◄ Louis-Marie de Lahaye, vicomte de Cormenin (1788-1868).
« MESSIEURS,
Les villes qui honorent les grands hommes qu'elles ont vus naître, s'honorent elles-mêmes : elles pratiquent la plus pure des vertus qui est la reconnaissance, et par le prix qu'elles attachent aux belles actions de leurs concitoyens morts, elles excitent leurs concitoyens vivants à les imiter.
A peine les hommes vulgaires ont-ils rendu leur dernier soupir, que leur cendre se mêle à la terre comme une chose sans figure, sans souvenir et sans nom ; mais la mémoire des héros ne tombe point en poussière. Ils vivent éternellement après leur mort, de leur véritable vie, qui est la gloire.
Je ne sais, messieurs, quelles graves et tristes pensées viennent me préoccuper malgré moi au milieu de la joie et des pompes de cette solennité. Comme la révolution va vite ! Comme elle a été dévorante ! Que de jeunesse, que de grandeurs elle a moissonnées ! Sa faux ne vous a point respectés, Hoche, Kléber, Marceau, Desaix et toi Joubert, brillantes fleurs de la patrie, dont il ne reste plus qu'un parfum de gloire et d'immortalité. Mais du moins Joubert, frappé à Novi, Kléber immolé sur les rivages de l'Egypte, Desaix tombant dans les plaines fameuses de Marengo, tous sont morts comme en possession du sol étranger, où ils avaient arboré nos étendards. La France alors, rayonnant de son éclat guerrier et de ses patriotiques illusions, marchait dans la carrière de la liberté, de ce pas ferme et confiant dont va la jeunesse, et son nom était alors l'orgueil de ses enfants et l'admiration du monde.
Aujourd'hui tant d'orgueil nous siérait mal ; car où sont, je ne dirai pas nos conquêtes, mais nos alliés ? Où sont nos frontières? Où est cette Italie, si souvent témoin de nos stériles triomphes, puisque nous n'avons pas su l'affranchir de ses tyrans ? Où est cette Pologne dont nous ne pouvons plus prononcer le nom qu'en rougissant, et qui n'aurait jamais dû mourir tant que la France existait ? Où est cette France elle-même ? Et à la voir aujourd'hui toute humble et toute craintive, dirait-on que c'est encore là cette grande nation qui jadis, semblable à une reine, portait si haut parmi les nations et sa tête et son langage?
Qu'ils se réjouissent ceux qui ont rapetissé le colosse de juillet aux proportions d'un nain ! Qu’ils croient aux assoupissants mensonges des protocoles, ceux qui ne croient pas à la fortune de la France !
Nous, messieurs, veillons, veillons ! L’orage gronde, il s'approche, et la lutte éternelle entre le principe du droit divin et le principe de la souveraineté du peuple, va recommencer sur de nouveaux champs de bataille. Veillons ! Les rois absolus peuvent nous pardonner d'avoir planté nos aigles triomphantes sur les clochers de Vienne et de Berlin ; mais ils ne nous pardonneront jamais d'avoir voulu fonder le pouvoir sur les larges bases de la majesté populaire. Veillons! Serrons nos rangs. Plus de haines, plus de divisions. Ne sommes-nous pas tous les citoyens d'une commune patrie ? Ne sommes-nous pas tous les fils de cette France si glorieuse et si bien aimée ? Souffrirons-nous que les stupides soldats de la Sainte-Alliance nous imposent la brutalité de leur joug, leur propre servitude, leurs tributs et leurs rois ? Non, nous ne le souffrirons pas ! Nous voulons tous sans doute la liberté sans laquelle il vaudrait autant ne pas vivre ; mais avant tout, nous voulons l’indépendance du territoire, sans laquelle la liberté elle-même n'existerait pas.
Pour conserver ces deux biens inestimables, pour nous défendre au-dedans comme au-dehors, souvenons-nous, si la tyrannie nous opprime, que nous sommes citoyens, et si l'ennemi nous menace, que nous sommes Français ! Souvenons-nous que nous habitons une terre où il n'a jamais manqué de héros à l'appel de la victoire, et où, nous le jurons, il ne manquera jamais de défenseurs à la cause de la liberté ! Souvenons-nous que deux principes se partagent le monde, qu'il n'y en a qu'un seul de vrai, que c'est celui de la souveraineté du peuple et que le signe vivant de ce principe est le drapeau tricolore. C'est lui qui annonça à l'Europe l'émancipation de nos pères, lui qui se déploya sur les minarets de Moscou, lui que virent briller les enfants du Nil ; c'est lui qui guidait votre Joubert à travers le feu des batailles ; c'est lui, tant la gloire s'y attache, lui seul peut-être qui fit la révolution de juillet !
Drapeau de ma patrie, quand je te vis pour la première fois dans nos immortelles journées, flotter au haut des tours de Notre-Dame, je sentis battre mon cœur, et les pleurs de l'enthousiasme s'échappèrent de mes yeux. Drapeau cher et sacré, puisse-tu rouvrir à nos soldats le chemin de la victoire! Puissent toujours tes nobles couleurs ombrager le front de la liberté! »
Louis-Marie de Lahaye, vicomte de Cormenin, Libelles politiques, vol. 2, Paris, Hauman, Cattoir et cie, 1836.
_________Note : l'inauguration de la statue de Joubert, oeuvre du sculpteur lyonnais Legendre-Héral, se déroule le 22 juillet 1832.
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