Extrait du Magasin Pittoresque, 1843.
« Notre siècle a la passion des voyages, et cette passion devient tous les jours plus vive et plus ardente. C'est un mouvement immense, universel. La Suisse, l'Allemagne, l'Angleterre, la France, enfin tous les pays beaux à voir, à étudier, sont incessamment couverts d'une foule de voyageurs avides de contempler, ici les merveilles de la nature, lu les monuments du moyen-âge; plus loin, les progrès des arts ou la diversité infinie des mœurs et des usages des peuples.
Il y a un siècle à peine, qui donc s'aventurait à sortir de chez soi pour courir le monde, braver des océans, gravir des montagnes, explorer des continents; pour visiter même, à moins de risques, des villes, des palais, des vallons, des lacs, des grottes, des cascades ; en un mot, toutes ces curiosités que la nature et l'art déploient en tous lieux à nos regards émerveillés ? Entreprenait-on alors ce que nous appelons, de nos jours, des voyages d'agrément ? Il fallait des motifs tout à fait graves, de santé, de famille ou d'intérêt, pour quitter sa patrie ou sortir même de sa province; et l'on qualifiait d'intrépide tout voyageur qui franchissait ou les Pyrénées ou les Alpes, se hasardait sur la Baltique, ou s'embarquait pour les Antilles.
Mais aujourd'hui, qui est-ce qui ne voyage pas, et jusque dans les contrées les plus lointaines ? C'est la chose du monde la plus commune, notamment pour les Anglais, que de se donner rendez-vous au pied des Pyramides ou sur les ruines de Sparte, et d'y arriver, qui plus est, fort exactement au jour indiqué; pour des Français, d'improviser en riant le projet de visiter Rome ou les glaciers des Alpes. On n'y met guère plus de façon qu'on n'en faisait il y a cent ans pour aller de Paris à Saint-Cloud.
Quelles sont donc aujourd'hui les causes réelles de cette manie incessante de voyages? De tout temps, sans doute, l'homme a été curieux ; il l'était donc au XVIIe siècle comme de nos jours ; et cependant l'on voyageait alors mille fois moins.
C'est d'abord qu'il existe, au XIXe siècle, une certaine agitation, un pressant besoin de mouvement, qui n'étaient pas connus de nos ancêtres; puis nous possédons, pour satisfaire ce besoin devenu chaque jour plus impérieux, une facilité admirable de communication, une promptitude vraiment féerique à franchir les distances. Partout on voyage avec rapidité, commodément, sans dangers probables et sans fatigues.
Voyez toutes ces belles routes tracées jusque sur les sommets des plus hautes montagnes. A leur tour, les bateaux à vapeur nous conduisent aussi vite à Saint-Pétersbourg et même à New-York, que jadis les voiturins de Paris à Marseille; et les chemins de fer, qui continuent de se construire sur une grande échelle, feront bientôt de tout un royaume une seule province, de l'Europe un seul pays, enfin de notre planète entière comme un seul et vaste domaine, qu'on pourra désormais parcourir en l'espace de quelques mois.
Voilà d'étranges merveilles, assurément. Mais il en est une plus extraordinaire encore, que ne pourraient accomplir ni bateaux à vapeur, ni chemins de fer : c'est celle de se trouver jeté comme par enchantement sur toutes les routes de l'univers, de parcourir plus vite même qu'à vol d'oiseau, sans frais, sans fatigue aucune, l'Europe, l'Asie, l'Inde, l'Amérique, et sans dangers, l'Afrique et l’Océanie, les cinq parties du monde, et cela en quelques heures, au coin du feu, au milieu des gais sourires et des saintes joies de la famille, de pouvoir ainsi, par exemple, déjeuner en Sibérie, dîner au Labrador, faire en passant une collation sur les bords du Gange, et de là se coucher en pleine Océanie, après avoir reçu, cinq minutes auparavant, le doux baiser maternel. Rien de plus ravissant, selon nous, que ce pêle-mêle d'émotions continuelles, de sensations diverses, sous l'abri calme et protecteur du toit paternel, qui n'en devient que mille fois plus cher. Combien alors on s'estime heureux de ne le pas quitter ! »
Léon Forster, Voyages au coin du Feu : scènes instructives et amusantes, Paris, A. Mame, 1850.
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Extrait de : The Punch, 19 novembre 1864.
Quand arrive l'hiver et ses longues soirées,
Vive le coin de feu ! vive un petit chez soi !
Les volets étant clos, les portes calfeutrées,
Les pieds sur ses chenets, on jouit plus qu'un roi ;
Le feu tient compagnie, et quand l'âtre s'embrase,
Gai de cœur et d'esprit, on veille, on rêve, on jase ;
Sans quitter son fauteuil on voyage en tous lieux.
En montant, démontant le fragile édifice
De houille et de bois sec où la flamme se glisse,
S'endort-on parfois? L’on dort mieux.
J'en conviens sans détour, l'homme a cette faiblesse
De placer bien souvent dans un rien ses désirs;
Un penchant naturel le pousse à la paresse,
Et ce qui gêne un peu détruit tous ses plaisirs.
Le coin du feu sans doute a droit à nos hommages ;
Hais chassant les oisifs, entourons-le de sages;
Et quand le corps lassé s'abandonne au repos,
Que l'esprit toujours veille et charme nos demeures,
Sachons, comme au vieux temps, pour égayer les heures,
Parler et nous taire à propos.
Rêver ! Pourquoi rêver ? Tout rêve est un mensonge;
Divaguons un peu moins, soyons plus sérieux,
Le bonheur mieux compris paraîtra moins un songe,
Et nous élargirons l'étroit chemin des cieux.
Nos pères possédaient cette haute sagesse
D'imprimer au plaisir un sceau de politesse,
De gaîté, d'abandon, surtout d'utilité.
Alors, le coin du feu, vraiment, avait des charmes,
Et le soir, du matin on publiait les larmes
Pour savourer l'intimité.
C'était sous le manteau d'une ample cheminée
Que se passait alors ces scènes de bonheur,
Dont l'heureux souvenir s'efface chaque année ;
On devisait sans fard, toujours avec honneur.
Autour du père en rond la famille rangée
Ecoutait sans ennui la légende obligée
D'un revenant, d'un saint, d'un conquérant fameux.
De la veillée, au moins, il restait pour mémoire
Franc rire, ou pleurs sans fiel, patriotisme et gloire.
En était-on plus malheureux ?...
Était-ce un vain spectacle, un inutile usage
Que cet esprit charmant de se plaire chez soi ?
D'être, sans égoïsme, heureux dans son ménage,
Et de savoir du temps sagement faire emploi ?...
Ne pas dresser partout sa tente vagabonde,
Être moins parasite, et ne donner au monde
Que le tribut voulu de rapports bienséants ;
N'était-ce point bannir bien des maux de la vie ?
Un père est-il trop seul, une mère asservie
Quand ils sont près de leurs enfants?
Oh ! plus on réfléchit à ces mœurs solennelles,
Plus on sent le regret de les voir dans l'oubli.
Où sont donc parmi nous les familles fidèles
Où le culte au foyer ne soit pas aboli ?
Nos cités, nos hameaux, reniant leur histoire,
Achèvent de briser les débris de leur gloire,
Et la France bientôt n'aura plus de passé.
En vain, nos monuments semblent demander grâce,
On vient les balayer soudain pour faire place
Au spéculateur empressé.
C'est surtout chez le pauvre et l'artisan peu sages
Que nous pleurons l'oubli de ces pieux usages.
Honorés autrefois, encor bons aujourd'hui,
Hors du foyer, le peuple élargit sa misère,
Il cherche la fortune aux deux bouts de la terre,
Il pourrait la fixer chez lui.
Que ce beau temps revienne, aussitôt de la France
Le génie est vainqueur, les grandeurs sont debout.
Les plus petits devoirs ont leur juste importance,
Leur accomplissement souvent décide tout.
On a tort de juger la valeur d'une chose
Sur l'éclat qui l'entoure, ou le bruit qu'elle cause.
Le bien est toujours bien, et toujours plaît à Dieu.
Soyons sages chez nous, notre joie est certaine :
Plus on restreint ses vœux, plus on restreint sa peine.
C'est la vertu du coin du feu.
Claudius HEBRARD (1) »
Annales de la Charité, revue mensuelle destinée aux intérêts de la classe laborieuse et souffrante… (Journal de la Société d’économie charitable), 14e année, 1858.
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(1) Hébrard, Claudius Jean-Claude-Marie-Amable (né le 24 octobre 1820 à Lyon - mort le 5 février 1885 à Lyon), homme de lettres, journaliste catholique, fondateur de l’Institut catholique de Lyon et de la Société de saint François-Xavier.
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