jeudi 3 juin 2010

"D'un peuple dévoué j'ai trahi l'espérance..." (Abbé Brébion, 1833)

"L'évacuation royale : C'est plaisant, j'avale Alger et je rends Paris." Estampe de 1830.













« […] Un illustre proscrit, que l'orage a saisi,
Chez notre villageois vient chercher un abri.
Sous ses coups redoublés la cabane résonne :
—Dieu ! C’est un revenant !— Alors chacun frissonne
Et, de frayeur transi, s'enquiert avec stupeur
Quel lugubre accident lui cause cette peur.
Là près, d'un bois épais l'effrayant voisinage
Rend plus affreux encor les effets de l'orage ;
Des flancs de cent rochers tous les vents déchaînés
Soufflent avec fracas dans les airs enflammés ;
De leurs antres affreux, les animaux terribles,
Chassés par l'ouragan, hurlent des cris horribles
Partout règne l'effroi! Le malheureux proscrit,
Tout couvert de limon, pâle et tout interdit,
Se morfond vainement auprès de la chaumière
Où personne n'entend son auguste prière.
Pourtant l'on ouvre enfin. Un illustre vieillard,
Au port majestueux, à l'imposant regard,
Se présente aussitôt. Les traits que la tristesse
A gravés sur son front relèvent sa noblesse.
Quel est cet étranger ? Quel est ce voyageur?
Disait le villageois guéri de sa frayeur :
Quels traits de majesté brillent sur son visage
Tout souillé de limon, tout mouillé par l'orage!
Peut-être un roi proscrit, un Bourbon, Charles Dix,
Trahi par ses flattteurs, trompé par leurs avis.
Le rustre pensait haut. Lors, une larme fière
Roula rapidement dans l'humide paupière
Du vieillard malheureux : — Oui. dit-il sanglotant,
Des grandeurs d'ici-bas admirez le néant !
Ce front humilié porta le diadème ;
Jadis j'ai possédé l'autorité suprême;
Je fus roi fortuné d'un peuple belliqueux
Qui remplit l'univers de ses faits glorieux :
Mais, ô regrets cuisants ! Trop fier de ma puissance,
D'un peuple dévoué j'ai trahi l'espérance.
Ministres égarés, ô flatteurs odieux !
Au lieu de m'éclairer, vous me fermiez les yeux.

Aujourd'hui dans l'exil je consume ma vie;
J'ai mérité ma peine, il faut que je l'expie :
Mais cet enfant chéri qu'a-t-il fait pour souffrir?
Cher Henri-Dieudonné, devais-je te trahir?
Hélas! je t'ai privé de ton bel héritage !
C'est moi qui t'ai frustré de ton noble apanage !
Fatal aveuglement ! mon peuple m'adorait,
Me prodiguait son sang, m'aimait, m'idolâtrait;
Il courait sur mes pas, plein d'une folle ivresse.
Il m'appelait son père, et ma douce vieillesse
S'écoulait lentement dans le sein des plaisirs;
Tous les jours je goûtais les plus dignes loisirs ;
J'étouffais sous l'honneur ! Des rives africaines
Mes soldats courageux avaient conquis les plaines;
Et le repaire affreux d'audacieux forbans
Fut à jamais détruit par mes fiers combattants.
J'aimais la vérité, l'honorable droiture,
Et je fus égaré par la vile imposture.
De mes sujets zélés les plus sages avis
Fuient par moi voués au plus sanglant mépris.
Hélas ! de l'un surtout je garderai mémoire ;
Noble Chateaubriand, oh! puisse un jour l'histoire,
Admirant ton grand cœur, à la postérité
Dire le dévouement de ta fidélité !
Le zèle supplanté, la vérité bannie :
L'injustice en honneur et l'audace impunie,
De mon règne passé légitiment le sort :
Le pouvoir m'aveugla; voilà mon premier tort.

Oh! qu'ils sont malheureux les puissants de la terre
Qui se laissent trahir par un orgueil vulgaire,
Sur le peuple abusé s'acharnent lâchement
Alors qu'ils le devraient protéger noblement.
Les rois n'ont de pouvoir que par cette justice,
Généreuse envers tous, à leurs sujets propice.
Malheur aux plus puissants, si, de l'humanité
Méconnaissant les droits, ils foulent l'opprimé !
Le Ciel, toujours vengeur de celui qu'on opprime,
Hait l'abus du pouvoir comme le plus grand crime.
C'est pour avoir foulé les faibles si nombreux,
Que je subis, hélas ! un sort si rigoureux ;
C'est pour avoir (*) ...

(*) La prudence m'a conseillé de supprimer ici certains vers où j'articulais quelques noms propres. L'ombre du despotisme est encore redoutable; grâces en soient rendues aux peureux qui méconnaissent leur position et le vœu de leur pays.

Le Monarque déchu, d'une voix défaillante ,
Termina par ces mots son histoire touchante.

Bientôt le sentiment de son triste malheur
Provoque ses soupirs, aiguise sa douleur.
Alors du villageois la famille ébahie,
Se jette à ses genoux de son sort attendrie :
Conjurant avec pleurs l'auguste infortuné
D'adorer de son Dieu la sainte volonté.
Des desseins du Très-Haut adorateur fidèle
Le prince reconnaît la justice éternelle :
Le doigt de Dieu, dit-il, s'appesantit sur moi;
Que son nom soit béni, je vénère sa loi.
Ô toi ! Louis-Philippe, espoir de notre France,
Tu remplis tous nos cœurs d'une juste espérance.
Protecteur éclairé des vertus, des talents,
Encourage les bons, réprime les méchants.
De tout gouvernement voilà la politique,
Et pour la monarchie et pour la république ;
Et puis après méprise, avec un noble cœur,
Des brouillons mécontents la stérile clameur.
Si jadis des Romains l'empereur le plus sage
Ne peut de ses censeurs calmer l'injuste rage ;
Si Marc-Aurèle enfin, modèle des gouvernants
Ne peut point se soustraire aux fureurs des méchants,
Console-toi ! toujours, dans des moments de crise,
Le trouble est dans l'état, le troublé est dans l'église:
Mais quand, dans un pays, puissant, industrieux,
Règne un monarque et brave et vertueux,
Alors les passions, désormais impuissantes,
Cessent leurs actions funestes, désolantes.
Bientôt l'on voit la fin de ces sinistres maux :
On voit leur succéder la gloire et le repos.

Ah ! si jamais la guerre, et des moments d'orages
De tes vaillants soldats stimulait le courage,
Pour les encourager cite-leur Napoléon
Il remplit l'univers de son auguste nom.
Qu'ils viennent tes guerriers sur la place Vendôme
Admirer le héros, saluer le grand-hôme !
Ce conquérant fameux rappelle cent combats,
Où vainquirent jadis tes courageux soldats.
Mille lieux différents reviennent à la mémoire;
Ils célèbrent chacun une insigne victoire.
Toulon, Arcole, Lodi ; le Pô, Palma Nova ;
Malthe, Alexandrie ; Aboukir, Médina ;
Austerlitz, Marengo : puis cent autres batailles,
Où franchissant les monts, renversant les murailles,
Il vainc les nations et détrône les rois ;
Aux peuples qu'il soumet, dictant.ses sages lois.
De l'Egypte au Kremlin, du couchant à l'aurore
Flotta victorieux son drapeau tricolore.
Du Grand Napoléon le nom prestigateur
Inspire à tes soldats une héroïque ardeur.
Ô mon roi, si jamais le fléau de la guerre
Revenait de nos jours épouvanter la terre ,
Auprès de la colonne appelle tes héros;
Pour les électriser prononce leur ces mots :
« Intrépides soldats, ô phalanges, terribles !
« Ô guerriers immortels, escadrons invincibles!
« Voici Napoléon, l'illustre général,
« Le voilà triomphant, qui, de son piédestal
« Semble vous animer du feu.de son génie
« A soutenir vos droits, à venger la patrie-
« Courage ! vous dit-il, vainqueurs de Marengo,
« Effacez à jamais l'échec de Waterloo.
« Vos combats glorieux relèveront l’empire.
« D'un peuple généreux que l'univers admire :
« Alors tout citoyen, dans la prospérité
« Criera : Vive le roi! Vive la liberté! »

Abbé Eusèbe Brébion, Le Doigt de Dieu dans la chute de Charles X, Paris, 1833.

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