dimanche 9 mai 2010

"Les fanatiques... ont rouvert toutes les plaies de la France..." (anonyme, 1823)


A gauche : l'Ultra, ou la nostalgie du passé ; à droite : le Libéral, ou la confiance en l'avenir. Gravures d'après Louis Boilly, BNF.


« Vingt-cinq ans avaient identifié toutes les classes de la société avec la révolution ; un peuple tout nouveau était, pour ainsi dire, sorti des ruines de l'ancien édifice social qui s'était écroulé sur ses vieux fondements. De nouvelles mœurs avaient régénéré le caractère national, et le glaive même d'un conquérant n'avait pu altérer cette physionomie mâle et fière d'un peuple qui pardonnait tout à la gloire... […] La restauration consacrait l'œuvre de la révolution française, et le monarque, en nous accordant un pacte, garant de nos droits et de nos libertés, comblait tous les vœux, satisfaisait toutes les espérances. La France allait donc enfin se reposer à l'abri du trône constitutionnel.

Cependant une race d'hommes singuliers par leurs habitudes et leur langage, s'élève au milieu de nous : tout annonce en eux une origine extraordinaire; leur physionomie triste et maussade contraste avec le bonheur qui respire sur toutes les autres physionomies. Leur petit nombre néanmoins empêche d'abord que leur apparition dans le monde politique, puisse exciter quelque sensation. Bientôt aux regrets du temps passé et des vieux préjugés succèdent dés plaintes contre le bienfait politique du monarque : on accuse sa bonté, sa sagesse. Le nombre de ces mécontents composé d'abord d'hommes devenus tout-à-fait étrangers à la France, se grossit d'anciens apôtres de la tyrannie aristocratique, féodale et religieuse. Ils appellent dans leurs rangs toutes les hypocrisies, celles de la fidélité comme celles de la dévotion. Leurs écrits proclament déjà tous les avantages de l'ancien régime, en chargeant le nouveau de calomnies, en insultant à l'amour propre national, dans ce qu'il avait de plus cher, c'est-à-dire dans la gloire militaire. A ces sourds frémissements qui effrayent la confiance publique, la France entière s'est émues ; elle lève les yeux vers le trône constitutionnel, et quand le monarque, éclairé sur ses périls, veut rassurer son peuple, il n'est plus temps ; les fanatiques ont détruit, autant qu'il était en eux, son sublime ouvrage et rouvert toutes les plaies de la France. […]

Le bonheur dont la France commençait à jouir hors des cours prévôtales et des lois d’exception, devient pour les fanatiques le texte de plaintes scandaleuses. La prospérité de nos provinces paisibles est présentée dans les feuilles et écrits des ultras, comme le calme avant-coureur de la tempête. Ils montrent déjà le poétique fantôme d'une révolution imaginaire, s'élevant sur l'horizon politique; ils assiègent le trône de leurs craintes ridicules, et réveillent adroitement les soupçons et les alarmes. Depuis lors ils entretiennent une guerre intestine contre le bonheur et la liberté de la France ; délivrée des armées étrangères, elle a trouvé dans son sein des ennemis plus acharnés, moins généreux que le cosaque du Don ou la Landwher prussienne. […]

Le nombre des dupes enrôlées sous les drapeaux des ultras est bien faible, et il est douteux qu'il puisse s'augmenter : l'opinion publique donne un démenti quotidien à leurs mensonges, à leurs espérances, et d'ailleurs le monarque, qui tient dans ses mains les destinées de la France, rassure la patrie contre les tentatives des ultras : la Charte sera toujours l'écueil où viendront se briser leur criminelle audace, et la France ralliée sous ce sacré palladium, n'a rien à craindre de ces menaces impuissantes ; mais au moment où le parti fanatique semble redoubler d'efforts, où les hurlements de sa joie féroce retentissent avec plus de violence, nous croyons qu'un véritable sens des expressions qu'ils emploient, des habitudes de style politique introduit dans leurs écrits, pourrait contribuer à faire mieux connaître leurs intentions. L'immense majorité des Français est royaliste constitutionnelle ; le gouvernement libéral, dont la Charte est le gage, est l'objet de leur plus vif attachement […].

… comme dans le parti des fanatiques, la dénonciation est à l'ordre du jour, nous pensons qu'une profession de foi est nécessaire. Nous sommes dévoués au Roi et à la Charte, mais nous détestons le pouvoir absolu; nous sommes attachés au culte de nos pères, mais nous avons les jésuites en horreur, sous quelques habits, dans quelques places qu'ils se présentent ; nous regardons les royalistes comme de bons Français, comme nos frères ; mais nous détestons les ultras, parce qu'ils ne sont pas Francais ; et notre devise est et sera toujours : Vive le Roi, vive la Charte ! »

Petit dictionnaire ultra, précédé d'un essai sur l'origine, la langue et les œuvres des ultra ; par un royaliste constitutionnel, Paris, Chez Mongie aîné, 1823.

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