vendredi 16 avril 2010

Le travail des enfants dans les mines de charbon : l'exemple du Royaume-Uni au début des années 1840 (5e partie)

Enfants mineurs américains, Pennsylvanie 1911.

« Résultats du travail des mines sur la santé des jeunes ouvriers. — Si dans certaines localités la condition des ouvriers houilleurs s'offre sous un aspect favorable, surtout lorsqu'on la compare à celle des ouvriers employés dans d'autres branches d'industrie où les bénéfices ne sont pas à beaucoup près aussi considérables, il est malheureusement établi, par de nombreux témoignages, que leur santé, surtout quand ce sont des enfants cl des jeunes gens, reçoit de funestes atteintes d'un travail excessif qui dépasse trop souvent les forces, et arrête le développement normal du corps humain. Il s'ensuit des maladies, des infirmités précoces qui abrègent la période pendant laquelle l'homme est d'ordinaire apte au travail, et le condamnent à une mort prématurée. [...]
Effets immédiats de l'excès du travail. — [...] Dans le Derbyshire, où le travail souterrain se poursuit pendant 14 et même 16 heures sur 24, où la ventilation et le dessèchement des mines sont essentiellement défectueux, tous les témoins s'accordent à dire que les jeunes ouvriers sont épuisés de fatigue : ils tombent de sommeil au milieu de leurs occupations; arrivés chez eux, ils vont quelquefois se coucher sans souper, tant ils sont accablés ; quelques-uns passent au lit toute la journée du dimanche ; lorsqu'ils vont à l'école, ils s'endorment, sans que rien puisse fixer leur attention ; les coups même ne réussissent pas à les tenir éveillés.

H. Austin, un des sous-commissaires, après avoir tracé un tableau déplorable de la condition des jeunes enfants employés dans les mines à couches minces de la partie nord du Lancashire, termine en citant ces paroles des parents de quelques-uns des jeunes ouvriers : "Je voudrais, dit l'un d'eux, que vous les vissiez rentrer après les travaux ; ils sont tellement harassés qu'ils se jettent là par terre comme des chiens (en désignant le foyer) ; nous ne pouvons parvenir à les faire mettre au lit."

Le travail imposé aux jeunes ouvriers charbonniers dans les mines du Northumberland et de la partie septentrionale du comté de Durhani est représenté comme très-pénible; nul, s'il n'est doué d'une forte constitution et d'une santé robuste, ne peut le supporter sans une extrême fatigue; et un grand nombre de témoins de toutes les classes affirment que les plus jeunes enfants sont souvent tout à fait exténués, et que ceux d'un âge plus avancé se plaignent généralement de manquer d'appétit et d'éprouver une continuelle sensation de souffrance.

L'âge peu avancé et le sexe d'un grand nombre d'ouvriers charbonniers dans le district est de l'Ecosse. le pitoyable état dans lequel sont les fosses, l'insuffisance et la mauvaise qualité de la nourriture, tout contribue à aggraver la position du travailleur en augmentant ses fatigues. "Les membres délicats et les forces naissantes des petits garçons et des petites filles à peine âgés de 7 à 8 ans, ne peuvent suffire à un travail continu de l2 heures en moyenne, travail essentiellement irrégulier, cessant parfois avec la chute du jour, et parfois aussi se prolongeant pendant toute la nuit. Les témoignages de tous les hommes de l'art consultés, s'accordent à représenter ce travail comme essentiellement contraire à la santé et susceptible d'entraîner les plus graves accidents. Telle est la fatigue qu'il occasionne, que les jeunes ouvriers seraient tout à fait hors d'état d'assister aux leçons, en admettant qu'il y eût des écoles du soir dans le voisinage des exploitations. En rentrant chez eux, ces pauvres enfants, après avoir participé à la bâte à un maigre souper, composé de farine d'avoine ou de gruau bouilli, sont trop heureux de pouvoir aller puiser sur un mauvais grabat la force nécessaire pour retourner le lendemain à leurs occupations." (R. H. FRANKS, Report, § 61.)

Développement musculaire anormal et défaut de croissance. — Le travail des mines donne ordinairement lieu à un développement extraordinaire des muscles; niais ce développement s'acquiert aux dépens des autres organes, car il est le plus souvent accompagné d'une diminution proportionnelle dans la stature. Tous les témoins déclarent que les mineurs n'atteignent pas la taille des autres ouvriers. Il n'y a d'exception à cet égard que dans le Warwickshire, le Leicestershire et l'Irlande.

Dans le Shropshire, les mineurs sont généralement de petite taille ; c'est une particularité qui frappe dès l'abord, et l'on voit même parmi eux beaucoup d'adultes qui ne sont pas plus grands que de jeunes garçons. (Dr MITCHELL, Report, § 814.) — Le docteur André Blake dit avoir observé un grand nombre d'ouvriers charbonniers dans le Derbyshire, et qu'il n'en a guère trouvé qui eussent la taille de leurs voisins employés à d'autres professions ; il attribue en grande partie ce défaut de croissance à la nature des travaux qu'on leur impose dès leur enfance. (J. M. FELLOWS, Evidence, n° 10.) — Dans le dictrict ouest du Yorkshire, on remarque aussi une différence plus ou moins considérable dans la stature des enfants employés, pendant un certain temps, dans les fosses ; cette différence est applicable à tous les âges. Les cas de difformité sont relativement peu nombreux; mais, comme le fait observer M. Eliss, chirurgien qui, dans sa pratique, a traité un grand nombre de houilleurs leur taille n'acquiert pas son entier développement ; cependant ils gagnent d'ordinaire en largeur ce qu'ils perdent en hauteur.
M. Symons, dans l'appendice à son rapport, donne les noms, l'âge, la mesure de la taille et de la largeur du torse d'un grand nombre d'enfants des deux sexes, appartenant à la population agricole et à la population vouée au travail des mines. Si l'on prend dans cette liste les dix premiers garçons occupés à l'agriculture et les dix premiers garçons occupés dans les houillères, tous âgés de 12 à 14 ans, on trouve que les premiers mesurent en totalité 47 pieds de hauteur et 272 pouces de circonférence, tandis que la mesure des seconds est de 44 pieds 6 pouces en hauteur, et de 274 1/2 pouces en circonférence. Pour 10 filles appartenant à la première classe, âgées de 14 à 17 ans, on a un total de 80 pieds 8 pouces en hauteur et de 297 pouces en les mesurant autour du corps; tandis que pour le même nombre de filles du même âge, appartenant à la deuxième classe, on n'obtient pour la hauteur totale que 46 pieds 4 pouces, et pour la circonférence du corps que 293 1/2 pouces. Ainsi, la différence de taille entre les filles employées à la culture et celles qui travaillent dans les houillères, est de 8 1/2 pour cent en faveur des premières ; tandis que cette différence est de 8 1/2 pour cent en faveur des garçons occupés dans les fermes lorsqu'on compare leur stature à celle des garçons charbonniers.

Un autre sous-commissaire, M. Scriven, a pris la mesure de 60 enfants employés au charriage du charbon dans les houillères aux environs d'Halifax, et de 51 enfants employés aux travaux des champs dans la même localité, tous ayant en moyenne l'âge de 10 ans et 9 mois. Les premiers avaient moyennement 8 pieds 11 3/10 pouces de haut, et 2 pieds 3 pouces de circonférence, tandis que les seconds, avec la môme circonférence de 2 pieds 3 pouces, avaient 4 pieds 3 pouces en hauteur. C'est une différence de plus de 9 pour cent. — De la même manière, sur cinquante jeunes ouvriers houilleurs dont l'âge moyen était de 14 ans et 11 mois, on trouva une hauteur moyenne de 4 pieds 5 pouces sur 2 pieds 3 pouces de circonférence ; tandis que 49 jeunes agriculteurs, âgés de 15 ans et 6 mois, mesuraient 4 pieds 10 8/11 pouces de haut et à pieds 8 pouces de circonférence; ce qui établit une différence de près de 6 pouces en faveur de la taille des agriculteurs.

Pour ne pas multiplier ces extraits outre mesure, nous nous contenterons de citer un dernier témoignage, celui du Dr Scott Alison : "La plupart des enfants employés au travail des mines de houille dans l'est de l'Ecosse, dit-il, sont maigres, décharnés, fatigués, et décèlent par la contraction de leurs traits ainsi que par la couleur blafarde et jaunâtre de leur teint, la détérioration précoce de leur santé. Depuis la première enfance jusqu'à l'âge de 7 à 8 ans, on observe chez eux une disposition maladive et une grande imperfection dans le développement du corps. En tous cas, leur condition physique est bien inférieure à celle des autres enfants du même âge employés aux travaux agricoles et à la plupart des autres métiers, ou qui demeurent inoccupés. Leur croissance est lente et imparfaite, et la plupart n'ont pas à beaucoup près la taille qu'ils auraient atteinte sans doute s'ils avaient été placés dans des conditions moins défavorables." »

Edouard DUCPETIAUX, De la condition physique et morale des jeunes ouvriers et des moyens de l'améliorer, Bruxelles, Méline, 1843, Vol. 2.

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