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dimanche 9 mai 2010

"Discours au peuple sur les fortifications de Paris" (Général Duviviers, 1844)

"Précautions inutiles", Journal la Caricature n°59, planche 119 (1832). Dès 1830, un comité de Fortification conclut à la nécessité de fortifier Paris, mais la décision n'est définitivement prise que dix ans plus tard.


« Le gouvernement siège à Paris. En France, par le fait de cette énorme centralisation, issue de 89, nul, dans la province, n'ose prendre, ni ne songe à prendre de grandes déterminations, s'il n'en a reçu l'ordre exprès. D'un autre côté, le gouvernement, trop fort à un certain point de vue par cette centralisation qu'il sent toujours qu'on veut lui reprocher, sachant qu'il commande à une nation vive, trop éloignée de compter l'obéissance pour une de ses premières qualité, le gouvernement, dis-je, ne prescrit de puissantes mesures que bien tard, et lorsque déjà de grands revers ont été éprouvés. En France, l'expérience d'un demi-siècle de révolutions nous a trop appris que le pouvoir établi qui paraissait le plus solide, en un moment est brisé comme verre ; que la moindre occasion devient instantanément cause suffisante de bouleversement; qu'il suffit à une fraction seule de Paris, d'y prendre une part vigoureuse pour que tout le reste soit entraîné. Par suite dans les provinces, si les communications avec la capitale sont momentanément interrompues, chacun tout d'abord croit, craint, ou espère une révolution dans le pouvoir; et tout d'abord, aussi, les mesures vigoureuses, prescrites pour la mobilisation des populations, s'arrêtent ; car l'expérience a prouvé également, qu'il n'était pas avantageux, dans les premiers moments surtout, de passer pour avoir été fidèle au pouvoir tombé.

Le jeu le plus convenable pour l'ennemi, quel est-il donc ? Incontestablement, il est de se diriger par la ligne la plus courte sur Paris ; de briser toutes les armées qu'il rencontrera sur son passage, de hâter sa marche sans prendre souci de ses derrières, de couper de suite les communications de Paris avec les provinces et de précipiter de toutes manière la chute de cette capitale.

Quels moyens peut-on proposer pour rendre vaines de telles opérations ? Il en existe trois :

Le premier, avoir toujours à opposer à l'ennemi une armée qui soit certaine de le vaincre. C'est un problème sans solution possible.

Le second, anéantir l'influence de Paris. Pour cela, il faut faire passer la charrue sur les neuf-dixièmes de ses maisons, fixer le maximum de son étendue par des poteaux, le maximum de ses habitants par un chiffre. C'est possible, mais non facile à faire ;

Le troisième, fortifier Paris de telle manière, qu'il ne puisse être pris, et qu'il soit doté d'une telle action sur la campagne, que ses communications journalières avec les provinces ne puissent pas être empêchées. Si cette seconde condition n'était pas remplie, le bénéfice de la première serait illusoire; car les provinces agiraient comme si Paris était pris, c'est-à-dire, qu'elles n'agiraient pas et qu'elles laisseraient faire. Elles n'auraient plus une impulsion commune ; elles seraient livrées aux intrigues des partis, aux séductions de l'étranger, et elles ne sauraient plus, ni si elles ont encore un signe de ralliement commun, ni où il est. »


Général Franciades-Fleurus Duvivier, Discours au peuple sur les fortifications de Paris, Paris, J. Dumaine, 1844.

mardi 26 janvier 2010

"La pétition, c'est la presse des masses" (Ledru-Rollin, 1844)

« TRAVAILLEURS, FAITES DES PÉTITIONS !

... en Angleterre, [...] les travailleurs assiègent le Parlement de leurs réclamations incessantes ; en France, laisseront-ils la tribune et la presse élever une digue contre le torrent, sans l'étayer de toute la force de leurs épaules? Laisseront-ils dormir ce droit de pétition qui viendrait, sans violence, sans empêchement légal, protégé au contraire par la loi, provoquer la sollicitude de la Chambre ?

Éveillez dans son enceinte ces échos qui retentissent déjà sur tous les points de l'Europe, en Espagne, en Allemagne, comme en Angleterre et en France ces échos qui répètent le nom du peuple, en y joignant le nom également auguste qui consacre tous les droits, tous les vœux, celui du travail. Ce n'est pas là l'esprit d'anarchie dont on nous accuse; et d'autant moins que, selon nous, il faudrait, pour émanciper le travail, donner à l'État le moyen d'intervenir dans l'ordre économique en faveur des intérêts exclus il faut qu'il puisse, non pas opprimer la liberté des individus, mais les soustraire tous à l'oppression du privilège. Le parti démocratique ne sépare pas cette nouvelle fonction de l'État des institutions politiques, dont la démocratie est la base mais nous ne vous convions pas ici à un acte de parti. Il s'agit de mettre la Chambre en demeure, par l'usage d'un droit commun, au nom du plus grand des intérêts publics. A en juger par la manière dont elle a écouté mes paroles, à la fin de la session dernière, le tableau de vos souffrances la frapperait. Je ne dis nullement qu'elle les guérira ; mais, du moins, vous les aurez fait connaître vous mettrez en demeure avec elle tous les pouvoirs de l'État vous dresserez sous leurs yeux l'inventaire de la situation actuelle, celui de l'héritage de la Révolution de 89, de la Révolution de 1830 vous raconterez quelle est votre part vous demanderez celle qui vous revient. Et personne n'y perdrait, car, encore une fois, la situation présente, ceux qu'elle n'accable point, elle les menace, et chacun est contraint d'en convenir à sa manière.

Il nous semble donc qu'il faut constater aux yeux de tous la condition générale des travailleurs, et pour cela demander une enquête car, chose singulière, dans ce temps de publicité, dans ce siècle positif, on semble ignorer les plus frappantes réalités, et le présent est, en quelque sorte, à deviner de même que l'avenir. Ce serait pour la prochaine session comme les cahiers de doléances de notre époque. Cette exhibition des vices de la société, ce serait en même temps le meilleur moyen de conclure à la réforme électorale car si la Chambre, telle qu'elle est constituée, ne fait rien pour réparer des maux dont l'immensité se déroulerait aux regards, comme celle de la mer, il faudra bien reconnaître la nécessité impérieuse d'une réforme du pouvoir législatif.

Pétitionnez donc, pétitionnez parlez vous-mêmes de vous-mêmes. La pétition, c'est la presse des masses, c'est la brochure composée par tous et par chacun, c'est la voix de l'ensemble. Aujourd'hui que le droit d'association est détruit, que la presse est encore restreinte aux mains de ceux qui ont de l'argent, la pétition, c'est autre chose qu'un journal organe d'un parti seulement; la pétition, c'est bien mieux que l'expression individuelle d'une opinion, d'une prétention. La pétition, si vous le voulez, c'est tout le monde, l'oeuvre comme le droit de tout le monde ; c'est une édition des pensées publiques qui n'a besoin ni d'abonnés, ni d'actionnaires, ni de preneurs, ni de beau style dont l'éloquence est dans l'énergique vérité des faits, la modération des signatures et des paroles, le nombre des signatures, et dont le public même est l'auteur.

Mes amis et moi, la tribune, dans La Réforme, nous pourrons alors, en plaidant votre cause, faire vibrer l'imposante voix des masses. Votre esprit se déployant dans sa puissance au sein même de l'ordre légal, animera quiconque, dans la Chambre et dans la presse, comprend cette tâche de toute philosophie, de toute politique, de toute paix : émancipation morale et matérielle des citoyens. Voilà ce que la Révolution a promis au monde sur la foi des idées religieuses comme des idées philanthropiques. Voilà ce qui, après avoir complété la Révolution, tracera cette ligne infinie, le progrès pacifique pour tous les hommes et pour tous les peuples. Voilà ce que je dois vous dire, d'accord avec mes amis.

LEDRU-ROLLIN, Député de la Sarthe. »

"Manifeste aux travailleurs", publié dans le journal La Réforme, le 2 novembre 1844.