mardi 2 février 2010

La pose du câble transatlantique, 1866

NEW ATLANTIC CABLE.

The mechanic's Magazine. London, R. A. Brooman, 1866.

L'établissement d'un fil électrique à travers la Manche semblait, il y a quinze ans, une entreprise singulièrement hardie, dont les hommes les plus habiles et les plus compétents croyaient le succès fort incertain. « Que ferez-vous, si vous ne réussissez pas ? » disait un jour M. Perdonnet à l'ingénieur anglais Crampton. « Je recommencerai » ; « et si vous ne réussissez pas encore ? » « Je recommencerai de nouveau jusqu'à ce que je réussisse. »

Les hommes qui, en continuant avec audace ces premiers essais de télégraphie sous-marine, ont renouvelé quatre fois depuis neuf ans leur tentative pour la pose d'un câble transatlantique, ont fait preuve d'une semblable opiniâtreté, et c'est avec justice que le message adressé le 10 août par la reine au Parlement d'Angleterre s'exprimait ainsi sur leur compte : « Sa Majesté est heureuse de pouvoir exprimer combien elle sait ce qui est dû à l'énergie particulière des hommes qui, sans se laisser décourager par des échecs répétés, sont arrivés, pour la seconde fois, à établir des communications directes entre les deux continents. »

L'heureux achèvement de la pose du nouveau câble transatlantique est aujourd'hui un fait accompli ; le succès, quoi qu'on en ait dit, ne semble pas devoir être aussi éphémère qu'en 1858, lors d'une première et trompeuse réussite, et les persévérants et habiles efforts par lesquels ce but a été atteint méritent d'être connus et appréciés. […]

Le câble neuf diffère de celui de 1865 par quelques détails seulement. Le bourrelet préservateur de l'âme est en chanvre ordinaire au lieu d'être en jute (herbe des Indes), les fils de fer tressés pour former l'enveloppe extérieure ont été galvanisés, et enfin les torons en chanvre de Manille qui entourent ces fils ne sont pas goudronnés. Le câble ainsi obtenu est, paraît-il, plus fort, un peu plus léger et surtout plus flexible. Son poids est de 860 kilogrammes par kilomètre au lieu de 982, mais le poids dans l'eau est de 408 au lieu de 390. La tension de rupture a été portée de 7,860 à 8,226 kilogrammes, c'est-à-dire à la charge de 21 kilomètres du câble lui-même tombant verticalement dans l'eau, tandis que la plus grande profondeur de la mer sur la route à suivre ne dépasse pas 4 kilomètres et demi.

Le Great-Eastern pouvait recevoir toute la longueur de deux câbles ; la Compagnie avait frété […] deux autres steamers, la Medway, de 1,900 tonneaux et l'Albany de 1,500 tonneaux. Le William Cory, steamer de 1,500 tonneaux, devait être employé au transport et au déroulement du câble d'atterrissage sur la côte d'Irlande. Ce bout de câble a des dimensions énormes ; long de près de 55 kilomètres, il se compose de trois parties dont les diamètres vont en diminuant depuis l'extrémité jusqu'au point de raccordement avec le câble principal. La plus forte partie, revêtue avec de véritables barres de fer, pèse, pour une même longueur, plus de deux fois autant que les câbles les plus pesants fabriqués jusqu'ici. La Medway devait, en outre, porter un câble massif long de 176 kilomètres destiné à relier Terre-Neuve au continent américain ; enfin la frégate de l'État, le Terrible, était désignée, comme en 1865, pour escorter l'escadre. […]

En s'éloignant de l'Europe, la mer présente d'abord assez peu de profondeur, mais, à la distance de 250 milles, le navire arrivait au-dessus des pentes rapides connues sous le nom de banc d'Irlande, où, sur une longueur de 55 kilomètres, la mer s'approfondit de 365 à 3,65o mètres, et où le déroulement devenait plus dangereux. Le 15 juillet, les dépêches annonçaient une distance parcourue de 263 milles, la profondeur était déjà de 2,3oo mètres. Le 16, le banc d'Irlande était heureusement dépassé et l'immersion se faisait à un niveau qui est à peu près constant sur une longueur de 200 milles. Le 17, la distance parcourue était de 495 milles ; là se trouve une dépression brusque où la profondeur tombe tout à coup de 3,600 à 4.000 mètres, mais le niveau ensuite monte doucement vers un plateau de 2,750 mètres de profondeur, sur lequel le Great-Eastern naviguait le 18, ayant dévidé 682 milles de câble, à 607 milles de Valentia. Le 20, la distance était de 830 milles, et tout marchait encore à souhait, mais tout le câble de la cuve d'arrière étant déroulé, il fallait aller prendre le bout du rouleau placé dans la cuve d'avant et l'amener à la poupe sur une longueur de 155 mètres, opération difficile, pendant laquelle la distraction d'un seul ouvrier aurait suffi pour causer un accident qui fut heureusement évité.

On approchait cependant des parages où a eu lieu, l'année dernière, la rupture du câble. Sur une longueur de 120 kilomètres, la profondeur est de près de 4,600 mètres, c'est-à-dire que le fond de la mer présente une dépression presque égale à la hauteur du Mont Blanc. On devait alors laisser couler le câble presque librement, pour diminuer autant que possible la tension, en portant la vitesse de 5 nœuds 1/2 à 7 nœuds. Le 22, on savait le navire sur ce point dangereux, et l'inquiétude redoublait à Valentia; le 23, il était heureusement franchi, la distance parcourue était de 1,196 milles, la mer devenait moins profonde, et le câble, dévidé sur une longueur de 1,345 milles, présentait, dans sa résistance d'isolement, une amélioration de 30 %. Le 24, la distance était de 1.319 milles ; à partir de là, le lit de la mer s'éleva graduellement à 2,750, puis 2,100, 1,650 et 1,300 mètres. Le 25, on avait déroulé 1,610 kilomètres de câble et parcouru 1,430 milles, mais on n'osait plus avancer qu'avec précaution, à cause d'un brouillard épais qui couvrait la mer; la marche était éclairée par le Terrible, puis venaient, espacés d'un mille, la Medway et l'Albany, précédant le Great Eastern ; de dix minutes en dix minutes, un coup de canon, tiré par chaque navire, à tour de rôle, servait d'avertissement. Le 26, on n'était plus qu'à 80 milles de Terre-Neuve. Le 27, enfin, à 4 heures 1/2 du matin, on terminait le déroulement dans la baie de Heart's Content, sur une profondeur de 50 brasses; à midi, la Medway débarquait le bout d'atterrissage, et à 5 heures du soir on commençait la soudure de ce bout avec le câble principal, pour la terminer à 8 heures 1/2. La communication était complète entre Terre-Neuve et l'Irlande, et les dépêches passaient avec la plus grande facilité. […]

La nouvelle du succès obtenu, immédiatement annoncée à toute l'Europe, produisit, malgré les préoccupations politiques du moment, une assez grande sensation. L'effet fut loin cependant d'égaler celui qui s'était produit en 1858 ; les félicitations les plus vives furent échangées entre les stations de Valentia et de Heart's Content, les éloges les mieux mérités sans doute, prodigués de part et d'autre ; mais, à part une grande fête donnée à Valentia par le directeur de la Compagnie, on ne vit rien des démonstrations publiques qui, lors de l'achèvement de la première ligne, avaient éclaté en Angleterre et surtout en Amérique. L'esprit public, familiarisé avec l'entreprise, ne la trouvait plus peut-être aussi merveilleuse, et malheureusement aussi l'expérience des déceptions passées pouvait légitimement diminuer la confiance dans l'avenir.

La ligne de New York à Terre-Neuve se trouvant, en outre, fortuitement interrompue dans les premiers jours, on ne reçut pas immédiatement des dépêches directes d'Amérique. Il avait fallu, en effet, lors de l'arrivée du Great-Eastern, tout en s'occupant de réparer la ligne hors de service, fréter un steamer pour aller apprendre à New York le succès de l'expédition et porter le message de félicitation de la reine d'Angleterre au président des Etats-Unis. La réponse du président a dû suivre la même voie, et c'est le 1er août seulement que les journaux ont reproduit la première dépêche publique venue de New York.

Au dire des directeurs, le message du président, parti de Washington le 30 juillet, à 11 heures 1/2 du matin, a été expédié de Terre-Neuve le 31, à 3 heures 51 minutes de l'après-midi. Consistant en 81 mots composés de 405 lettres, il a été transmis à Valentia en onze minutes, avec une vitesse moyenne de 7 mots et 1/3 à la minute, et remis à Osborn à 5 heures du soir. Ce résultat est bien meilleur que celui de 1858, lorsqu'il fallut, on se le rappelle, soixante-sept minutes, d'après les uns, et vingt heures, d'après les autres, pour un message de 102 mots. On dit, du reste, que les dépêches se succèdent sans relâche, à Valentia comme à Terre-Neuve, avec clarté et rapidité. Cependant la Compagnie paraît avoir pris les mesures pour tirer, quelle qu'en soit la durée, le meilleur parti possible de son succès. Le prix d'une dépêche simple de 20 mots a été fixé, sous le prétexte plausible d'éviter l'encombrement, à la somme de 500 francs; chaque mot en plus est payé 25 francs. Avec une vitesse de 7 mots par minute, et en supposant un travail incessant, la ligne produirait, avec ce tarif, 91,980,000 francs pour une année, et, en supposant même un travail moitié moindre, le capital de première mise serait, on le voit, promptement racheté. On dit cependant que les prix seront diminués lorsque la double ligne sera établie.»

J. Bertrand, Journal des Savants, septembre 1866.

1 commentaire:

  1. Bonjour,

    Je vous remercie pour toutes ces explications, qui sont au combien d'actualité.

    Je souhaiterais utiliser l'image du navire de pose de câble. Auprès de qui devrais-je demander l'autorisation, svp ? Est-elle libre de droit ?
    Vous remerciant par avance,
    O.CLEMENT

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