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dimanche 19 décembre 2010

"L’Oncle Tom est plus qu'un livre ; c'est un événement" (La Semaine des familles, 1853)

L'Oncle Tom au théâtre, vu par Cham (Le Charivari, 1853).

« La Cabane de l'oncle Tom fait fureur depuis un an dans les deux Mondes […] D'abord, L’Oncle Tom est plus qu'un livre ; c'est un événement. Mme Beecher-Stowe est plus qu'un romancier ; c'est un apôtre. A tort ou à raison, voilà deux faits incontestables. […]

A peine éclos dans un coin de l'Amérique, L’Oncle Tom fait explosion d'un hémisphère à l'autre. On en suit les éditions à une traînée de larmes et de bravos. On le tire et on le répand par centaines de mille exemplaires. Tous les journaux le publient et le traduisent. L'Angleterre donne le branle à l'Europe. Pas un magasin de Londres, où ne brille le titre prestigieux : Uncle Tom's cabin !

En France, c'est un critique du Journal des Débats, M. John Lemoinne, qui s'écrie le premier : "Voici un petit livre qui contient, en quelques centaines de pages, tous les éléments d'une révolution. Ce livre, plein de larmes et plein de feu, fait en ce moment le tour du globe, arrachant des pleurs à tous les yeux qui le lisent, faisant frémir toutes les oreilles qui l'entendent, et trembler toutes les mains qui le tiennent; c'est le coup le plus profond peut-être qui ait jamais été porté à cette institution impie : l'esclavage, et ce coup a été porté par la main d'une femme. C'est une note aiguë et perçante qui traverse l'air comme une flèche, et fait frissonner toutes les cordes sensibles de l'humanité. Ce livre est une suite de tableaux vivants, de tableaux de martyrs qui se lèvent l'un après l'autre en montrant leurs blessures et leur sang et leurs chaînes, et qui demandent justice au nom du Dieu mort pour eux comme pour nous. Mme Stowe a élevé les esclaves au rang des créatures humaines ; elle a prouvé qu'ils avaient une âme, comme il fallut le prouver autrefois, dit-on, pour la femme ; elle les a fait parler le même langage, éprouver les mêmes sentiments que les maîtres ; elle a montré qu'il y avait chez les noirs des pères, des mères, des enfants, des maris, des femmes, absolument comme chez les blancs. Je sais bien qu'on l'avait dit depuis longtemps, mais on ne l'avait pas encore fait voir d'une manière aussi saisissante. Quand elles s'en mêlent, les femmes sont de terribles révolutionnaires. Il n'y a qu'elles pour trouver le chemin des cœurs et le secret des passions. Nous avons tous entendu parler de ces êtres spécialement doués, qui devinent la place des sources sous la terre avec une simple baguette de coudrier. Les femmes possèdent aussi cette sorte de divination magnétique ; elles savent où sont les sources cachées ; elles ont la baguette magique qui ouvre le mystérieux réservoir des larmes. C'est là ce qui fait d'elles des instruments irrésistibles de propagande."

Les feuilletons de quatre ou cinq grands journaux parisiens, une vingtaine d'éditions dans tous les formats et à tous les prix, un million d'exemplaires dévorés en quelques semaines, un drame palpitant à l'Ambigu-Comique, un drame larmoyant à la Gaîté, un vaudeville sentimental au Gymnase, des parodies sur les petits théâtres, telle a été la réponse de la France au signal donné par M. Lemoinne. […]

Mme Stowe, malgré l'ardeur de son prosélytisme et la pureté de ses intentions, est-elle bien sûre […] que la portée donnée à L’Oncle Tom par elle-même sans le savoir, et volontairement par les abolitionnistes et les socialistes, ne sera pas plus funeste qu'utile à la cause des esclaves noirs?

Sans doute l'esclavage en soi est une chose odieuse, absurde, barbare, insoutenable. Il n'est pas même besoin d'être chrétien, il suffit d'être homme, pour délester et combattre une institution antireligieuse et antihumaine... Mais l'esclavage existant comme fait, et servant de base sociale à la moitié des Etats-Unis, comment abolir cet usage de plusieurs siècles, comment réparer ce crime de plusieurs générations ? Est-ce en excitant les noirs contre les blancs, les esclaves contre les maîtres, par des tableaux, nécessairement exagérés, des vertus et des souffrances des uns, des vices et des cruautés des autres ?...

Quand L’Oncle Tom soulèverait le monde entier pour l'abolition de l'esclavage, cette abolition en serait-elle plus facile et plus praticable en l'état des choses? Cela donnerait-il à tous les nègres la sagesse et la piété de Tom, l'intelligence et le courage de George, la tendresse et l'héroïsme d'Elisa, l'habileté économique et industrielle des cinq ou six noirs affranchis, cités par Mme Stowe, comme ayant fait fortune dans le commerce et les métiers de la civilisation ?

L'auteur sait, aussi bien que personne, qu'elle a peint l’exception et non la règle ; elle sait que les trois quarts des esclaves des Etats-Unis ne sont pas en mesure de recevoir la liberté ; elle sait que les affranchir, tels qu'ils sont, ce serait les jeter en proie à la misère, à la faim, au meurtre et au brigandage ; elle sait que leur sort, malgré l'impiété de l'esclavage, est vingt fois préférable à celui de la plupart des ouvriers libres des fabriques anglaises et américaines; elle sait que l'intérêt des dix-neuf vingtièmes des maîtres les force de jour en jour à rendre le joug de leurs esclaves aussi léger que possible ; elle sait enfin ce que sont réellement les nègres, soit qu'on les examine à l'état sauvage, soit qu'on les juge au point de vue de la civilisation.

Ceci est de l'évidence frappante, de l'histoire incontestable. La race noire est la seule au monde qui se refuse en masse au progrès, depuis l'origine de l'humanité. Reléguée au centre de l'Afrique, avec les monstres de la création, au milieu d'une nature aride ou désordonnée ; marquée au front du signe réprobateur de Cham, selon la tradition rabbinique ; chaînon intermédiaire entre l'homme et l'orang-outang, selon quelques physiologistes, cette race n’a jamais eu véritablement d'autre architecture que la hutte de houe et de feuillage, d'autre religion que le fétichisme le plus stupide, d'autre art que le tatouage et le collier de coquilles, d'autre luxe que la pommade de beurre fondu sur les cheveux, et les anneaux de verroterie aux narines ; d'autre langue et d'autre littérature que le bégayement de l'enfance ; d'autre esprit de famille que celui de sacrifier ses fils à Moloch, ou de les vendre contre une bouteille d'eau-de-vie ou une poignée de clous ; d'autre droit des gens que celui de s'exterminer de peuplade à peuplade, de s'échanger contre quelques charges de poudre, ou de se faire rôtir à la broche et de se manger à belles dents, avec des gambades imitées des singes et des macaques. Toutes les races blanches se sont élevées de la barbarie à la civilisation ; la race noire seule a résisté aux missionnaires, aux conquérants, aux législations divines et humaines, aux comptoirs du commerce, aux efforts de l'industrie, aux merveilles de la science, aux miracles de la foi ; elle n'a ni un saint, ni un poète, ni un guerrier, ni un artiste, ni un prophète... Toussaint-Louverture et Dessalines, outre qu'ils n'étaient plus des noirs purs, n'ont été que des héros monstrueux, moitié hommes et moitié bêtes féroces, et n'ont profité de la civilisation que pour se retourner contre elle. Voilà les nègres sur leur sol natal, à l'état de liberté et de nation. Qui oserait nier un fait aussi universellement attesté par les voyageurs, les annalistes et les témoins de tout genre ?

Comment un certain nombre de noirs sont-ils sortis de cette barbarie incurable? Par l'esclavage, et par l'esclavage seulement ! Cela est aussi vrai que triste à dire. Mais la destinée humaine, depuis la chute d'Adam, a ses lois fatales et ses expiations séculaires.

L'esclavage est une de ces lois et une de ces expiations, comme la guerre, la peste, la maladie et la mort. Hélas ! l'enfantement lui-même est une douleur. Les nègres sont évidemment enfantés à la civilisation par l'esclavage. Un critique éloquent le disait hier : "Rude est l'apprentissage, sévère est le maître, coupante est la lanière du fouet ; mais des élèves qui ne suivaient que les classes du lion, de l'hippopotame et du serpent boa ont la tête et la peau dures. Les charmants noirs de Mme Stowe, en les admettant tels qu'elle les peint, s'ils n'avaient pas été amenés du Congo ou de la côte de Guinée par des négriers philanthropes sans le savoir, ne liraient pas si pieusement la Bible, et danseraient une bomboula effrénée autour d'un quartier d'ennemi cuisant à petit feu."

Est-ce à dire qu'il faille consacrer et défendre l'esclavage et les vices de la législation américaine ? A Dieu ne plaise ! Mais ce n'est ni Mme Stowe, ni L’Oncle Tom, ni les fanatiques de l'un et de l'autre, qui adouciront ou abrégeront l'épreuve des esclaves. Ils l'aggraveraient et la prolongeraient plutôt par leurs excitations et leurs illusions les mieux intentionnées. Témoin la conflagration morale que L’Oncle Tom et sa vogue ont allumée aux Etats-Unis. L'esclavage — ses fruits en sont la preuve — doit se détruire par lui-même et disparaître dans la série de progrès que la Providence, celte véritable amie des blancs et des noirs, dirige et gouverne de là-haut par la main des hommes et la force des événements. Ce travail est lent, comme tous les travaux de la société.

Il n'a pas fallu moins de huit siècles pour accomplir, même imparfaitement, la fusion des races saxonne et normande en Angleterre, des races latine, franque et gauloise en France. Souhaitez que la fusion des maîtres et des esclaves, des blancs et des noirs, dure moins longtemps. Faites pour cela tout ce que commandent la sagesse, l'humanité, la religion. Mais surtout évitez les exagérations, les violences, les erreurs et les fausses routes de la passion, de la colère, de l'impatience, et même de la bonne volonté irréfléchie !

Ceux qui ont érigé L’Oncle Tom en événement social et en machine de guerre pour les noirs contre les blancs, se sont jetés, nous le croyons, dans une de ces fausses routes. Un grand nombre s'en sont aperçus trop tard, et ne savent plus comment rentrer dans le véritable chemin. Pour arriver à l'abolition de l'esclavage, les maîtres et les esclaves ont, chacun de leur côté, un apprentissage pénible à faire. Aidez-les dans cet apprentissage de conciliation, au lieu de les aigrir et de les armer les uns contre les autres.

Qu'en reconnaissant réciproquement la nécessité, l'utilité relative et momentanée de l'esclavage, le blanc et le noir s'avancent peu à peu vers sa suppression, d'autant plus certaine qu'elle sera mieux graduée. Que le premier — c'est l'urgent et l'essentiel — par la religion, par la loi, par l'intérêt, devienne de jour en jour un maître plus humain ; que le second soit élevé par l'éducation, autant que possible, à la dignité de chrétien, de père, de mère, de frère, de fils et d'homme ; qu'une fois amenée à celte hauteur morale, la famille nègre ne puisse plus être séparée légalement par une vente ; enfin que la transformation successive conduise les deux partis à un état meilleur, et non à un état pire, ce qui arriverait infailliblement dans une abolition hâtive. […]

Quant à nous, convaincus de l'impuissance des nègres par eux-mêmes, frappés de leur résistance à se civiliser, même au milieu de la civilisation, nous voyons leur émancipation écrite pour l'avenir, non pas dans les bibles, les romans et les prédications de Mme Stowe, mais dans la loi de charité qui s'applique au noir comme au blanc, et au maître comme à l'esclave, c'est-à-dire qui les rapproche pour l'accomplissement du bien commun, au lieu de les diviser par le tableau du mal respectif.

Nous voyons surtout cette émancipation dans la destruction du préjugé cruel qui pèse encore si injustement sur les sang-mêlé. Car, il faut le dire, sauf les rares exceptions qui ne font que confirmer la règle, le nègre ne deviendra un homme complet qu'en se mariant au blanc. Voyez l'intelligence et les qualités du mulâtre, à côté de l'ignorance et des vices du noir pur ! Quelle différence dès la première génération ! Et combien le progrès serait rapide, sans la haine fatale qui poursuit la race métisse jusque dans la liberté, la fortune, le talent et la vertu ! C'est donc là qu'est le vrai mal, l'obstacle terrible, et voilà ce qu'il faut attaquer par l'exemple et l'action plutôt que par la théorie !

En résumé — et c'est là que nous en voulions venir— c'est là notre conviction profonde: l'esclavage des nègres ne s'effacera entièrement qu'avec les nègres eux-mêmes... La race inférieure ou dégénérée disparaîtra — en Afrique, par l'isolement et l'extermination, résultant de sa propre barbarie — en Amérique, comme en Europe, par l'absorption du sang des noirs dans le sang des blancs, comme les ténèbres de la nuit s'absorbent dans la lumière du jour. Et le monde civilisé n'aura plus qu'une race blanche, véritable race humaine, au milieu de laquelle les derniers nègres se perdront dans les restes de la servitude, comme les ombres du crépuscule dans les recoins des vallons, que le soleil, cet œil de la nature, n'a pas encore pénétrés de ses rayons vivifiants... Mais ce ne sera pas là certes — on le comprend de reste — l'œuvre d'un roman, d'une société biblique, d'un meeting de ladies, ni d'une session législative !

S'il nous était permis de donner un conseil à Mme Stowe, nous lui dirions franchement : "Vous êtes une femme de cœur, vous avez le plus beau génie, le génie du bien. Vous voulez et préparez sincèrement le salut des esclaves noirs. Eh bien ! faites dans ce but admirable quelque chose de plus efficace et de plus décisif que L’Oncle Tom et ses millions d'exemplaires arrosés des larmes des populations ! Vous avez quatre ou cinq enfants qui hériteront de vos vertus, de votre dévouement, de votre mission, de votre considération, de votre gloire. Mariez-les à autant de nègres et de négresses libres, ou du moins de mulâtres et de mulâtresses, choisis parmi les plus pures et les plus nobles victimes du préjugé américain. Dites à tous les abolitionnistes : "Que ceux qui aiment réellement les noirs suivent mon exemple !" Et vous aurez ainsi, madame, donné au monde cette vraie Clef de la case de l'Oncle Tom, que vos éditeurs annoncent si pompeusement. Et vous aurez fait pour la réhabilitation des nègres, par vous-même et par votre postérité, plus que tous les prédicants, que tous les législateurs, que tous les écrivains, et que tous les séides de votre ouvrage !" »

Pitre-Chevalier, "L'Oncle Tom, par Harriet Beecher-Stowe",
Musée des familles. Lectures du soir. 2e série, t. X, 1852-1853.

"La guerre à outrance était déclarée contre les soldats d’Afrique" (A. Wolff, 1871)

"Noir !... Rien ne va plus", dessin satirique de Cham paru dans Le Charivari, 1870.











« Les journaux allemands […] donnèrent, sur la composition de l’armée française, des renseignements qui ne manquèrent pas d’épouvanter le peuple.

L’armée d’Afrique allait venir avec ses zouaves et ses turcos ; ses turcos surtout, ces monstres noirs qui, suivant la superstition répandue en Allemagne, coupaient les oreilles de l’ennemi après l’avoir tué. "Quoi ! se disait-on, pour nous faire la guerre, on va chercher, en Afrique, ces hordes d’assassin !" Oh ! ces turcos ! on ne se figure pas quelle influence ils eurent sur le mouvement patriotique en Allemagne. La guerre, on s’y fût aisément résigné, d’autant plus que, depuis des années, on l’avait vue venir. Mais les turcos ! les turcos ! Rien qu’en y pendant, l’on frémissait d’horreur et d’épouvante ! D’un bout à l’autre du pays on se disait : "Vous savez qu’on fait venir les turcos d’Afrique !" Et l’on s’en allait pas la ville en criant : "ils vont venir les turcos, c’est la guerre à outrance !"

Les turcos ! Mais les fameux Croates de Benedek, si redoutés qu’ils furent en 1866, paraissaient des anges à côté de ces nègres africains ! Le commandement militaire vit un danger dans la terreur que le seul mot de "turcos" propageait dans le pays ; il se dit que cette terreur, se répandant dans l’armée, pourrait démoraliser le soldat à l’heure où il se trouverait en face de cet adversaire inconnu ; et l’état-major prussien, toujours en éveil, résolut de conjurer le danger. A cet effet, il publia un opuscule qu’il fit tirer à 1.500.000, et dont chacun soldat reçut un exemplaire. Cette brochure contenait la composition de l’armée française, la description de la coupe et des couleurs de ses uniformes, et la façon de combattre de chaque arme ; les zouaves y étaient et les turcos aussi ; mais afin de familiariser le soldat avec ces derniers, on orna cette brochure d’une image représentant des turcos plus laids que nature, ce qui eut pour résultat qu’à Woerth, où il aperçurent pour la première fois ces nègres redoutés, les soldats allemands les trouvèrent moins féroces d’aspect qu’ils ne l’avaient supposé.

Cette terreur des turcos, d’ailleurs, n’envahit que les soldats des campagnes lointaines ; la partie éclairée de l’armée, comprenant les jeunes gens des villes, les volontaires, les étudiants, les négociants, les magistrats et les industriels, ne la partagea point ; se sentant blessés d’avoir à combattre des nègres, ils propageaient dans les rangs le plus complet mépris pour ces êtres infimes auxquels ils se considéraient supérieurs par leur éducation et leur volonté ; ils en conçurent une haine profonde contre les soi-disant soldats d’Afrique, haine tellement violente que chacun se promit tout bas de ne pas faire merci à un seul de ces monstres noirs que la France venait déchaîner contre eux, hommes de la civilisation européenne.

C’est que l’Allemagne, ordinairement si bien renseignée, ne savait point que ces turcos, en somme, étaient des soldats comme les autres, qui, en temps de paix, promenaient les enfants aux Tuileries, tout comme un simple sapeur français. Elle pensait que le gouvernement français ne se servait de ces tirailleurs indigènes que pour combattre les tribus arabes, et qu’on les avait fait venir tout exprès d’Afrique pour donner à la guerre contre l’Allemagne un caractère essentiellement féroce. Elle ne vit en eux que des sauvages appelés à poursuivre de l’autre côté du Rhin une œuvre de destruction qui répugnait au Français civilisé. On se disait : "si nous n’exterminons pas cette race maudite d’Afrique jusqu’au dernier homme, elle violera nos femmes, incendiera nos maisons, mangera nos enfants. Donc, il faut détruire les turcos."

Avant le premier coup de fusil, la guerre à outrance était déclarée contre les soldats d’Afrique, ce qui fait que dès son début, cette guerre devait prendre un caractère tout particulièrement odieux. »

Albert Wolff (1835-1891), Deux empereurs (1870-1871), Bruxelles, Lebègue & Cie, 1871.

vendredi 10 décembre 2010

"Quels sauvages ! que ces messieurs les Osages..." (P.-E. Dubraux, 1827)

"Les Six Indiens osages arrivés du Missouri au Havre le 27 juillet 1827 et à Paris le 13 août même année". Estampe, 1827, Coll. B.n.f.




 
« LES OSAGES (1827)

Quels sauvages ! (bis)
Que ces messieurs les Osages
Quels sauvages!
Ça
N'entend ni hu ni dia.

Celui d'entre ces gaillards
Qui tranche du despotisme
N'a point par le cagotisme
Remplacé les goûts paillards.
Voulût-il, des lois écrites
Faisant un vrai casse-cou,
Que des troupeaux de jésuites
Se pendissent à son cou.

Quels sauvages ! etc.

De ces Socrate en jupons
A tel point va l'arrogance,
Qu'à leurs yeux toute la France
N'est que dupes ou fripons.
C'est en vain qu'ils se redressent
Dans leurs habits chamarrés,
Nos vizirs ne leur paraissent
Que des laquais bien dorés.

Quels sauvages! etc.

Croirait-on que ces intrus,
Dans leur naïve jactance,
Méconnaissent l'importance
De nos bons grippe-jésus ?
Exempts de trouble et d'alarme,
Ces coquins-là, sans façon,
Vous décoiffent un gendarme
Sans lui demander pardon.

Quels sauvages ! etc.

Au milieu de ses bouquins
Lorsqu'ils ont vu de Corbière,
Ils ont, pour fuir sa poussière,
Trotté comme des lapins.
On fait si bien à la grappe
Mordre ce peuple innocent,
Qu'il a pris pour une attrape
L'honorable trois pour cent.
Quels sauvages ! etc.

Ils ont pris monsieur Franche!
Pour un sombre janissaire ;
Ils ont pris un commissaire
Pour un lâche et plat valet.
Pour un sceau de contrebande
Ils ont pris mons Peyronnet,
Et Frayssinous et sa bande
Pour des piliers de gibet.

Quels sauvages ! etc.

Enfin las de voir les rois
Par la main de leurs ministres
Couvrir de haillons sinistres
Et notre France et ses droits,
Ils ont pris pour passer outre,
Dans leur jugement fougueux,
Villèle pour un j...-f…
Et Ch.... pour un pl...-g…

Quels sauvages!
Que ces messieurs les Osages,
Quels sauvages !
Ça
N'entend ni hu ni dia. »

Paul-Emile Debraux (1798-1831), Chansons complètes, vol. 1, Paris, Imp. de Baudouin, 1836.
__________________
 
"Les Indiens de la tribu des Osages arrivant en fiacre à Paris"
par Jean Joseph François Tassaert (1765-1835). Estampe, vers 1827, Coll. B.n.f..

« ...nous avions à Paris, à notre honte éternelle pour l'effet qu'ils y produisirent, une famille de monstres sauvages qu'on appelait les Osages. Ils étaient hideux ; ils ont pourtant attiré l'attention plus qu'aucun des princes étrangers que nous ayons vus jusqu'alors à Paris... C'est à notre honte, je le répète, car ils étaient stupides. Ils vinrent à Versailles un jour pour admirer le château, quoique le sens admiratif ne soit pas très développé chez eux. J'étais malade et je ne pus aller au spectacle où ils furent le soir ; j'en fus bientôt dédommagée. Quelques jours après, j'étais allé voir M. de Forbin à son atelier du Louvre ; les Osages visitaient les tableaux et les statues. Je demandai et obtins la permission non seulement de les voir, mais de leur parler par interprète. Je le fis par signe et m'en trouvai mieux. On prétend qu'ils ont un sens parfaitement complet, qui est celui de l'ouïe ainsi que celui de l'odorat, mais l'ouïe surtout est exquise, dit-on. Ils m'ont paru stupidement brutes ; le vieux surtout, celui qui porte la hache, est un homme qui, selon moi, est absurde et hors de tout ce qui se peut comprendre comme sauvage ; il est endormi constamment, ferme à demi les yeux, et parait une sorte de bête échappée du Jardin des Plantes. Les statues lui firent faire de grands éclats de rire ; cependant quand je lui ai demandé pourquoi, il a fait comme s'il ne pouvait me l'expliquer lui-même... ce mouvement, on sait, en s'éloignant les deux bras du corps en même temps et inclinant la tête... Oh ! les Osages!... J'ai eu peur cette fois-là du prince Bas-Breton. »

M. la duchesse d'Abrantles, Mémoires sur la Restauration, ou souvenirs historiques sur cette éepoque, la Révolution du Juillet et les premières années du règne de Louis-Philippe Ier, Vol. 6, Paris, J. d'Henry éd., 1836.

mardi 13 avril 2010

"Dans leur sein battent des cœurs d’hommes..." (Le Salut Public, 1848)

"L'esclave affranchi" : tableau de Nicolas Gosse (1787-1878), musée départemental de l'Oise, Beauvais.













« De l’abolition de l’esclavage colonial.

S’il est un gouvernement qui puisse porter une main hardie sur l’édifice colonial, c’est la République française […] ; et M. Arago, ce grand patriote, ce savant illustre qui dirige avec tant d’autorité le Département de la Marine, a parfaitement compris que rien ne l’empêchait de dompter les résistances de la caste souveraine des colonies et de briser les chaînes des opprimés.

De la servitude vient le mal, c’est la servitude qu’il faut attaquer, non par des demi-mesures, mais par un système large et généreux, qui, sans exposer ni la vie ni la fortune des colons, rende aux classes laborieuses l’intelligence et l’énergie indispensables au succès de leurs travaux.

Que sont, en effet, ces races humaines pour lesquelles les colons n’ont que violence et iniquité ? Ce sont des êtres comme nous, que l’abjection dans laquelle ils vivent n’empêche pas de ressentir les horreurs de leur sort… Dans leur sein battent des cœurs d’hommes, et dans ces cœurs bout le désir de se venger de ces humiliations et des outrages de la servitude.

Ce sont des esclaves, me direz-vous ; ils viennent d’un pays inconnu ; ils sont noirs, leur nez est épaté, leurs cheveux sont crépus, leur odeur est étrange ; ce sont des êtres intermédiaires entre l’homme et les animaux, des êtres voués au joug par leur infériorité native… Insensés ! qui acceptez si légèrement des sophismes dictés par l’orgueil et la cupidité, que ne cherchez-vous, dans l’inégalité des degrés de civilisation, la cause des différences de conformation entre les races ?

Les sauvages ont, en général, le front aplati et l’angle facial moins ouvert que les Européens… Qui vous dit que ce soit pas l’effet du défaut d’exercice de leur intelligence, et qu’il n’en soit pas de leur cerveau comme de leurs bras, d’ordinaire moins développés que leurs jambes, qu’ils exercent davantage.

Au surplus, où avez-vous vu que la race noire ne fût point perfectible ? Elle marche… comment assigner un terme à ses progrès ? Toutes ses tribus ne sont pas restées à l’état sauvage. Quelques-unes sont entrées dans la voie de la civilisation. Le puissance nation des Ashantées (dans la Nigritie maritime) a pris, depuis quelques années, un rapide et brillant essor, et les Anglais, vaincus par elle, ont été sur le point d’abandonner tous leurs établissements sur la Côte d’or.

Les voyageurs qui ont exploré récemment l’Afrique centrale ont rencontré des villes et des villages peuplés de nègres laborieux, hospitaliers et parfaitement policés.

Mais, dira t-on, ces facultés ne dépassent pas une certaine limite… Ce serait condamner en même temps les Chinois, les Arabes, les Tartares et une foule d’autres peuples qui, arrêtés par des causes locales ou politiques, n’ont point fait un pas depuis des milliers d’années.

Comment d’ailleurs refuser à la race noire les facultés divines d’une intelligence qui s’est révélée par de si éclatantes soudainetés chez des individus qui lui appartiennent ? Croyez-vous que Michel Lando à Florence, que Mazaniello à Naples, fussent des chefs plus étonnants d’une révolution populaire que Toussaint Louverture, Dessalines, Christophe et tant d’autres Spartacus qui, nés dans les chaînes, s’élancèrent d’un bond au premier rang, et, sans autre guide que les inspirations d’un génie inculte, se montrèrent à la fois hommes de guerre, politiques habiles et législateurs profonds ? Ce n’est donc pas la capacité intellectuelle que l’on peut contester aux Noirs… […] »

Le Salut Public. Journal quotidien, politique, scientifique et littéraire, n° 4, dimanche 19 mars 1848.