphère parlementaire. Il tourna le dos à la chambre pour s'adresser au pays, pour l'agiter. Alors, par une nouvelle négation de son passé , plus audacieuse encore que toutes les autres, il se mit à célébrer avec enthousiasme ce qu'il avait si souvent combattu : la révolution ; non pas une révolution idéale, mais la terrible révolution de Danton et de Robespierre. L'histoire va devenir entre ses mains une arme, une torche.

Le livre si rapidement improvisé des Girondins porte l'empreinte des deux talents de M. de Lamartine : c'est un poème, c'est un discours. La composition, la mise en scène sont d'un habile romancier ; vous trouverez dans l'exécution toute la facilité, toute la verve d'un inépuisable orateur. L'ouvrage offre au lecteur tous les tons, tous les effets littéraires : anecdotes, portraits, épisodes romanesques, développements épiques, déclamations de tribune, chronique scandaleuse, tout, sauf l'impartiale gravité de l'historien. Mais de cette impartialité l'écrivain ne se soucie guère ; pourvu qu'il enflamme les esprits, il est content. [...]

L'heure fatale a sonné : les vœux, les rêves de l'ambitieux poète sont réalisés avec une rapidité foudroyante qu'il ne prévoyait pas. Il a provoqué une révolution. Elle éclate; qu'en fera-t-il ? L'histoire a déjà répondu. Élevé au pouvoir sur les ruines de l'ordre social, le 24 février, M. de Lamartine en a été précipité dans les sanglantes journées de juin. Quatre mois au pouvoir, voilà ce qu'il a obtenu après treize années de convoitises et d'agitations !

Encore il serait plus juste de parler de quatre mois d'impuissance. Le nouveau Girondin eut un moment de courageuse et d'aristocratique fierté, en repoussant le drapeau rouge, mais après cet éclair d'indépendance, quel asservissement à toutes les exigences des passions révolutionnaires. On sent que l'homme ne conduit rien ; le torrent l'emporte. L'imprudent a déchaîné des éléments qu'il ne peut maîtriser et qui l'entraînent en l'épouvantant.

Quel ne fut pas son trouble, à l'hôtel de ville, dans la matinée du 16 avril 1848 ! L'histoire expliquera plus tard comment il répondit à une dernière avance de la fortune, qui lui offrait l'assistance et l'épée d'un illustre général. M. de Lamartine est bien doué pour célébrer les révolutions, même pour les pressentir ; mais il n'est pas fait pour les gouverner.

C'est ce qu'alors ne savait pas la France. Elle voulait, au contraire, que Lamartine fût le représentant suprême de la révolution. Elle l'appelait au gouvernement, à la dictature. Dix départements l'envoyèrent siéger à la Constituante. Quand il apprit cette décuple élection, il eut comme un moment d'ivresse, et il s'écria qu'il était le plus grand des hommes. Le lendemain, il s'en retournait le plus faible, et il s'opiniâtrait à rester le collègue de Ledru-Rollin, dont il devait être, dans la pensée de la France, l'inflexible et victorieux adversaire. [...]

Pourquoi tromper ainsi l'attente de toute une nation ? Pourquoi se refuser à une gloire infaillible ? Etait-ce défaut de courage ? Non, mais chez celui qui était l'objet de tant d'espérances, il n'y avait pas cette conviction fondamentale qui fait les grands révolutionnaires et les grands hommes d'État. Mirabeau est invincible dans le milieu qu'il a choisi pour servir la révolution et la contenir. L'action de Danton sur les affaires fut un moment irrésistible. Robespierre exerçait un terrible ascendant. Quand Bonaparte parut, on ne méconnut pas longtemps une nature maîtresse et supérieure destinée à commander. Ces hommes ne furent si puissants que parce qu'ils étaient énergiquement convaincus de la vérité de certains principes.

Si de ces grands exemples nous reportons nos regards sur 1848, nous voyons la pire des révolutions, une révolution inutile, et, pour la représenter, un sceptique, un artiste irrésolu qui se reconnaît lui-même le jouet d'une mystérieuse fatalité. Alea jacta est. Malheureusement M. de Lamartine n'a pu prendre que ce mot à César, qui, en le prononçant, se posait ainsi la question : "Mourir, ou s'emparer de Rome et du monde."

Aujourd'hui, après tant d'orageuses et de stériles aventures, M. de Lamartine se trouve à la fois en dehors du mouvement conservateur et du mouvement révolutionnaire. Il est tourmenté, repentant ; il n'a plus d'autre préoccupation que de multiplier les apologies de sa conduite. A peine tombé du pouvoir, il s'est mis à écrire l'Histoire de la révolution de février. Quel appendice aux Girondins ! Dans le Conseiller du peuple, il a chaudement attaqué le socialisme, le communisme, l'anarchie, et il a recommencé cette éternelle oscillation entre les tendances révolutionnaires et les idées conservatrices. Seulement, aujourd'hui, il semble incliner un peu plus vers les traditions de stabilité monarchique.

N'oublions pas en terminant que Lamartine a une consolation suprême au milieu de tant de mécomptes et de regrets. Si la postérité doit le juger sévèrement, au moins elle ne peut l'oublier. Il est entré dans l'histoire par son naufrage même. Tous ses vers périraient que son nom surnagerait encore, mêlé aux révolutions du dix-neuvième siècle, et si ses poèmes se transmettent aux âges lointains, ils recevront un nouveau lustre du rôle politique qu'il a joué. »

Jean Louis Eugène Lerminier, De la littérature révolutionnaire, Paris, Méline, 1850.

mardi 13 avril 2010

"Dans leur sein battent des cœurs d’hommes..." (Le Salut Public, 1848)

"L'esclave affranchi" : tableau de Nicolas Gosse (1787-1878), musée départemental de l'Oise, Beauvais.













« De l’abolition de l’esclavage colonial.

S’il est un gouvernement qui puisse porter une main hardie sur l’édifice colonial, c’est la République française […] ; et M. Arago, ce grand patriote, ce savant illustre qui dirige avec tant d’autorité le Département de la Marine, a parfaitement compris que rien ne l’empêchait de dompter les résistances de la caste souveraine des colonies et de briser les chaînes des opprimés.

De la servitude vient le mal, c’est la servitude qu’il faut attaquer, non par des demi-mesures, mais par un système large et généreux, qui, sans exposer ni la vie ni la fortune des colons, rende aux classes laborieuses l’intelligence et l’énergie indispensables au succès de leurs travaux.

Que sont, en effet, ces races humaines pour lesquelles les colons n’ont que violence et iniquité ? Ce sont des êtres comme nous, que l’abjection dans laquelle ils vivent n’empêche pas de ressentir les horreurs de leur sort… Dans leur sein battent des cœurs d’hommes, et dans ces cœurs bout le désir de se venger de ces humiliations et des outrages de la servitude.

Ce sont des esclaves, me direz-vous ; ils viennent d’un pays inconnu ; ils sont noirs, leur nez est épaté, leurs cheveux sont crépus, leur odeur est étrange ; ce sont des êtres intermédiaires entre l’homme et les animaux, des êtres voués au joug par leur infériorité native… Insensés ! qui acceptez si légèrement des sophismes dictés par l’orgueil et la cupidité, que ne cherchez-vous, dans l’inégalité des degrés de civilisation, la cause des différences de conformation entre les races ?

Les sauvages ont, en général, le front aplati et l’angle facial moins ouvert que les Européens… Qui vous dit que ce soit pas l’effet du défaut d’exercice de leur intelligence, et qu’il n’en soit pas de leur cerveau comme de leurs bras, d’ordinaire moins développés que leurs jambes, qu’ils exercent davantage.

Au surplus, où avez-vous vu que la race noire ne fût point perfectible ? Elle marche… comment assigner un terme à ses progrès ? Toutes ses tribus ne sont pas restées à l’état sauvage. Quelques-unes sont entrées dans la voie de la civilisation. Le puissance nation des Ashantées (dans la Nigritie maritime) a pris, depuis quelques années, un rapide et brillant essor, et les Anglais, vaincus par elle, ont été sur le point d’abandonner tous leurs établissements sur la Côte d’or.

Les voyageurs qui ont exploré récemment l’Afrique centrale ont rencontré des villes et des villages peuplés de nègres laborieux, hospitaliers et parfaitement policés.

Mais, dira t-on, ces facultés ne dépassent pas une certaine limite… Ce serait condamner en même temps les Chinois, les Arabes, les Tartares et une foule d’autres peuples qui, arrêtés par des causes locales ou politiques, n’ont point fait un pas depuis des milliers d’années.

Comment d’ailleurs refuser à la race noire les facultés divines d’une intelligence qui s’est révélée par de si éclatantes soudainetés chez des individus qui lui appartiennent ? Croyez-vous que Michel Lando à Florence, que Mazaniello à Naples, fussent des chefs plus étonnants d’une révolution populaire que Toussaint Louverture, Dessalines, Christophe et tant d’autres Spartacus qui, nés dans les chaînes, s’élancèrent d’un bond au premier rang, et, sans autre guide que les inspirations d’un génie inculte, se montrèrent à la fois hommes de guerre, politiques habiles et législateurs profonds ? Ce n’est donc pas la capacité intellectuelle que l’on peut contester aux Noirs… […] »

Le Salut Public. Journal quotidien, politique, scientifique et littéraire, n° 4, dimanche 19 mars 1848.

mardi 30 mars 2010

"Qui a du fer a du pain" (L.-A. Blanqui, 1851)


« AVIS AU PEUPLE,

Quel écueil menace la révolution de demain ? L’écueil où s’est brisée celle d’hier, la déplorable popularité de bourgeois déguisés en tribuns.

Ledru-Rollin, Louis Blanc, Crémieux, Marie, Lamartine, Garnier-Pagès, Dupont (de l’Eure), Flocon, Albert, Arago, Marrast !

Liste funèbre ! Noms sinistres écrits en caractères sanglants sur tous les pavés de l’Europe démocratique.

C’est le gouvernement provisoire qui a tué la révolution ! C’est sur sa tête que doit retomber la responsabilité de tous les désastres, le sang de tant de milliers de victimes.

La réaction n’a fait que son métier en égorgeant la démocratie. Le crime est aux traîtres que le peuple confiant avait acceptés pour guides et qui ont livré leur peuple à la réaction.

Misérable gouvernement ! Malgré les cris, les prières, il lance l’impôt des 45 centimes qui soulève les campagnes déserteurs

Il maintient les états-majors royalistes, la magistrature royaliste, les lois royalistes. Trahison !

Il court sus aux ouvriers de Paris le 16 avril, il emprisonne ceux de Limoges; il mitraille ceux de Rouen le 27 ; il déchaîne tous leurs bourreaux, il berne et traque tous les sincères républicains. Trahison ! Trahison !

A lui, à lui seul le fardeau terrible de toutes les calamités qui ont presque anéanti la révolution !

Oh ! Ce sont là de grands coupables, et entre tous les plus coupables ceux en qui le peuple, trompé par des phrases de tribun, voyait son épée et son bouclier; ceux qu’il proclamait avec enthousiasme arbitres de son avenir.

Malheur à nous, si, au jour du prochain triomphe populaire, l’indulgence oublieuse des masses laissait retomber au pouvoir un de ces hommes qui ont forfait à leur mandat ! Une seconde fois, c’en serait fait de la révolution !

Que les travailleurs aient sans cesse devant les yeux cette liste de noms maudits, et si un seul, oui, un seul, apparaissait jamais dans un gouvernement sorti de l’insurrection, qu’ils crient tout d’une voix : trahison !

Discours, sermons, programmes, ne seraient encore que piperie et mensonges; les mêmes jongleurs ne reviendraient que pour exécuter le même tous avec la même gibecière; ils formeraient le premier anneau d’une chaîne nouvelle de réactions plus furieuses. Sur eux, anathème et vengeance, s’ils osaient reparaître ! Honte et pitié sur la foule imbécile qui retomberait dans leurs filets.

Ce n’est pas assez que les escamoteurs de février soient à jamais repoussés de l’hôtel de ville, il faut se prémunir contre de nouveaux traîtres.

Traîtres seraient les gouvernants qui, élevés sur le pavois prolétaire, ne feraient pas opérer à l’instant même : 1° le désarmement général des gardes bourgeoises ; 2° l’armement et l’organisation en milice nationale de tous les ouvriers.

Sans doute il est bien d’autres mesures indispensables; mais elles sortiront naturellement de ce premier acte, qui est la garantie préalable, l’unique gage de sécurité pour le peuple.

Il ne doit pas rester un seul fusil aux mains de la bourgeoisie. Hors de là, point de salut.

Les doctrines diverses qui se disputent aujourd’hui les sympathies des masses, pourront un jour réaliser les promesses d’amélioration et de bien-être, mais à la condition de ne pas abandonner la proie pour l’ombre.

Elles n’aboutiraient qu’à un lamentable avortement si le peuple, dans un engouement exclusif pour les théories, négligeait le seul élément pratique assuré, la force !

Les armes et l’organisation, voilà l’élément décisif du progrès, le moyen sérieux d’en finir avec la misère ! Qui a du fer a du pain. On se prosterne devant les baïonnettes, on balaie les cohues désarmées. La France hérissées de travailleurs en armes, c’est l’avènement du socialisme.

En présence de prolétaires armés, obstacles, résistances, impossibilités, tout disparaîtra.

Mais pour les prolétaires qui se laissent amuser par des promenades ridicules dans les rues, par des plantations d’arbres de liberté, par des phrases sonores d’avocats, il y aura de l’eau bénite d’abord, des injures ensuite, enfin la mitraille, de la misère toujours.

QUE LE PEUPLE CHOISISSE ! »


TOAST ENVOYE PAR LE CITOYEN L.-A. BLANQUI A LA COMMISSION PRES LES REFUGIES DE LONDRES, POUR LE BANQUET ANNIVERSAIRE DU 24 FEVRIER (1851)

mardi 19 janvier 2010

1848, les erreurs du Gouvernement provisoire (Louis Blanc, 1849)


« A peine sorti de l'acclamation populaire, le gouvernement provisoire avait eu à se demander comment il se définirait lui-même.

Se considérerait-il comme une autorité dictatoriale, consacrée par une Révolution devenue nécessaire, et n'ayant à rendre ses comptes au suffrage universel qu'après avoir fait tout le bien qui était à faire ? Bornerait-il, au contraire, sa mission à convoquer immédiatement l'Assemblée nationale, en se renfermant dans les mesures d'urgence, dans des actes d'administration d'une portée secondaire ?

De ces deux partis, le dernier avait sans contredit quelque chose de plus régulier, de moins hasardeux; il mettait à l'abri de tout soupçon le désintéressement du gouvernement provisoire ; il nous sauvait à demi du reproche d'usurpation. Ce fut celui auquel se rangea le conseil.

Pour moi, j'avais une opinion entièrement opposée à celle qui prévalut, et je regardais l'adoption de l'autre parti comme devant exercer la plus heureuse influence sur les destinées de la République nouvelle.

Ce n'est pas que je m'en fusse dissimulé les inconvénients et les périls. Une société, je le savais, ne se laisse point aisément conduire beaucoup au-delà de ce qu'elle connaît et de ce qu'elle pense. L'histoire a une marche qui ne se règle ni sur les battements d'un cœur généreux ni même sur le développement logique d'une idée juste, et il n'est donné à personne de lui faire, selon son caprice, hâter le pas. Toutefois, cette observation, pour être juste, demande à n'être pas prise en un sens trop absolu. Car les circonstances ne sont, après tout, que le produit d'une certaine combinaison d'efforts individuels ; et l'action de quelques hommes de bien, lorsqu'ils sont en mesure de faire servir un grand pouvoir au triomphe d'une grande idée, a certainement son poids dans la balance des affaires humaines.

Ainsi donc, considérant l'état d'ignorance profonde et d'asservissement moral où les campagnes en France vivent plongées, l'immensité des ressources que ménage aux ennemis du progrès la possession exclusive de tous les moyens d'influence et de toutes les avenues de la richesse, tant de germes impurs déposés au fond de la société par un demi-siècle de corruption impériale ou monarchique, enfin la supériorité numérique du peuple ignorant des campagnes sur le peuple éclairé des villes, je pensais :
Que nous aurions dû reculer le plus loin possible le moment des élections;
Qu'il nous était commandé de prendre, dans l'intervalle, et cela hautement, hardiment, sauf à en répondre sur nos têtes, l'initiative des vastes réformes à accomplir, réserve faite, pour l'Assemblée nationale, du droit de raffermir ensuite ou de renverser notre œuvre, d'une main souveraine.

Nous aurions, de la sorte, mis le temps de notre parti. Nous aurions pu agir, avec toute la force que donne l'exercice du pouvoir, sur cette nation française, si vive, si intelligente, si prompte à suivre les impulsions venues d'en haut. Nous aurions comme allumé au sommet de la société un phare lumineux qui en aurait éclairé toute l'étendue. En un mot, quand la souveraineté du peuple, dès l'abord reconnue et proclamée, aurait été appelée autour des urnes, elle se serait trouvée avoir fait son éducation.

Telle était aussi l'opinion d'Albert, et rien n'était plus propre à me confirmer dans la mienne. Car, à une rare droiture, Albert joignait un sens exquis, une intelligence élevée. Quand il prenait la parole au sein du conseil, c'était toujours pour exprimer des idées justes ou généreuses, et il le faisait en termes pleins de précision et de force.

A quels autres et déplorables résultats ne conduisait point la route contraire ! Le gouvernement provisoire obligé de précipiter son action et, en la précipitant, de la compromettre ; le pouvoir poussé par le mouvement naturel de la Révolution à des réformes éclatantes et s'arrêtant à de grossières ébauches ; des indications, quand il fallait des actes ; des essais informes, quand il fallait des applications suivies; les élections abandonnées à l'empire des préjugés anciens et des vieilles influences de localité ; le suffrage universel amenant sur la scène, grâce à la coalition des divers partis vaincus, une assemblée hostile à son propre principe ; l'esprit de réaction encouragé par la défiance du gouvernement envers lui-même, par son peu de durée, et devant cet esprit de réaction, les élus de la place publique se désarmant d'avance.... Voilà ce que je pressentais, voilà ce qui ne s'est que trop réalisé !

Oui, je le dis sans hésitation, j'aurais voulu que, dès le premier jour, le gouvernement provisoire mît ses devoirs très haut et qu'il élevât sa puissance au niveau de ses devoirs. »


Louis Blanc, « un chapitre inédit de l’histoire de la révolution de 1848 : le 17 mars », Le Nouveau Monde, journal historique et politique, n° 1, 15 juillet 1849