« AVIS. Le cautionnement imposé aux journaux ne permettant pas de continuer le nôtre, nous prévenons nos abonnés, qu’à partir de ce jour, ils recevront le journal La Réforme à la place du Peuple Constituant, suspendu forcément. Que nos lecteurs reçoivent, avec nos fraternels adieux, l’expression de notre reconnaissance. Leurs sympathies nous ont soutenus, encouragés ans la tâche, souvent difficile et rude, que nous nous étions imposées. Puissent-ils nous rendre ce témoignage, que nous n’avons point failli à notre devoir ! Maintenant nous sommes dans les jours mauvais : il en viendra de meilleurs. Désespérer de la France serait un sacrilège.
Le Peuple Constituant a commencé avec la république ; il finit avec la république. Car ce que nous voyons, ce n’est pas, certes, la république, ce n’est même rien qui ait un nom : Paris est en état de siège, livré au pouvoir militaire livré lui-même à une faction qui en a un son instrument ; les cachots et les forts de Louis-Philippe encombrés de 14.000 prisonniers, à la suite de l’affreuse boucherie organisée par des conspirateurs dynastiques devenus, le lendemain, tout-puissants ; des transportations sans jugement ; des lois attentatoires au droit de réunion, détruit de fait ; l’esclavage et la ruine de la presse, par l’application monstrueuse de la législation monarchique remise en vigueur ; la garde nationale désarmée en partie ; le peuple décimé et refoulé dans la misère, plus profonde qu’elle ne le fut jamais : non, encore une fois, non, certes, ce n’est pas la république ; mais, autour de la sa tombe sanglante, les saturnales de la réaction.
Les hommes qui se sont faits ses ministres, ses serviteurs dévoués, ne tarderont pas à recueillir la récompense qu’elle leur destine et qu’ils n’ont que trop méritée. Chassés avec mépris, courbés sous la honte, maudits dans le présent, maudits dans l’avenir, ils s’en iront rejoindre les traîtres de tous les siècles dans les charniers où pourissent les âmes cadavareuses, les consciences mortes.
Mais que les factieux ne se flattent pas non plus d’échapper à la justice inexorable qui pèse les œuvres et compte les temps. Leur triomphe sera court. Le passé qu’ils veulent rétablir est désormais impossible. A la place de la royauté, qui, à peine debout, retomberait d’elle-même sur un sol qui refuse de la porter, ils ne parviendront à constituer que l’anarchie, un désorre profond, dans lequel aucune nation ne peut vivre, et de peu de durée dès lors. En vain, ils essaieraient de le prolonger par la force. Tout force est faible contre le droit, plus faible encore contre le besoin d’être. Cette force, d’ailleurs, où la trouveraient-ils ? Dans l’armée ? L’armée de la France sera toujours du côté de la France.
Quant à nous, soldats de la presse, dévoués à la défense des libertés de la patrie, on nous traite comme le peuple, on nous désarme. Depuis quelque temps, notre feuille, enlevée des mains des porteurs, était déchirée, brûlée sur la voie publique. Un de nos vendeurs a même été emprisonné à Rouen, et le journal saisi sans autre formalité. L’intention était claire ; on voulait à tout prix nous réduire au silence. On y a réussi par le cautionnement. Il faut aujourd’hui de l’or, beaucoup d’or, pour jouir du droit de parler : nous ne sommes pas assez riche. Silence au pauvre !
Paris, le 10 juillet
LAMENNAIS. »
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