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mercredi 11 août 2010

"Puisse cette hideuse guillotine... ne jamais se relever sur nos places publiques" (Ayraud-Degeorge, 1871)

Journée du 6 avril 1871 : à Paris, la guillotine est brûlée au pied de la statue de Voltaire, inaugurée en août 1870 (dessin paru dans : Paris insurgé, histoire illustrée des événements accomplis du 18 mars au 28 mai 1871, Paris, 1872).


« Le 6 avril, vers neuf heures, le rappel battait dans une partie du 11e arrondissement, et bientôt le 137e bataillon prenait position sur la place Voltaire. Après quelques instants d'attente, le public que cette réunion avait attiré, voyait les rangs de la garde nationale livrer passage à quelques hommes accompagnés d'une escouade de gardes nationaux. Ils déposèrent, au centre de l'espace laissé vide, de fortes charpentes, des cordes, des engins divers et une épaisse lame d'acier sur laquelle les regards ne s'arrêtaient pas sans une émotion pénible : c'étaient les différentes pièces composant l'échafaud destiné aux exécutions capitales, ou, pour employer les termes officiels, les bois de justice.

Par une inspiration attestant dans la population parisienne un profond sentiment du progrès et de l'adoucissement des mœurs qui caractérisent la civilisation de notre temps, un grand nombre de citoyens du 11e arrondissement s'étaient rendus rue Folie-Méricourt, au lieu de dépôt de l'instrument de supplice, et s'étaient emparés des charpentes, afin d'en faire, au pied même de la statue de Voltaire, une auto-da-fé auquel applaudirent tous les vrais partisans du Progrès. Le premier acte de la République de 1848 avait été de prononcer l'abolition de la peine de mort; les républicains de 1871 ont voulu reprendre cette idée et lui donner en quelque sorte une sanction matérielle, en brûlant l'échafaud publiquement, au grand jour.

Quand on vit les flammes s'emparer des sinistres charpentes, des applaudissements et des cris de Vive la République ! ont éclaté de toute part; on suivait l'œuvre de destruction avec une sorte d'empressement attentif, et plusieurs femmes qui étaient présentes s'approchaient du foyer pour saisir quelque charbon à demi éteint, afin de conserver un témoignage matériel de cette éclatante protestation contre la peine de mort.

Puisse cette hideuse guillotine, que le peuple vient de brûler, ne jamais se relever sur nos places publiques. »

H. Ayraud-Degeorge, Le Petit National, 8 avril 1871.


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« Ce matin, jeudi, un spectacle des plus insolites avait attiré une foule considérable vers le boulevard Voltaire (ci-devant du Prince-Eugène.) On brûlait publiquement, sur la place et devant la statue de Voltaire, le bois de justice, autrement dit l’échafaud, ou, puisqu’il faut l’appeler par son nom, la guillotine.

Le public qui assistait à cet auto-da-fé de l’instrument du supplice paraissait satisfait. Cela se comprend à merveille, si l’on veut voir dans cet incendie la fin des homicides judiciaires et des condamnations capitales. Si ce spectacle est un symbole, nous en ferons honneur à ceux qui l’ont ordonné. Oui, à la condition qu’il signifie abolition de la peine de mort et inviolabilité de la vie humaine, nous y applaudissons de toute notre âme.

Mais si ce n’était par hasard que la suppression d’un appareil démodé, la mise au rebut d’un engin trop encombrant, trop diffamé, trop malpropre ; si l’on proscrivait simplement la guillotine, comme jadis le bûcher, la roue, la corde et l’estrapade, tout en laissant subsister l’œuvre ou plutôt les hautes œuvres de ces instruments de mort ; si, en un mot, cela n’indiquait qu’un changement de procédé ou de méthode, où seraient alors la conquête de la civilisation et le progrès de l’humanité ?

Et véritablement, s’il ne s’agissait que de destituer Guillotin pour employer Chassepot, qui va vite en besogne ; si enfin on jouait du fusil sans renoncer à la lanterne, à quoi bon alors se priver de la guillotine ? On n’aurait obtenu qu’un progrès en arrière et dans le sens de la destruction humaine, comme le jour où l’arbalète disparut devant l’arquebuse. Si, en brûlant l’échafaud, on n’avait fait que supprimer le signe en nous laissant la chose, ce serait là un lugubre, enfantillage et rien de plus. Et nous ne verrions pas la différence qu’il y aurait entre mettre le feu à la guillotine ou à un kiosque du boulevard, si ce n’est que l’échafaud appartient à l’État et coûte beaucoup plus cher.

Voilà pourquoi, ne pouvant considérer la manifestation de ce matin comme une sinistre puérilité, nous l’enregistrons comme un indice de l’apaisement des haines et de la fin de nos guerres fratricides. »

Le Siècle, n° 14025, vendredi 7 avril 1871.

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« Hier, à dix heures du matin, le peuple a brûlé l’échafaud sur le boulevard Voltaire. L’idée était bonne et le boulevard bien choisi. Mais à quoi bon, je le demande, cet auto-da-fé accompli sur le bois de justice, si, en détruisant l’échafaud, nous conservons la peine capitale, avec cette seule nuance que la guillotine est remplacée par le chassepot ?

Les Français sont décidément des êtres surprenants. Ils sont tous d’accord pour proclamer l’inviolabilité de la vie humaine, mais cette inviolabilité consiste à déclarer qu’aucun individu, à quelque sexe qu’il appartienne, et quelque crime qu’il ait commis, ne sera désormais appelé à grimper les degrés de la fatale machine qui a emprunté son nom au docteur Guillotin. En revanche, il paraît convenu entre nous qu’adosser un homme contre un mur et lui envoyer douze balles dans le corps ne s’appelle pas violer la vie humaine.

Le mode d’exécution ne nous inquiète pas, c’est l’exécution elle-même qui nous préoccupe. Si même il fallait choisir entre le fusil ou la guillotine, j’ai idée que je préférerais encore cette dernière, eu égard aux derniers préparatifs qui exigent un certain temps, tandis qu’il n’y a rien comme une arme à feu pour rayer avec promptitude un citoyen du nombre des vivants.

La terrible guerre que nous traversons n’établit que trop irréfutablement la vérité de ce que j’avance. Ce que nous voulons, ce n’est pas l’incendie de l’échafaud, c’est l’abolition de la peine de mort. »

Henri Rochefort, Le Mot d'Ordre, 7 avril 1871.

 

mardi 30 mars 2010

"Il faut rendre l'Italie indépendante..." (F. Orsini, 1858)

« A Napoléon III, Empereur des Français.

Les dépositions que j'ai faites contre moi-même dans ce procès politique, intenté à l'occasion de l'attentat du 14 janvier, sont suffisantes pour m'envoyer à la mort, et je la subirai sans demander grâce, tant parce que je ne m'humilierai jamais devant celui qui a tué la liberté naissante de ma malheureuse patrie, que parce que, dans la situation où je me trouve, la mort pour moi est un bienfait. Près de la fin de ma carrière, je veux néanmoins tenter un dernier effort pour venir en aide à l'Italie, dont l'indépendance m'a fait jusqu'à ce jour braver tous les périls, aller au-devant de tous les sacrifices. Elle fait l'objet constant de toutes mes affections, et c'est cette dernière pensée que je veux déposer dans les paroles que j'adresse à Votre Majesté.

Pour maintenir l'équilibre actuel de l'Europe, il faut rendre l'Italie indépendante ou resserrer les chaînes sous lesquelles l'Autriche la tient eu esclavage. Demande-je pour sa délivrance que le sang des Français soit répandu pour les Italiens ? Non, je ne vais pas jusque-là. L'Italie demande que la France n'intervienne pas contre elle ; elle demande que la France ne permette pas à l'Allemagne d'appuyer l'Autriche dans les luttes qui vont peut-être bientôt s'engager. Or, c'est précisément ce que Votre Majesté peut faire, si elle le veut. De cette volonté dépendent le bien-être ou les malheurs de ma patrie, la vie ou la mort d'une nation à qui l'Europe est en partie redevable de sa civilisation.

Telle est la prière que, de mon cachot, j'ose adresser à Votre Majesté, ne désespérant pas que ma faible voix ne soit entendue ; j'adjure Votre Majesté de rendre à la patrie l'indépendance que ses enfants ont perdue en 1849 par la faute des Français.

Que Votre Majesté se rappelle que les Italiens, au milieu desquels était mon père, versèrent avec joie leur sang pour Napoléon le Grand partout où il lui plut de les conduire; qu'elle se rappelle qu'ils lui furent fidèles jusqu'à sa chute; qu'elle se rappelle que tant que l'Italie ne sera pas indépendante, la tranquillité de l'Europe et celle de Votre Majesté ne seront qu'une chimère.

Que Votre Majesté ne repousse pas les vœux suprêmes d'un patriote sur les marches de l'échafaud ; qu'elle délivre ma patrie, et les bénédictions de 25 millions de citoyens la suivront dans la postérité.

De la prison de Mazas,

Signé : Felice ORSINI.
11 février 1858. »

vendredi 22 janvier 2010

"La peine de mort est l'instinct brutal de la justice" (Lamartine, 1836)


Tête du conspirateur Giuseppe Fieschi (1790-1836) après son exécution (19 février 1836), peinte par Raymond Brascassat (1805-1867). Paris, Musée Carnavalet.

« La peine de mort est l'instinct brutal de la justice matérielle, l'instinct du bras qui se lève et qui frappe parce qu'on a frappé. Et c'est parce que cela est vrai pour l'humanité à l'état d'instinct et de nature, que cela est faux pour la société à l'état de raison et de moralisation. Quelle a été l'œuvre de la civilisation ? De prendre en tout le contre-pied de la nature, de constituer une nature spirituelle, divine, sociale, en sens inverse de la nature brutale, de faire faire à l'homme et à la société, image collective de l'homme, précisément le contraire de ce que l'humanité charnelle et instinctive aurait fait. Les religions, les civilisations ne sont autre chose que ces triomphes successifs du principe divin sur le principe humain. Écoutez en tout ce que dit la nature et ce que dit la loi. La nature dit à l'homme : la terre est à tes besoins ; voilà un arbre chargé de fruits, tu as faim, mange ! La loi sociale lui dit : meurs au pied de l'arbre sans toucher au fruit. Dieu et la loi vengent la propriété. La nature dit à l'homme : choisis au hasard parmi ces femmes dont la beauté te séduit, et quand cette beauté sera fanée, délaisse-la pour t'attacher à une autre. La loi sociale lui dit : tu n'auras qu'une compagne pour que la famille se constitue et se resserre par un nœud indissoluble et assure la vie, l'amour, la protection aux enfants. La nature dit à l'homme : demande le sang pour le sang, tue ceux qui tuent. Une loi plus parfaite lui dit : la vengeance n'est qu'à Dieu, parce que lui seul est infaillible ; la justice humaine n'est que défensive ; tu ne tueras pas; et moi, pour conserver à tes yeux le dogme de l'inviolabilité de la vie humaine, je ne tuerai plus.

Aussi, Messieurs, voyez relativement au crime la différence des deux sociétés, selon qu'elles adoptent l'un ou l'autre de ces principes. Un juge déclarant le fait sans l'apprécier; un bourreau que l'on mène tuer en public pour enseigner au peuple qu'il ne faut jamais tuer ; une foule aux pieds de laquelle on répand le sang pour lui inspirer l'horreur du sang : voilà la société selon la nature ! Un juge appréciant le crime et graduant la peine au délit ; la vengeance remise au Juge suprême et à la conscience du coupable ; un peuple dont l'indignation contre le crime ne se change pas en pitié pour le supplicié ; un cachot qui se referme pour défendre à jamais la société du criminel, et sous les voûtes de ce cachot l'humanité, encore présente, imposant le travail et la correction au coupable, Dieu lui inspirant le repentir et la résignation, et le repentir lui laissant peut-être l'espérance : voilà la société selon l'Évangile, selon l'esprit, selon la civilisation. Choisissez ! Pour nous, notre choix est fait. »

A. de Lamartine, discours sur l'abolition de la peine de mort prononcé à l'Hôtel-de-Ville de Paris le 18 avril 1836.

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Note : la Société de morale chrétienne avait ouvert un concours philosophique et littéraire en faveur de l'abolition de la peine de mort. A. de Lamartine, rapporteur du jury d'examen, prononça ce discours dans la séance publique tenue à l'Hôtel-de-Ville de Paris pour la distribution des récompenses.