mardi 7 septembre 2010

"La république doit son hommage aux principes seulement, et non pas à des noms propres" (Le Tocsin des Travailleurs, 1848)


"Il ne vous manque plus que le masque" (La Revue comique à l'usage des gens sérieux, 1848)


« De braves électeurs démocrates ont voté pour le prince ; c’est une faute très grave. La république doit son hommage aux principes seulement, et non pas à des noms propres, surtout lorsque ces noms rappellent le despotisme du sabre. »


« Paris, le 12 juin.
LE NAPOLÉONISME

Gloire à Napoléon, honte aux singes du grand homme !

Lorsque la République de nos pères nous eût donné la foi politique, l’unité morale, une invincible armée, Napoléon s’empara de tout en despote : ce fut son crime. Cependant il força l’Europe à subir l’esprit de la révolution qui planait au-dessus des aigles de l’empire. C’est pourquoi, vivant ou mort, il fut pardonné, admiré, aimé par la France ; nous sommes quittes.

Que nous veut sont neveu ? S’il rentrait en républicain sincère, soit ; mais M. Louis Bonaparte ne rentre t-il pas en Bonapartiste ? Fût-il un citoyen irréprochable, il est pris comme un drapeau par des intrigants par des fanatiques, et il le souffre. Point de milieu : c’est un ambitieux ou un niais. Dès lors, il est dangereux par lui-même ou dangereux par le parti dont il est le mannequin et l’enseigne.

Quoi ! nous n’en finirons jamais avec la racaille des prétendants qui se disputent le gouvernement de la France comme leur propriété légitime ? Nous avions une kyrielle de Bourbons, il nous fallait encore des Bonaparte ? Peuple, seras-tu éternellement le jouet de cette populace de princes qui s’évertuent à filouter la souveraineté au nom du principe dynastique ?

Qu’est-ce enfin que M. Louis Bonaparte ? A peine a-t-il été nommé représentant du peuple, une partie de la tourbe des réactionnaires l’a salué comme un le héros d’un nouveau 18 brumaire ; selon leurs espérances, c’est un secret de famille chez les Bonaparte.

Peuple, en 1799, pour étouffer ta liberté, il ne fallut pas moins que le vainqueur de l’Italie et de l’Egypte. Si le Directoire tomba, si la nation fléchit, ce fut devant le glorieux émule d’Annibal et d’Alexandre. Et le peuple de 1848 se laisserait souffler la République par l’écolier qui commit les sottes escapades de Strasbourg et de Boulogne ? Es-tu donc si dégradé, peuple, que tes pères aient plié sous la botte qui avait foulé les Alpes et les Pyramides, et que toi, vaillant soldat des barricades, tu cèdes au Petit-Poucet chaussant la botte de sept lieues du géant ?

Jamais danger ne fut plus ridicule, jamais ridicule ne fut plus dangereux ; c’est une farce tragique.

M. Louis Bonaparte a une affliction de naissance, c’est son nom. Depuis le berceau, il a le cauchemar de la gloire et de la puissance du régime extraordinaire dont il se croit le représentant. Tout ce que l’oncle faisait, le neveu le fait ou veut le faire ; c’est sa monomanie. L’oncle commença par être artilleur, le neveu a débuté par l’exercice du canon. L’oncle contint les destinées publiques entre ses mains : depuis douze ans, le neveu travaille à se distendre le pouce et l’index suffisamment pour étreindre la France par un bout, et la France lui glisse toujours entre les doigts. A cette heure, il frappe aux portes l’Assemblé nationale. S’il avait à usurper le pouvoir, il n’en a pas la poigne ; mais manque t-il de séides et de meneurs tout prêts à le lui livrer ?

Voilà où nous a réduits la faiblesse du gouvernement ! Le peuple s’est découragé, les monarchistes de toutes les sortes s’enhardissent, et déjà notre République ressemble à un lion décrépit qui reçoit de toutes les dynasties le coup de pied de l’âne.

Peuple, veux-tu de nouveaux maîtres ou veux-tu rester libre ? Décide. […]

N’est-il pas clair qu’en ce moment tous les réactionnaires, légitimistes ou orléanistes, aisent au succès du prince-citoyen ? Ces habiles meneurs le connaissent pour ce qu’il est, pour une médiocrité politique, et tous prévoient qu’il ne tiendra pas au pouvoir. Mais son nom est populaire. En avant Louis-Napoléon Bonaparte, et de toutes leurs forces ils le pousseront pour qu’il fasse brèche à la République. Quand la brèche sera faite, le jeune homme tombera dans le fossé, et soudain vous verrez flotter à ciel ouvert la bannière d’Orléans ou le drapeau blanc d’Henri V. Voilà le plan du faubourg Saint-Germain et de la Chaussée d’Antin. L’étourdi de Strasbourg et de Boulogne servira à leur préparer la voie. Il passera le premier portant sur le poing l’aigle impérial, et l’aigle sera plumé au profit du coq gaulois.

Déjouons toutes ces ruses. Que Louis Bonaparte ait la liberté de siéger à l’Assemblée nationale, et que le peuple évite le piège tendu à sa générosité. C’est aussi à titre de proscrit que ce prince est recommandé aux sympathies des masses ; il nous suffit que l’arrêt de la proscription soit révoqué. Mais quand bien même Louis Bonaparte serait victime, est-ce une raison pour que nous en fassions une idole ?

Peuple, ne saurais-tu donc que conquérir ta liberté et ne saurais-je jamais la conserver ? […] Le temps où nous vivons est rude, nous le savons, et fécond en épreuves ; mais le passé s’évanouira devant l’avenir.

Viennent donc tous les reliquats monarchiques, tous les résidus des générations de l’empire, de la restauration et du philippisme ; que ces fantômes d’époque irrévocablement closes, que les cendres de ces âges accomplis voltigent et tourbillonnent au milieu de nous pour corrompre la liberté, le peuple ne sera pas entamé. La simplicité de sa foi confondra l’intrigue, s’il le fallait, son bras s’appesantirait de nouveau sur les avortons de César, et le peuple, s’inclinant devant Dieu seul, dira aux nations qui le contemplent : je suis le PEUPLE-ROI. »

F. Delente et Emile Barrault. Le Tocsin des Travailleurs, 1ère année, n° 13, 13 juin 1848.

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