vendredi 1 octobre 2010

"La pacification définitive... de l'Italie ne peut s'accomplir qu'au moyen d'un compromis" (L. Debrauz, 1861)

Affiche annonçant la promulgation du traité de Paris en date du 28 avril 1856. Rio de Janeiro, 17 juin 1856. Archives du Ministère des Affaires étrangrères, Paris.


« Trente années de paix consécutives, et les immenses bienfaits qu'en avaient recueillis toutes les nations, semblaient avoir enraciné chez les peuples européens le désir ardent de voir disparaître à jamais le fléau désastreux de la guerre, triste héritage des temps barbares !

Les hommes d'état les plus dignes de ce nom proclamaient hautement le maintien de la paix, comme la plus belle conquête de notre siècle. Et l'un des plus grands penseurs dont s'honore l'Angleterre, lord Brougham, résumait tous les progrès de notre civilisation par cette heureuse pensée : la plume, et non plus le canon, décidera désormais des destinées du monde.

Fidèle interprète du sentiment général de l'Europe, le Congrès de Paris consignait, dans son protocole du 14 avril 1856, le vœu que, pour opposer un obstacle salutaire à de nouveaux conflits entre les puissances, celles-ci, avant d'en appeler à la force, eussent désormais à admettre l'action médiatrice d'un Etat ami, dont la mission serait de les rapprocher et de les réconcilier.

Nous avons la profonde conviction que si les grandes puissances s'étaient mieux pénétrées du protocole au bas duquel figurent leurs signatures, les complications italiennes auraient pu être arrangées sans coup férir, et qu'elles auraient reçu une solution bien plus conforme aux véritables besoins et aux intérêts de l'Italie, qu'on ne saurait l'espérer de sitôt. Au milieu de l'inextricable confusion d'idées qui règne dans la presqu'île des Apennins, l'action de la diplomatie est désormais enrayée par le mouvement révolutionnaire avec lequel le Piémont se trouve déjà aux prises.

Si l'aréopage, qui préside au concert européen, avait alors véritablement compris sa sainte et noble mission, il se serait interposé de toute son autorité entre les parties contendantes. En leur déclarant qu'il tournerait ses armes contre la puissance qui n'accepterait pas son suprême arbitrage, il aurait certes empêché la guerre d'éclater. L'Europe ne serait pas aujourd'hui réduite au triste rôle de blâmer hautement la tournure que prennent les affaires italiennes, sans pouvoir rien empêcher, de donner des conseils qui ne sont point écoutés, et de faire des vœux qui restent toujours stériles. Le prestige du nom de Garibaldi, il faut bien le dire, a supplanté et anéanti, au-delà des Alpes, l'influence de la diplomatie.

Les souverains ont beau multiplier leurs entrevues et se prodiguer les marques d'amitié personnelle ; en vain les cabinets protestent à l'envi de leurs intentions pacifiques, et proposent, pour en témoigner la sincérité, soit des conférences, soit la réunion d'un congrès; en vain les organes les plus accrédités de la presse périodique s'efforcent à rallumer la confiance qui s'éteint, à ramener le crédit qui s'en va, à encourager le travail qui chôme, à ranimer le commerce qui languit; la préoccupation de l'avenir, couvert d'un voile aussi sombre qu'impénétrable, domine tous les esprits. Chacun se demande à quoi doivent servir toutes ces armes que l'on forge, tous ces canons que l'on coule, tous ces armements que l'on pousse avec un redoublement d'activité d'un bout à l'autre du continent ? Les États rivalisent à perfectionner les engins de guerre, et le génie créateur de l'homme ne semble plus occupé qu'à inventer des instruments de mort toujours plus puissants, qu'à combiner les moyens de détruire des armées entières ou de foudroyer toute une flotte. Jadis, après une longue campagne, on avait à déplorer la perte de moins de soldats que la bataille de Solferino n'en a vu moissonner en un seul jour. […]

L'histoire de l'humanité compte, hélas ! trop de pages sanglantes, pour que tout homme de bien ne souhaite pas sincèrement que le nœud gordien de la question italienne soit dénoué autrement que par l'épée. La véritable régénération politique, telle que nous la souhaitons de bon cœur à la nation italienne, ne saurait s'effectuer et se développer qu'à l'ombre de la paix et de l'ordre social. […]

La presqu'île des Apennins est aujourd'hui le champ clos, où la longue et opiniâtre lutte entre l'esprit féodal et les aspirations libérales des générations nouvelles doit enfin se vider. Prédestinée à conserver, au moyen-âge, le dépôt sacré de la civilisation et à le protéger contre les flots envahissants des hordes barbares, qui du fond de l'Asie se ruèrent sur l'Europe, l'Italie paraît providentiellement choisie pour être le terrain où, nous en avons la confiance, s'opérera la réconciliation entre l'absolutisme et la liberté.

La pacification définitive et durable de l'Italie ne peut s'accomplir qu'au moyen d'un compromis entre les deux principes adverses, dont les conflits incessants ont engendré cette situation précaire, si remplie de périls et d'anomalies, dont l'Europe offre en ce moment l'étrange spectacle. […] Que les rois retrempent leur politique dans les saints et charitables préceptes du Christianisme, et la démagogie, qui menace d'envahir et de bouleverser l'Europe, mais qui n'est au fond que l'hérésie effrontée de la démocratie véritable, mourra d'impuissance. Tandis que la véritable démocratie repose sur les intérêts de tous, conciliés avec les droits de chacun, l'autre n'est que l'expression de minorités turbulentes ; l'une, mue par la liberté qui féconde le travail, répand la prospérité et la richesse; l'autre, ne vivant que de haines et faisant incessamment appel aux plus bas instincts populaires, est poussée par l'esprit de destruction et n'engendre que le paupérisme et la misère. Entre les deux, le choix des peuples ne sera ni long, ni douteux. […]

La base d'un compromis est toute trouvée depuis que les grandes puissances ont reconnu la nécessité impérieuse d'observer, dans les circonstances actuelles, le principe de non-intervention. Il ne faudrait plus que transformer la question de fait en une question de principe, pour lui imprimer, ainsi qu'à toutes ses conséquences légales, la force d'un élément du droit international pratique.

Un tel compromis, sagement conçu et loyalement exécuté, rendrait la sécurité et la stabilité aux rapports mutuels et incessants des peuples entre eux, mettrait fin aux agitations de l'Europe et aux souffrances de l'humanité par une paix solide, fondée sur la justice et contenant dans ses dispositions équitables la garantie de sa durée. Du système de non-intervention, rigoureusement interprété et applique aux événements de la Péninsule, découle on ne peut plus naturellement la solution finale des complications italiennes. »

Louis Antoine Debrauz de Saldapenna, Le rachat de la Vénétie, est-il une solution ? Paris, Amyot, 1861.  

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