mercredi 2 février 2011

"Dix hommes furent attachés à la bouche des canons..." (The Lahore Chronicle, 1857)

Cipayes attachés à la bouche des canons pour être exécutés. 
Gouache originale d'Orlando Norie (1832-1901). Coll. Brown Univ.

« Les Cipayes insurgés de l'Inde ont commis, comme on sait, d'abominables atrocités. Ils ont massacré non-seulement leurs officiers, mais encore des femmes et des enfants, avec d'odieux raffinements de barbarie. Ces atrocités méritent assurément une répression sévère. Mais cette répression doit-elle être empruntée à la vieille et barbare loi du talion ? Parce que les Cipayes ont déployé la férocité du tigre révolté contre ses gardiens, les Anglais sont-ils autorisés à déployer à leur tour, une férocité égale ? Aux appétits sanguinaires du tigre de l'Inde peuvent-ils opposer sans scrupule ceux du bouledogue britannique ? Cela paraît être assez l'avis du Times et du Morning Post qui, oubliant sans doute de quels anathèmes ils ont flétri la conduite barbare du colonel Pélissier, enfumant des tributs arabes dans les grottes de Dahra comme des renards dans un terrier, recommandent aux autorités de l'Inde de se montrer impitoyables envers les Cipayes révoltés. Les autorités de l'Inde ne paraissent malheureusement que trop disposées à suivre ces conseils en s'abandonnant à des représailles implacables. Voici le récit d'une exécution atroce qui a eu lieu à Lahore, et qui a du singulièrement réjouir le cœur des écrivains, nous allions dire des bouledogues, du Times et du Morning Post :

"Ce matin, dit le Chronicle de Lahore, douze des révoltés du 45e régiment d'infanterie indigène ont été pendus. Toutes les troupes disponibles avaient été convoquées pour assister au châtiment. Les condamnés, au nombre de vingt-quatre, furent conduits au centre du carré des troupes ; un d'eux dut y être porté parce qu'il venait de subir l'amputation du bras gauche, par suite d'une blessure qu'il avait reçue durant la lutte.

Le lieutenant Hoogan, par ordre du brigadier Hinnes, donna lecture de l'arrêt de la cour martiale qui avait jugé les insurgés. Il annonça ensuite une commutation de peine en faveur de ceux qui consentiraient à faire des révélations. Une douzaine sortirent des rangs et furent conduits derrière l'artillerie. Ils devront indiquer les meneurs et divulguer les causes et le but des troubles.

Les douze condamnés restants, parmi lesquels se trouvait l'homme au bras amputé, montèrent l'échelle d'un pas ferme et sans manifester la moindre émotion. Le malheureux qui n'avait qu'un bras, se balança pendant quelques minutes dans une agonie affreuse : le nœud coulant auquel il était suspendu avait été mal attaché.

Dix rebelles furent ensuite amenés devant les canons. Pendant qu'on leur enleva leurs chaînes, quelques-uns criaient : "Ne sacrifiez pas les innocents pour les coupables !" Deux des assistants répondirent : "Taisez-vous, mourez en hommes et non en poltrons ; vous avez défendu votre religion ; pourquoi donc avez-vous peur de mourir ?"

Ces dix hommes furent attachés à la bouche des canons. Le commandant X... ordonna ensuite d'allumer les mèches, puis-il cria : "Prêt ! feu !" et le drame était fini.

Ce fut là un horrible spectacle, j'en fus terrifié, et tous mes voisins n'étaient pas moins émus. Tous tremblaient comme des feuilles. J'ai la confiance que la leçon ne sera pas perdue. Les hommes qui entouraient les pièces étaient inondés de sang. Un d'eux, entre autres, fut un instant étourdi d'un coup violent qu'il reçut d'un bras arraché, lancé sur lui."

Ces abominations, qui font les délices du Times et du Morning Post, ne rencontrent pas, hâtons-nous de le dire, une approbation unanime en Angleterre. Voici, par exemple, de quelle façon M. Bright, l'éminent orateur de la Ligue, auquel les électeurs de Birmingham viennent de restituer son siège au parlement, s'exprime sur les affaires de l'Inde, et avec quel esprit élevé de justice et d'humanité il manifeste l'espoir que la répression sera pure de tout esprit de vengeance et de cruauté.

"Il y a en ce moment une question qui occupe et absorbe l'attention publique: la révolte de l'Inde. Tout en déplorant ce terrible événement avec le reste de mes concitoyens, j'en suis peut-être moins surpris que la plupart d'entre eux. Depuis douze ans je me suis beaucoup occupé de l'Inde.

Deux fois j'ai entretenu le Parlement de ce pays : une fois pour demander la nomination d'une commission spéciale ; une autre, pour proposer une commission royale d'enquête ; j'ai pris, en outre, une part active à la discussion du bill récemment volé, qui a continué les pouvoirs de la Compagnie des Indes orientales et précédé des meetings publics dans plusieurs de nos plus grandes villes, en vue d'appeler l'intérêt public sur la grande question du gouvernement de l'Inde.

Le succès de l'insurrection serait l'anarchie de l'Inde, à moins que quelques grands hommes, sortant du chaos, ne fondent un nouvel empire sur la base de la puissance militaire. Je ne suis pas disposé à défendre les mesures par lesquelles l'Angleterre a obtenu la domination de l'Inde; mais, par considération pour les intérêts de l'Inde et de l'Angleterre, je ne puis combattre les mesures qui seront jugées nécessaires pour supprimer les désordres existants.

Rétablir l'ordre dans l'Inde c'est travailler dans l'intérêt de ce pays; mais nous serions gravement coupables si nous négligions ensuite les mesures qui doivent contribuer au bien-être de son immense population.

J'espère que les actes du gouvernement seront purs de cet esprit de vengeance et de cruauté que l'on remarque dans un grand nombre île lettres publiées par les journaux, et que lorsque la crise actuelle sera passée, lous les hommes d'affaires on Angleterre combineront leurs efforts pour réparer le mal par tout le bien possible."

Nous sommes heureux de pouvoir ajouter d'après un journal français, que Lord Paumure, ministre de la guerre, a blâmé l'exécution sauvage de Lahore et donné des ordres pour que de pareilles atrocités ne se renouvellent point. »

L’Economiste belge. Journal des réformes économiques et administratives
(publié par G. de Molinari), 3e année, n° 24, 20 août 1857.

2 commentaires:

  1. Trés interressant, j'a lu une version indienne de la "mutinerie" , il semblerait que les anglais aient perdus leur fair play et leur flegme dans la répréssion qui a dépassée de trés trés loin les massacres des mutinés!!

    cordialement
    paco

    RépondreSupprimer
  2. En effet, et cette violence a été assumée par ses auteurs, comme le révèle la lecture du livre de Frederick COOPER, "The crisis in the Punjab, from the 10th of May until the fall of Delhi", Londres, 1858.
    A très bientôt,
    A.F.

    RépondreSupprimer