"Louis-Philippe sur la barricade", peinture anonyme (1830 ?)
Lettre du Roi Louis-Philippe à l'Empereur François
« Paris, le 19 août 1830.
Monsieur mon Frère, Cousin et Beau-frère,
J'annonce mon avènement à la Couronne à Votre Majesté Impériale et Royale, par la lettre que le lieutenant général comte Belliard lui présentera en mon nom ; mais j'ai besoin de lui parler avec une entière confiance sur les suites d'une catastrophe que j'aurais tant voulu prévenir. Il y a longtemps que je regrettais que le Roi Charles X et son Gouvernement ne suivissent pas une marche mieux calculée pour répondre à l'attente et au vœu de la nation.
J'étais loin pourtant de prévoir les prodigieux événements qui viennent de se passer, et je croyais même qu'à défaut de cette allure franche et loyale dans l'esprit de la Charte et dans le sens de nos institutions, qu'il était si difficile d'obtenir, il aurait suffi d'un peu de prudence et de modération pour que ce Gouvernement pût aller longtemps comme il allait. Mais, depuis le 8 août 1829, la nouvelle composition du ministère m'avait fort alarmé. Je voyais à quel point cette composition était suspecte et odieuse à la nation, et je m'inquiétais, avec toute la France, des mesures que nous devions en attendre.
Néanmoins, l'attachement aux lois, l'amour de l'ordre ont fait de tels progrès en France, que la résistance au ministère ne serait probablement pas sortie des voies parlementaires, si, dans son délire, ce ministère lui-même n'en eût donné le fatal signal par la plus imprudente et la plus audacieuse violation de la Charte, et par l'abolition de toutes les garanties de nos libertés, pour lesquelles il n'est guère de Français qui ne soit prêt à verser son sang. Aucun excès n'a souillé cette lutte terrible; mais il était difficile qu'il n'en résultât pas quelque ébranlement dans notre état social, et cette même exaltation des esprits, qui les avait détournés de tout désordre, les portait en même temps vers des essais de théories politiques qui auraient précipité la France et peut-être l'Europe dans de grandes calamités. C'est dans cette situation, Sire, que tous les vœux se sont tournés vers moi.
Les vaincus eux-mêmes m'ont cru nécessaire à leur salut. Je l'étais encore plus peut-être pour que les vainqueurs ne laissassent pas dégénérer la victoire. J'ai donc accepté cette noble et pénible tâche, et j'ai écarté toutes les considérations personnelles qui se réunissaient pour me faire désirer d'en être dispensé, parce que j'ai senti que la moindre hésitation de ma part pouvait compromettre l'avenir de la France et le repos de tous nos voisins, qu'il nous importe tant d'assurer. Le titre de lieutenant général du Royaume, qui laissait tout en question, excitait une défiance dangereuse. Il fallait se hâter de sortir de l'état provisoire, tant pour inspirer la confiance nécessaire que pour sauver cette Charte si essentielle à conserver, et qui aurait été très compromise si l'on n'eût promptement satisfait et rassuré les esprits. Il n'échappera pas à la perspicacité de Votre Majesté, ni à sa haute sagesse, que pour atteindre ce but salutaire, il est bien désirable que les événements de Paris soient envisagés sous leur véritable aspect, et que l’Europe, rendant justice aux motifs qui m'ont dirigé, entoure mon Gouvernement de la confiance qu'il a droit d’inspirer. Que Votre Majesté veuille bien ne pas perdre de vue que tant que le Roi Charles X a régné sur la France, j'ai été le plus soumis et le plus fidèle de ses sujets , et que ce n'est qu'au moment où j'ai vu l'action des lois paralysée et l'exercice de l'autorité royale totalement anéanti, que j'ai cru de mon devoir de déférer au vœu national en acceptant la Couronne à laquelle j'étais appelé.
Les liens de famille et de parenté qui m'unissent à Votre Majesté ajouteront encore à mon désir de voir consolider l'heureuse harmonie qui subsiste entre nos Etats. Ces sentiments sont sincères, Sire, et j'ose croire que vous daignerez les partager.
Je prie Votre Majesté d'agréer, etc., etc. »
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Lettre de l'Empereur François au Roi Louis-Philippe
« Schlosshof, le 8 septembre 1830.
Monsieur mon Frère, Cousin et Beau-Frère,
J'ai reçu par le lieutenant général comte Belliard la lettre que Votre Majesté m'a adressée en date du 19 août. Tout en déplorant vivement les catastrophes qui ont eu lieu en France, je me suis décidé, dès le moment où la nouvelle m'en est parvenue, à ne point intervenir dans les démêlés intérieurs de ce pays. J'ai pris cette résolution dans la ferme et légitime attente que Votre Majesté désirera, de son côté, d'éviter tout ce qui pourrait porter atteinte aux intérêts et à la tranquillité des autres Etats. Il existe entre la France et toutes les puissances de l'Europe des traités solennels, qui ont fixé d'une manière claire et précise leurs rapports respectifs, ainsi que l'état de leurs possessions territoriales. J'observerai religieusement ces traités, auxquels l'Europe doit les bienfaits de la paix dont elle jouit depuis quinze ans.
J'ai tout lieu de croire que toutes les puissances, connaissant les devoirs que lesdits traités leur imposent, et les droits qu'ils leur accordent, seront également convaincues de la nécessité de les prendre pour règle invariable de leur politique. Les paroles de Votre Majesté m'autorisant à la regarder comme animée des mêmes sentiments, je n'ai pas hésité à prendre acte de son avènement au trône, et je fais les vœux les plus sincères pour la stabilité et la prospérité de son règne.
Je suis, etc. »
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