« Certains curés se sont quelquefois montrés bien dépourvus de discernement dans le choix de leurs sujets de prédication et dans la manière de les traiter. J'en ai connu qui s'escrimaient avec un zèle extraordinaire contre le faste, la mollesse, l'amour de la bonne chère, dans des paroisses dont tous les habitants étaient couverts de bure et n'avaient pas même, pour nourriture, cette viande grossière qui alimente souvent le menu peuple. Ils ne manquaient pas, à l'ouverture du Carême, de prêcher fort sérieusement la nécessité du jeûne à des ouvriers de fabrique, et à de pauvres bûcherons privés de chaussures et de vêtements, pour qui même l'usage du pain était une sorte de luxe. Un homme de qualité vint un jour se plaindre auprès de moi d'un sermon où il prétendait avoir remarqué une personnalité offensante à l'égard de sa femme. Ce discours contenait de virulentes sorties contre les parures, les joyaux et les diamants ; or, il n'y avait dans la paroisse que la riche châtelaine qui portât sur elle de si précieux objets. Cependant le bon curé n'avait pas eu la moindre intention de faire aucune allusion même indirecte ; il avait bonnement appris son prône dans un sermonnaire de cours.
Qu'il nous soit permis, à cette occasion, de faire observer que, dans les campagnes, la censure du luxe est le thème favori d'un trop grand nombre de prédicateurs, dont les discours empreints d'une incroyable exagération aboutissent plutôt, en surexcitant le dépit de ses partisans, à lui lâcher la bride qu'à lui opposer un frein salutaire. Il est, dans le monde, convenons-en, trop de femmes et de filles qui, cédant à cette passion de la vanité en quelque sorte incarnée à leur sexe, se montrent plus enivrées de frivolités et de bagatelles que soucieuses des qualités solides et sérieuses : pour elles la couleur et la forme d'une robe, d'un bonnet, d'une chaussure ou d'un chapeau, sont affaire de la plus haute importance. Qu'un pasteur tente parfois de prévenir et d'arrêter ces goûts ruineux et ces dangereuses inclinations, qu'il fasse comprendre à son auditoire féminin qu'une exquise simplicité donne plus de grâce et de charmes que tous les atours imaginables; qu'il faut avant tout vêtir les pauvres de J.-C., etc.
Mais ce serait une maladresse féconde en inconvénients, si, après avoir fulminé du haut de la chaire contre les colifichets et les cheveux tressés ou bouclés, il prétendait encore procéder à la répression de la coquetterie par des refus d'absolution et de communion. Doit-il s'exposer à bouleverser toute une paroisse pour des causes aussi légères ? Qu'on ne le voie donc jamais, s'érigeant dans la tribune sacrée en inspecteur des toilettes, mesurer ridiculement à ses paroissiennes la largeur des dentelles, la longueur on l'éclat des rubans destinés à leur parure. Le luxe effréné, l'indécence, l'immodestie, voilà à cet égard ce qu'il lui faut sans relâche combattre en des termes généraux, dans l'intérêt des mœurs et de la bourse même des fidèles : qu'il laisse, toutefois, à chacun, latitude de se vêtir à son goût et à sa guise. Toujours capricieuses et variables, les modes ne se transforment-elles pas selon la diversité des lieux et des temps, et n'est-on pas obligé, malgré soi, de les subir au moins à la longue ? Tel sermonnaire qui criait, sous Louis XIV, contre les manches étroites et les robes à paniers, eût déployé sa verve, il y a quelques années, contre les manches larges, et anathématiserait aujourd'hui les coupes à la Jeanne d'Arc et les crinolines. Ce qu'il importe, c'est d'obtenir, par des avis pleins de mesure et adroitement ménagés, que personne ne franchisse les bornes de la décence, ni les limites naturelles de sa fortune ou de son rang : plus exigeant l'on dépasserait le but au lieu de l'atteindre, et l'on s'exposerait à de nombreux échecs. »
L'abbé Dieulin, Le bon curé au XIXe siècle. Les devoirs du prêtre dans sa vie privée et dans sa vie publique, t. 2, Nancy, 1864 p. 230-231.
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