jeudi 18 février 2010

La dictature peut-elle servir à étayer la Monarchie ?


◄ en signant les ordonnances du 25 juillet 1830 qui suppriment la liberté de la presse, Charles X viole délibérément les principes de la Charte. Paris. Musée Carnavalet.


« Le maintien des libertés publiques, non moins que le salut du trône, exigent absolument que le Roi se revêtisse le plus tôt possible de la dictature qui lui appartient dans les cas où la sûreté de l'Etat est compromise ; et que, profitant des lumières que l'expérience de la Charte lui a données, il révise, dans sa haute sagesse, les institutions qui entravent sa marche. La nécessité de cette grande mesure est généralement sentie par tous les hommes qui se sont trouvés depuis quinze ans à la tête des affaires.

Parmi tant de ministres qui ont été appelés à mettre la Charte à exécution, il n'en est pas un peut-être qui, dans le secret de sa conscience, ne reconnaisse aujourd'hui qu'il y a contradiction entre les divers éléments de la puissance législative; que cette contradiction doit entraîner la perte de la monarchie, et qu'il est impossible de sauver le trône par des moyens légaux, c'est-à-dire, par des moyens concertés avec la Chambre actuelle des Députés , ou toute autre chambre émanée des collèges électoraux. Qui donc empêche que cette mesure ne soit prise? Il faut le dire : c'est le manque de résolution. […]

Qu'ont-ils fait pour le trône tous ces mille ministres qui se sont si rapidement succédé depuis la restauration ? En est-il un qui ait songé à établir une institution qui n'eût pas pour but le moment présent et l'intérêt de sa propre conservation ? Qui d'entre eux a songé à la France? Qui a songé au trône, attaqué avec tant de rage dès le jour même où il fut relevé ? Qui a songé à arrêter cette démocratie dévorante qui s'approche du trône et menace de l'engloutir?

Est-ce être gouvernés que de l'être comme nous le sommes depuis quinze ans? Est-ce avoir une constitution, un roi, des libertés, un ordre quelconque ? "C'est vivre seulement, et aller d'un jour à l'autre. L'état des affaires n'est ni paix ni trêve. C'est un repos d'assoupissement qu'on procure au peuple par artifice, et le sommeil des coupables n'est pas plus agité ni plus inquiet que cette trompeuse tranquillité" (Pensées de Balzac, page 223).

Il est temps que ce désordre finisse et que nous cessions d'être le jouet de quelques misérables et la risée de l'Europe. Il ne s'agit plus de caresser de vaines théories ; il s'agit d'établir enfin un gouvernement. Voulons-nous la Royauté ? Veuillons donc tout ce qui constitue la Royauté : une noblesse, des privilèges, des rangs et des distinctions politiques. Il n'y a pas de Royauté sans cela. C'est être le peuple le plus inconséquent de la terre ; c'est vouloir à la fois et ne vouloir pas, que de nous obstiner à établir une monarchie républicaine, c'est-à-dire, une monarchie fondée sur l'égalité. Nous perdrions à ce travail insensé nos efforts et nos peines. Un tel mode de gouvernement n'est pas chose qui puisse exister, parce qu'il met sans cesse en présence deux principes inconciliables : la Royauté et la République; et qu'au lieu d'établir la paix dans l'Etat, il y établit au contraire une guerre nécessaire et permanente, dans laquelle un de ces principes doit finir par triompher de l'autre.

Que la Royauté fasse donc ce que tout autre pouvoir ferait à sa place : qu'elle se sauve elle-même, puisque les choses sont arrangées de manière qu'aucun autre pouvoir politique ne peut l'aider à se sauver. Qui serait assez insensé pour aller demander à des hommes investis d'une grande autorité de se proclamer inhabiles à l'exercer, et de s'en dépouiller en faveur d'une classe de citoyens plus élevés et plus recommandables? Il ne faut pas braver la nature humaine et se jouer de ses infirmités.

Si la révolution se borne à crier, on se bornera à lui fermer la bouche ; si elle en appelle à la force, point d'hésitation : "Qu'on se garde de lui envoyer des gens de robe longue, chargés d'offres et de conditions; mais qu'on aille la visiter avec des canons et des soldats" (Pensées de Balzac, page 224), et qu'on la mette pour toujours hors d'état de troubler le monde.

Les Bourbons ne connaissent point assez tout le danger de leur faiblesse. Qui leur parle? Qui leur dit l'état exact des choses ? Eux-mêmes savent-ils interroger le silence qui les entoure? Hélas ! le peuple les contemple déjà avec une tendre pitié! Lorsqu'il les voit s'obstiner à ne passe défendre; se laisser abreuver d'outrages ; abandonner pièce à pièce toute leur autorité J il s'habitue à les considérer comme des victimes irrévocablement condamnées. Il ne sait, il est vrai, comment expliquer cette rigueur du ciel. L'antiquité de leur race; la douceur héréditaire de leur domination ; leur piété exemplaire; leur fidélité à leurs engagerions; tout semble devoir éloigner d'eux un arrêt si sévère : mais cependant le peuple y croit, et celte destinée semble se manifester déjà par les signes les plus menaçants.

Que les Bourbons se hâtent donc d'éclaircir leur sort et de conjurer ces sinistres présages. Qu'ils croient à leur force, et chacun y croira avec eux. Leur cause est aujourd'hui la cause de la propriété, de l'ordre et de l'indépendance nationale. Sans les Bourbons, il n'est plus personne en France qui puisse être assuré de ses biens, de sa liberté et de sa vie.

Ce n'est point la crainte d'être quelque jour en butte à la fureur des Jacobins qui m'arrache des cris si persévérants. Mourir de la révolution, ou de l'une de ces mille pestes qui affligent l'humanité, qu'importe ? Mais, tomber sans défense sous les coups de son ennemi, et n'avoir point à saisir quelque arme, quelque épée y il y a dans un pareil sort quelque chose qui ne se peut supporter.

Les révolutionnaires ont voulu la liberté indéfinie de la presse ; ils périront par la presse. La révolte n'aura pas seule ses menaces et ses foudres. Le dévouement aussi pourra faire entendre sa voix, et porter l'épouvante dans l'ame des factieux. Le Roi sera éclairé sur les piéges tendus à sa loyauté. Il saura les complots ourdis contre sa maison, et les moyens légaux à l'aide desquels on espère renverser son trône. […] »


Charles Cottu (conseiller à la Cour royale de Paris), De la nécessité d'une dictature, Paris, Belin-Mandar et Devaux, 1830 (mars), p. 134 et suiv.

 
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« Pour étayer la monarchie, on cite avec emphase l'exemple de la république romaine, qui, dans les grands dangers, créait un dictateur. Citation qui ne prouve rien pour une dictature perpétuelle : et qu'on se ressouvienne que cette dictature tant vantée a détruit la liberté romaine et l'empire.

Mais j'attaque même la dictature limitée des Romains ; et loin d'en être l'admirateur, je n'y vois que l'aveu de l'insuffisance des lois, de la faiblesse des bases de son gouvernement; je ne vois que lu morale, la raison éternelle ensevelie sous le monstrueux et ruineux édifice de ces édits, de ces ordonnances, décès plébiscites que le délire guerrier de ce peuple féroce, assassin, avait élevé.

Je vois qu'on n'avait recours à ce moyen que parce qu'on manquait d'une bonne constitution, que parce que cette république d'oppresseurs, ce sénat de tyrans n'avait que des lois que le temps, la nécessité, le malheur avaient dictées; mais des lois prises dans les rapports éternels d'homme à homme, ils n'en avaient pas. Cicéron, Atticus, Epictète étaient dignes de leur en donner; mais il aurait fallu qu'il leur eût été permis de détruire les fantômes qu'on avait élevés, et qui gouvernaient l'empire : mais malheureusement pour sa durée, il n'était pas en leur puissance d'apporter une main réformatrice sur ce tas d'usage de lois qu'un état violent, que la force autorisait […]

A quoi servait donc cette dictature tant citée, tant vantée ? A rendre l'exécution unique et par-là plus active. Eh bien ! Au lieu d'avoir recours à ce moyen ruineux, dangereux, organisez si bien le corps politique, pour que, dans nulle occasion, on ne puisse empêcher ses efforts sans se nuire ; que chacun voie que son plus grand intérêt est l'exécution de la loi. Vous verrez s'il est besoin que la force coercitive soit un seul instant dans la main d'un seul, pour commander l'obéissance pour sa parfaite célérité. Cette opinion n'est qu'un monstre dans l'ordre moral, un fantôme politique, né de la tyrannie, de l'esclavage et de l'impuissance de faire des lois.

La révolution de la France, et toutes celles qui s'opèrent par les forces du peuple, ont bien démontré à qui veut voir, qu'il n'est pas besoin que la force exécutrice ne soit confiée qu'à un seul, quand le salut de tous commande. Il faut des lois immuables, qui ne puissent agir que par ce mobile. La cause de la destruction des empires est dans son absence, vient de ces lois individuelles et nécessairement contradictoires, que le défaut de calcul, de génie a enfantées. Elles amènent, par leur choc, la guerre intestine, bientôt la guerre civile, la confusion et la ruine inévitable des forces sans cesse agissantes contre l'âme de la patrie.

On s'étonne d'avoir vu tomber les empires ; je serais bien plus surpris s'ils existaient encore. Des hommes de génie ont recherché la cause de leur décadence, de leur chute ; ils ont vu les conséquences des principes de leur ruine ; ils ont tous pris les effets pour la cause.

On assure, avec audace, que c'est telle ou telle cause qui a détruit Carthage, Athènes et Rome. Eh ! Messieurs, qui vous a si bien instruits ? Les empires tombent l'un sur l'autre, peut-être parce que tout doit tomber : mais s'il est permis, à nous, placés si loin des événements, environnés, accablés de préjugés que le gouvernement, que les tyrans politiques et religieux, que les siècles ont fait naître, s'il nous est permis, dis-je, d'avancer une opinion, à nous qui ne pouvons souvent pas démêler le fil d'une intrigue, d'un fait qui s'est passé sous nos yeux, j'ose assurer que le défaut de morale en a été la cause principale. »

Louis de La Vicomterie de Saint-Samson, Du peuple et des rois, Paris, Rouanet, 1833 (3e éd.), pp. 27-31

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