William Bouguereau, L'Empereur visitant les inondés de Tarascon,
huile sur toile (1856), Hôtel-de-Ville de Tarascon.
« Le voyage de l'Empereur a une haute signification et une grande portée. Il montre bien l'union intime de la nation et du souverain qu'elle s'est librement choisi ; il assure à Napoléon III le dévouement de tous, et détruit dès aujourd'hui jusqu'à la dernière trace des partis désorganisés.
Nous ne pouvons mieux faire, pour donner à tous une idée de la façon dont l'Empereur a été accueilli par les populations du Midi, que de reproduire la lettre suivante, écrite de Tarascon, le 4 juin, par M. Adolphe Dumas, sous la pression des événements.
"Les journaux de Paris dans trois jours, et l'histoire de France dans des siècles, raconteront le voyage que l'Empereur vient d'accomplir au milieu des désastres de la Provence, et l'admiration étonnée des Provençaux pour un aussi grand caractère et un aussi grand cœur.
Je suis témoin oculaire de tout cet enthousiasme, qui veille sur les portes des maisons une partie de la nuit pour s'entretenir de cette apparition, comme d'une légende. En attendant un récit plus long, permettez-moi d'attester ce qu'on dit, ce que j'entends et ce que je vois.
Je le dois à mes chers et malheureux compatriotes d'Avignon, de Tarascon et d'Arles, qui ont besoin d'une voix pour dire à l'Empereur leur reconnaissance, qui va jusqu'à l’exaltation la plus extraordinaire.
Vous savez nos malheurs, si vous n'en savez pas encore le nombre. L'Empereur a quitté les Tuileries, à ce qu'il paraît, dimanche matin, avec un frac militaire, un sabre au ceinturon, un képi d'officier, et sa suite, composée de six personnes. Voilà le grand monarque qui vient défaire la guerre d'Orient et la paix religieuse et politique du monde.
L'Empereur est, à Paris, Napoléon III, la tête des conseils de l'Europe, tout le monde l'a vu à l'œuvre. Mais nous ne l'avons pas vu, comme à Lyon, à cheval et dans l'eau jusqu'à la ceinture, donnant la main pleine d'affection et pleine d'or à des femmes et à des enfants bloqués dans leurs maisons, et qui lui tendent la main des fenêtres.
Nous ne l'avons pas vu, comme à Avignon, dans une barque, avec Monseigneur, le maire et un rameur, pour ne pas trop charger l'embarcation, parcourant les rues les plus petites, les plus populeuses et les plus pauvres, et dirigeant lui-même les distributions et le sauvetage.
Nous ne l'avons pas vu, comme à Tarascon, et dans la, campagne submergée, au milieu d'un bivouac de paysans réfugiés avec leurs familles au pied des Alpilles, vidant ses poches et ses mains, à côté de la marmite de ces braves cultivateurs, hier riches fermiers, et ce matin à l'état de bohémiens.
Quand il est arrivé là, devant cette nappe d'eau qui s'étend jusqu'à Arles, et devant cette belle vallée de Tarascon dont il ne voyait plus que la cime des arbres, il n'a pas dit un seul mot, tant il était consterné.
Il a joint les deux mains, me dit une bonne femme, et il a fait : Ô mon Dieu !
Il était encore séparé de Tarascon par une lieue d'eau, de mûriers à fleur d'eau, de granges ruinées, et qui apparaissaient à la surface comme autant d'écueils ; il a sauté (c'est le mot) dans un batelet comme un soldat, de marine, et ne voulait que le batelier. Six hommes des cent-gardes étaient à terre et voulaient le suivre; l'Empereur a levé la main et montré trois doigts ouverts ; ce qui voulait dire qu'il n'y avait de place que pour trois. C'est ainsi qu'est parti l'Empereur au secours de Tarascon et d'Arles, à travers les courants d'eau et une forêt d'arbres." […]
L'Empereur avait, par sa fermeté, sa politique vigoureuse, forcé l'Europe à reconnaître l'influence française ; il avait porté notre puissance au degré élevé où l'avait placée son oncle. Comme lui il avait su en quelques jours effacer un triste passé et dix-huit années de faiblesse, et les déchirements intérieurs, les troubles civils s'étaient évanouis devant les actes admirables de son administration.
En conquérant pour le pays la place légitime qui lui était due dans le conseil des nations, il n'avait pas négligé le but plus pratique et si important des relations commerciales. Nos échanges s'étaient accrus, notre commerce relevé, et le chiffre des transactions, comme leur importance, avait pris des proportions considérables. L'industrie, vigoureusement appuyée, prenait une large part dans cette amélioration générale des grands intérêts du pays. Jamais à aucune époque elle n'avait été plus prospère, et son action vivifiante s'était étendue sur toutes les branches de la production.
L'Empereur, en sachant se concilier les sympathies de l'Europe, préparait au pays une ère nouvelle de grandeur et de puissance. Les Etats nos alliés avaient enfin reconnu et la supériorité de ses conseils et la sagesse de sa politique. La marche vigoureuse imprimée aux opérations stratégiques ; l'impulsion puissante qu'il avait su donner aux chefs de l'armée; sa rare intelligence des choses de la guerre ; son coup d'oeil sûr ; la promptitude de ses décisions, tout cela avait créé naturellement à notre profit une incontestable supériorité, dont l'Europe acceptait enfin l'ascendant.
Le peuple qui nous avait été le plus opposé était lié avec nous par une de ces unions puissantes qu'une même gloire avait cimentée, que l'accord des deux souverains rendait si éclatante. Et l'Angleterre, dans ce moment même, tait bien voir, à l'occasion des inondations funestes qui sont venues dévaster nos provinces, combien elle a de sympathies pour la France.
La souscription ouverte à Londres pour venir au secours des inondés prend les proportions d'une manifestation nationale ; et le généreux concours que nous prêtent nos voisins d'outre-Manche, depuis la reine et les hautes sommités de l'aristocratie, de la finance et du commerce, jusqu'à l'artisan le plus humble, viennent apposer au traité moral et politique conclu entre les deux nations un sceau indélébile, et montrer à quel haut degré de sympathie et d'estime mutuelles sont parvenus les deux peuples.
Seuls, les vieux partis tentaient encore de vains efforts pour rassembler leurs tronçons épars. Efforts inutiles comme la suite l'a prouvé; toutefois ces incitations sourdes, ces ténébreuses menées, jetaient dans la foule un malaise qui n'allait point jusqu'au doute, mais qui pouvait empêcher les affections nouvelles, les dévouements d'hier, d'être mieux affermis dans leur foi.
Eh bien, cette pierre d'achoppement, cet atome ténu qui pouvait peut-être servir d'appui aux mauvaises passions, est dès à présent anéanti !
L'Empereur, et il semble que la Providence ait dirigé ses pas, a été au-devant de ceux-là mêmes qui avaient le plus ouvertement méconnu son autorité, le principe d'ordre qu'il représente, en même temps que la volonté si hautement manifestée par l'immense majorité de la nation ; il s'est présenté dans ce grand appareil si rarement revêtu par le souverain ; il est venu non point comme le chef d'un grand État, mais comme le père de la nation. Il avait effacé de son coeur le souvenir des offenses, et il n'y avait sur ses lèvres que des paroles de commisération, d'encouragement, dans ses mains que des bienfaits, dans son âme que pitié et qu'amour.
Aussi, on peut le dire, l'Empereur a fait à nos yeux une conquête mille fois plus précieuse que celles qui résultent du choc des armées. Il a conquis des coeurs que de perfides conseils, que des convictions fâcheuses tenaient éloignés de lui. Dans le grand désastre que vient d'éprouver si cruellement la France, il existe comme une marque tracée par la volonté divine, comme un jalon placé par la Providence, qui semble convier tous les enfants du sol à une communion générale et sincère.
Les débris des anciens partis que la vérité éclatante n'avait pu vaincre, que la logique puissante des faits accomplis n'avait pu convertir sont aujourd'hui réunis à la fortune, de celui qu’ils considéraient comme l'ennemi de la chose publique. Ce que l'intérêt bien entendu du pays exigeait d’eux, ce que les voix éloquentes de la raison, de la justice, du progrès constant et réel, n'avaient pu faire, un homme l'a accompli.
Au lieu de s'adresser à l'action décisive, mais lente, de la raison, au lieu d'appeler à son aide les résultats, éclatants déjà, de son oeuvre nouvelle, au lieu de faire plaider pour lui les fruits déjà mûris de ses grands labeurs, Napoléon III a mieux fait : il s'est adressé aux sentiments généreux de la nation ; il a fait vibrer les cordes du dévouement et du courage ; il a compris qu'aux cœurs simples il fallait de grands actes ; qu'aux natures vives les grands mouvements étaient sympathiques ; qu'aux âmes ardentes il fallait montrer de bouillantes ardeurs.
Il a fait cela ; et désormais le peuple est pour lui. Et désormais ce ne seront plus seulement les majorités qui l'acclameront. Mais de toutes les poitrines, de toutes les bouches, sortira ce cri, brûlant d'enthousiasme et d'affection, qui vient de retentir avec tant d'unité sur les bords de la Loire et du Rhône, comme le 14 juin, des Tuileries à Notre-Dame : Vive l’Empereur ! »
Charles Robin, Inondations de 1856. Voyage de l’Empereur,
Paris, Garnier Frères, 1856.
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