jeudi 25 mars 2010

La République démontrée par les Evangiles (1848)

"Jésus le Montagnard", lithographie de 1848.



« Qu’est-ce que le Christ républicain ?
Assurément, ce n’est pas le Dieu des prêtres, ni de tout leur séquelle de dévots, de béats, de moines et de menettes. J’aurais peur de me damner, si ma plume impie osait rendre le Christ complice des tartuffes de sacristie, et justifier le clergé, quand le Dieu de l’Evangile le condamne depuis dix-huit siècles. […]

Qu’est-ce donc que le Christ Républicain ? C’est, comme vous le savez, le Dieu de l’Evangile, toujours le Dieu des pauvres et des ouvriers, toujours le Dieu des opprimés et des pécheurs, toujours le Dieu de toutes les souffrances, toujours le Dieu de cette nombreuse classe qu’on renie, qu’on pressure, qu’on vole, qu’on emprisonne, qu’on calomnie atrocement, et qu’on appelle populace, plèbe.

Il n’y a qu’un Christ qui est Dieu : seulement je lui ai appliqué l’épithète de républicain que les prêtres lui ont refusé pour des raisons connues d’eux et de moi, et qui lui convenait aussi bien du temps d’Hérode que du temps de Lamartine.

Mais le Dieu des riches, des princes, des papes et des rois, quel est-il ? Ma foi, vive la République ! ce ne peut être que Satan. Celui qui a aimé ses frères jusqu’à la mort a dit dans son livre divin : il est plus difficile au riche d’entrer dans le royaume des cieux qu’à un chameau de passer par le trou d’une aiguille. […] Voilà pourquoi les riches et les princes détestent tant la république, qui doit amener le règne de Dieu.

C’est le Christ qui, le premier, apporta la liberté aux hommes, en leur disant : prenez garde de devenir les esclaves de personne. Que le plus grand d’entre vous devienne le plus petit. […] Ainsi, malheur à vous, colons de la Martinique et de la Guadeloupe, qui vendez et achetez les hommes de couleur comme du bétail, pour les forcer à travailler à coups de fouet ! Le Dieu de la Liberté vous a en abomination.

C’est le Christ qui le premier apprit l’égalité aux hommes, en leur disant : on vous mesurera avec la même mesure dont vous vous servez pour mesurer les autres. Voilà votre condamnation, fiers aristocrates qui vous targuez de tous vos privilèges, et prétendez jouir seuls de tous les biens qui appartiennent à tous. Honneurs, sinécures, richesse, argent, monopole du travail et du commerce, vous voulez tout posséder exclusivement ; mais le principe de ces exclusions deviendra votre perdition.

C’est le Christ qui, le premier, nous enseigna la fraternité par cette sainte maxime : aimez-vous les uns les autres, et le prochain comme vous-même. D’où il faut conclure, à moins d’être de la plus insigne mauvaise foi, que le Sauveur du monde est un républicain, un démocrate par excellence, et que son règne doit être une sainte République. Quel horrible blasphème proférez-vous, monarques absolus, quand vous vous proclamez maîtres des nations par la grâce de Dieu !

Le Christ républicain n’est pas un émeutier, un séditieux, un sectateur, un chef de parti, comme le prétendaient les princes des prêtres ; ce serait la plus étrange impiété de l’en accuser. Il est le père du peuple, et nul plus que lui ne veut la paix pour ses enfants ; nul plus que lui ne commande la paix, mais la paix de la liberté, la paix de l’union, la paix qui est le fruit de la prospérité répandue sur l’universalité des citoyens.

Le Christ veut l’ordre, avec l’amour du prochain, et non l’ordre des baïonnettes. Je vous dis en vérité que l’épée ne rétablira jamais la paix et l’ordre, tant que la misère sera le partage de la multitude, et l’abondance l’apanage de quelques-uns : si c’était possible, Dieu ne serait pas Dieu.

Alors le Christ est venu, en réformateur révolutionnaire, détruire les innombrables abus, et changer le vieil édifice social où les possèdent tout, et les autres rien.

Ne vous en déplaise, députés aristocrates, si le Dieu de la Croix se trouve en opposition avec votre politique ; ne vous en déplaise, députés réactionnaires, si le Christ vous réprouve, et s’il montre au peuple, que vous avez trompé, un tout autre chemin que le vôtre ; alors, permettez-nous de suivre notre maître à tous, de vous tourner le dos et de secouer sur vous la poussière de nos pieds.

Pauvre peuple ! Quand donc sauras-tu discerner les bons apôtres d’avec cette horde de loups qui s’adressent à toi sous la peau des brebis ? Tu devrais savoir une chose, le jour des élections, une chose d’où dépend notre salut ; c’est que la République compte des Judas dans les richards, dans les aristocrates, dans les prêtres, dans les poètes qui chantent Charles X et le duc de Bordeaux. »

Citoyen Delclergues, Le Christ républicain, n° 1, jeudi 8 juin 1848, p. 1.

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