"En avant citoliens [sic] de Fouilly-les-Oies ! Allons corriger Paris !..." Dessin signé : "Brutal, 2 avril 1871", Imp. Talons, Paris, 1871.
« Parisiens,
Il paraît qu'en ce moment, vous êtes terriblement en colère contre nous autres pauvres provinciaux : si j'en juge par ce que j'entends dire de divers côtés, quolibets, caricatures, sarcasmes, épithètes mal sonnantes pleuvent dru comme grêle sur nous et sur les représentants que nous avons choisis. J'ai lu moi-même sur certain journal des expressions qu'il me coûterait de reproduire. Parbleu !
Messieurs, ah ! pardon : citoyens, devrais-je dire, à Fouilly-les-Oies, on se respecte davantage. Vous vous attribuez modestement la réputation du peuple le plus spirituel de la terre ; à coup sûr, ce n'est pas ainsi que vous parviendrez à la justifier. Et quelle est la cause de tout ce vacarme, de ce débordement de bile ?
Vous nous reprochez, si je ne me trompe, de n'être pas de fervents républicains ; vous nous reprochez de jalouser Paris ; il en est même qui vont jusqu'à nous reprocher d'avoir contribué aux mal heurs du pays par notre vote sur le plébiscite ; mais cette dernière imputation se glisse sournoisement dans les conversations et n'a pas encore osé, que je sache, s'étaler dans les colonnes de vos grands journaux. Si jamais elle l'osait, nous y répondrions, soyez-en sûrs, et vertement. Quant aux deux premières que nous voyons partout reproduites à satiété, trouvez bon que nous ne les laissions pas sans réplique.
Ah ! vous nous reprochez de ne pas être de fervents républicains ! Eh bien! nous vous reprochons, nous, habitants de Fouilly-les-Oies, de crier République sans savoir définir ce que ce mot signifie, et surtout sans vouloir pratiquer les obligations que cette forme de gouvernement impose.
De plus, nous vous déclarons très-nettement que nous sommes las de voir Paris disposer à lui tout seul du sort de tout le pays, changer à lui tout seul, par le droit de l'émeute, la forme du gouvernement, empêcher ainsi la sincère application des principes et fausser les institutions. Si c'est là ce que vous appelez jalouser Paris, vous n'avez pas tort.
Nous accusons les républicains de profession d'avoir été, depuis 92, les principaux auteurs de toutes les agitations ; et nous accusons Paris de leur avoir donné, par la dictature politique qu'il exerce, le moyen de bouleverser le pays, de tout changer à plusieurs reprises, quoiqu'ils n'aient été jusqu'à ce jour, et qu'ils ne soient encore aujourd'hui qu'une minorité.
Enfin, nous osons affirmer que, malgré vos bruyantes professions de républicanisme, s'il y a quelque chose de difficile à trouver parmi vous, c'est un véritable républicain. On y voit, il est vrai, des hommes, en certain nombre, qui se donnent mutuellement, et avec une affectation marquée, le titre de citoyens ; qui mettent au bas de leurs lettres : salut et fraternité ; qui datent leurs journaux de Frimaire ou de Vendémiaire ; mais cela ne suffit pas, à nos yeux, pour prouver des convictions sincères, et surtout des convictions raisonnées. Dans cet emploi de certaines formules, dans cette résurrection du calendrier républicain (calendrier qui avait du bon, politique à part), nous ne trouvons autre chose qu'une réminiscence maladroite d'une époque étrange, complexe, où les faits héroïques se sont alliés à une monstrueuse aberration morale. Ah ! les réminiscences de l'histoire ! que de maux elles nous ont causés ! C'est à elles que nous devons tant de Césars ; c'est à elles que nous devons tant de tribuns à l'enthousiasme factice ; c'est à elles que nous avons dû les Gracchus en bonnet phrygien et les Brutus en carmagnole. Allons ! allons ! assez de parodies !
Voilà qui est un peu raide, comme vous dites à Paris ; mais, à Fouilly-les-Oies, on ne va pas par quatre chemins : ce que l'on pense des gens, on le leur dit en face, et ce que l'on dit, on le prouve.
Avec cette adorable suffisance qui vous caractérise, vous affirmez que nous sommes tous gens dépourvus de lumières et de jugement. Sans doute, il est parmi nous plus d'un type de cette espèce ; mais n'en est-il aucun parmi vous ? La seule différence entre vos ignorants et les nôtres, c'est que les uns sont présomptueux et tranchants, les autres très timides.
Vous prétendez que, préoccupés uniquement de nos champs et de nos bestiaux, nous faisons bon marché des nobles aspirations à l'indépendance et à la liberté : la vérité est que nous nous en soucions tout autant que vous. Seulement, jusqu'à ce jour, une certaine apathie et le sentiment exagéré de notre insuffisance nous ont portés à résumer toutes nos aspirations dans un enthousiasme commode pour quelque individualité, à laisser faire, à recevoir, les yeux fermés, tout ce qui nous venait de la Capitale. Nous commençons à nous apercevoir que nous avons eu tort. Croyez-moi, Messieurs les Parisiens, il en est plus d'un parmi nous qui sont instruits et capables de penser : ils comprennent enfin que des institutions libres imposent à tous ceux qui sont dignes et capables d'exercer autour d'eux quelque influence le devoir d'y travailler énergiquement, en un mot, que noblesse oblige : ils y sont bien résolus. »
Anonyme, Lettres aux Parisiens. Par un habitant de Fouilly-les-Oies, Meaux, Impr. de Cochet, 1871.
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