Metternich s'enfuit de Vienne en 1848 (caricature tchèque de 1848)
« La devise adoptée par moi : "la force dans le droit", est l'expression de ma conviction même ; elle marque la base de ma manière de penser et d'agir. […] Les circonstances m'ont jeté malgré moi dans la vie politique, pour laquelle j'étais armé d'un esprit qui n'est capable de défendre que ce qui est positif.
Mon tempérament est un tempérament historique, antipathique à tout ce qui tient du roman.
Ma manière d'agir est prosaïque et non poétique. Je suis l'homme du droit, et je repousse en toutes choses l'apparence, quand à ce titre elle se sépare de la vérité et que, par suite, n'ayant pas pour base le droit, elle aboutit nécessairement à l'erreur.
Je suis né, j'ai grandi au milieu d'une situation sociale qui a préparé la révolution de 1789 en France; aussi je connais bien cette situation. Les éléments de force et de faiblesse qui ont produit les situations antérieures et postérieures, ne m'ont jamais échappé. Observateur à la fois sévère et calme des événements, je les ai toujours considérés et suivis dans leur origine et dans leur développement, soit naturel, soit artificiel.
Pendant les quarante-cinq années qu'a duré ma carrière active, j'ai été d'abord un témoin de la première Révolution française, un témoin placé à un point de vue social élevé, et plus tard j'ai joué un rôle actif dans les événements que cette révolution a provoqués.
En contact et en rapport direct ou indirect avec tous les Souverains, avec les premiers hommes d'Etat et les chefs de parti les plus considérables, j'ai connu, dans le cours de cette période qui embrasse près de trois générations, tous les faits importants qui ont influé sur le développement des événements historiques. L'expérience ne m'a donc pas manqué. […]
J'ai toujours regardé le despotisme, quel qu'il fût, comme un symptôme de faiblesse. Là où il se montre, il est un mal qui trouve en lui-même sa punition ; mais il est funeste surtout quand il se masque du nom de progrès de la liberté ! […] Le mot de "liberté" n'a pas pour moi la valeur d'un point de départ, mais celle d'un point d'arrivée réel. C'est le mot d' "ordre" qui désigne le point de départ. Ce n'est que sur l'idée d' "ordre" que peut reposer l'idée de "liberté". Sans la base de l’"ordre", l'aspiration à la "liberté" n'est que l'effort d'un parti quelconque pour atteindre le but qu'il poursuit. […]
L'idée de la pondération des pouvoirs (imaginée par Montesquieu) ne m'a jamais paru qu'une manière fausse d'envisager la constitution anglaise; j'ai toujours trouvé qu'elle n'était pas pratique dans l'application, parce que l'idée d'une pondération pareille a sa racine dans la supposition d'une lutte perpétuelle, au lieu d'être basée sur celle du repos, qui est le premier besoin pour les États qui veulent vivre et prospérer. […]
Dans l'application à la vie positive, cette aspiration se traduira inévitablement par la tyrannie. A toutes les époques, dans toutes les situations j'ai été un homme d' "ordre", et j'ai toujours visé à l'établissement de la "liberté" véritable et non d'une "liberté" mensongère. La "tyrannie", quelle qu'elle soit, a toujours été pour moi synonyme de folie pure. […]
Qu'on jette les yeux sur les situations dans lesquelles notre Empire et toute l'Europe se sont trouvés entre 1809 et 1848, et qu'on se demande ensuite si un homme pouvait, par sa seule intelligence, réussir à changer l'état de crise en guérison définitive ! J'ose dire que j'ai reconnu la situation, mais j'avouerai aussi mon impuissance à élever un nouvel édifice dans notre Empire et en Allemagne ; voilà pourquoi je me suis appliqué avant tout à conserver ce qui existait.
Au printemps de l'année 1848, les édifices politiques du centre de l'Europe se sont écroulés ou se sont mis à chanceler, comme cela arrive dans les tremblements de terre violents. Cette fois, comme toujours depuis la fin du dix-huitième siècle, la secousse est partie de la France. Son action s'est manifestée d'après les lois de la physique; la commotion a agi tout autrement sur les grands édifices indépendants que sur les petits édifices intercalés de force entre eux. Les premiers l'ont éprouvée à un degré plus fort. La France, dont l’étage supérieur était construit en matériaux légers, s'est couverte de poussière. Dans le grand empire du centre, le sol a été jonché de masses de pierres et de poutres sous lesquelles a été enseveli l'ancien ordre de choses. Je devais subir le même sort, cela était inévitable. Mais parmi les destinées étranges il faut compter la mienne : j'ai vécu pendant la crise suprême que traversait le monde, et je lui ai survécu. »
Prince Klemens Wenzel Von Metternich (1773-1859), « mon testament politique » (manuscrit autographe, sans date, ecrit par fragments sur des feuilles volantes de 1849 à 1855), extrait de : Mémoires, documents et écrits divers laissés par le prince de Metternich, chancelier de cour et d'état, Paris, Plon, 1880 (2 vols).
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